Ayant vécu à une époque riche en événements, Abdelhadi Benazzouz était connu par sa discrétion et surtout par sa grande humilité. Patriote durant sa jeunesse, il avait choisi avec conviction le dur parcours de militant, jusqu’à l’avènement de l’indépendance. Après une belle aventure dans la presse, il fera carrière comme cadre supérieur de l’Etat, accomplissant son devoir envers son pays et ses concitoyens.
Abdelhadi Benazzouz est né le 9 janvier 1937 à la maison du n°9 ex-rue Morland (actuelle rue Benzagouta), non loin de la mosquée Sidi Afane, dans le quartier de Souika de la vieille ville de Constantine. Il est le fils de Mohamed-Cherif Benazzouz, un illustre graveur sur or exerçant dans un atelier à la place Rahbet-Essouf (ex-place des Galettes) à Constantine. C’était un métier très rare à l’époque, demandant une grande dextérité et une réelle maîtrise. Sa mère est Fatima-Zohra Ali Khodja, issue d’une famille très connue à Constantine.
Abdelhadi a grandi dans une famille de trois frères et une sœur. Son père avait également la charge de sa petite famille, ses parents et sa tante. La famille Benazzouz est originaire de la ville de Mila, située à 50 km de Constantine, où une zaouïa du nom de Sidi Azzouz existe encore à la vieille ville, non loin de Aïn Lebled.
Selon le témoignage de la famille Benazzouz, ce saint homme est le descendant d’un compagnon d’Abou El Mouhadjir Dinar, le chef de l’armée des Omeyyades venue conquérir les pays du Maghreb. Pour l’histoire, lors de son passage dans la région de Mila, Abou El Mouhadjir Dinar avait fait construire la première mosquée en Algérie, qui porte aujourd’hui le nom de Sidi Ghanem.
En 1943, le petit Abdelhadi est inscrit à l’ex-école primaire Diderot, actuelle école Youm-El Ilm, se trouvant toujours à la rue El Qods, dans le quartier de la Casbah, à quelques pas de l’entrée principale du palais Ahmed-Bey. En 1949, il décroche avec brio sa sixième. Elève studieux, il était brillant particulièrement en maths et en philo.
Il rejoint l’ex-collège moderne pour garçons, actuel lycée Youghourta dans le quartier du Coudiat. «Abdelhadi, que Dieu ait son âme, a toujours gardé des liens avec le quartier où il a passé son enfance et sa jeunesse ; il connaissait parfaitement les rues et les maisons, même après que sa famille a quitté la vieille ville, il y allait souvent pour faire ses courses. C’était un pan important de sa vie», a témoigné sa femme Hadjira.
Engagement dans la grève des étudiants
Abdelhadi avait 17 ans lors du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954. Cette insurrection avait suscité un intérêt particulier et des débats passionnés dans les rangs des étudiants de Constantine, qui cherchaient toujours le moyen d’y participer, tout en attendant l’occasion qui se présentera un jour.
Dans une contribution qu’il avait signée, parue dans El Watan du 7 juin 2022, Abdelhadi Benazzouz avait évoqué la grève des lycéens et des collégiens de Constantine, «qui avait eu lieu bien avant le 19 mai 1956». Il avait rappelé la genèse des faits ayant commencé avec la tuerie organisée le 12 mai 1956 par des juifs encadrés par des agents du Mossad, ayant fait près d’une centaine de victimes parmi les Constantinois.
Ce massacre était à l’origine du mouvement de grève à Constantine de tous les élèves du secondaire. «Le lundi suivant le massacre, alors que nous étions devant la recette des impôts du Coudiat, rue Raymonde-Pechard, non loin du collège, attendant l’heure de rejoindre les salles de classe, des jeunes sont venus nous annoncer que suite au massacre du week-end, ils avaient décidé de se mettre en grève et nous demandaient de les suivre.
En peu de temps, nous entreprîmes de contacter les élèves externes du lycée Laveran (actuel lycée El Houria), du collège moderne de filles (actuel lycée les sœurs Saâdane) et de notre collège. Sensibilisés, ils ont accepté sans réserve de se mettre en grève. Les internes informés ont immédiatement suivi le mouvement», avait-il révélé. «La grève commençait et avant le 19 mai 1956, il n’y avait plus un seul élève algérien dans les établissements du secondaire à Constantine.
Cependant, de plus en plus nombreux, nous étions à considérer que la grève n’était pas une fin en soi et qu’il fallait des décisions claires qui nous engageraient en tant que partie prenante à la lutte pour l’indépendance. Nous nous sommes réunis à Sidi Mabrouk. Nous étions une quinzaine, dont Mouloud Atsamena, Benamara Ahmed, Bahloul Bachir, Belahnèche et Daoudi Merouane. Notre décision adoptée par tous était la grève des examens.
Nous venions de donner un sens à la grève et en même temps nous nous engagions lycéens et collégiens à la lutte de Libération nationale», avait-il ajouté. «C’est suite à ce mouvement que des camarades ont rejoint le maquis. Je citerai, entre autres, le défunt Bouhara Abderrazak, Abdelaziz Zerdani, Hihi El Mekki, Kara Abdelaziz, Benamrane Hamza et Guedmani Abdelwahab.
Pour nous à Constantine, quand le communiqué de l’Ugema fut rendu public, appelant à la grève générale des cours et des examens, la décision avait été déjà prise par les lycéens et collégiens. Les établissements du secondaire étaient vides de leurs élèves algériens», avait-il conclu, tout en rappelant que le FLN suivait l’évènement à Constantine et que Khalfallah Abdelaziz dit Mustapha Boutemira, futur chef de la zone 5 de la Wilaya II historique, lui avait demandé d’informer le groupe pour un éventuel contact avec le FLN.
De Grenoble au camp Paul-Cazelles
L’engagement du jeune Abdelhadi dans l’action révolutionnaire le mènera à partir à Grenoble, en France, pour rejoindre la Fédération de France du FLN. Lors d’un contrôle de police, il est arrêté à bord d’une voiture en possession d’une arme. Il était en compagnie de deux autres militants, Ahmed Ould Driss et Mohamed Bonighli. Tous les trois comparaissaient devant le tribunal pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Dans un article de presse rapportant les faits, on peut lire : «Benazzouz reconnaît avec fierté teintée d’une certaine insolence être un responsable du FLN, chargé du comité de secours aux détenus des départements de l’Isère et des Hautes-Alpes.» Il écope de six mois de prison.
Détenu pendant quelques mois au centre pénitentiaire d’Aix Luynes, dans la commune d’Aix-en-Provence, il est transféré avec plusieurs militants algériens vers le camp Paul-Cazelles ouvert en 1957 à Aïn Ouessara, à 195 km d’Alger, plus connu par «Le camp de la mort». Les conditions de vie étaient pénibles dans des baraques en tôle exposées à la neige et au froid en hiver, et à la fournaise en été.
Les détenus souffraient d’un manque terrible d’eau, de malnutrition, de maladies et de mauvais traitements. Benazzouz y est resté un an et un jour, jusqu’à sa libération après le cessez-le-feu du 19 Mars 1962. Au lendemain de l’indépendance, il avait travaillé durant quelques mois dans les services des PTT, avant de les quitter pour vivre une belle expérience dans le domaine du journalisme.
L’aventure de la presse
«Ses amis lui demandaient toujours pourquoi il n’exploitait pas ses talents dans l’écriture, et c’est comme ça qu’il avait fait son entrée au journal An-Nasr paraissant en français à l’époque, grâce à son ami Mahmoud Tlemçani», a révélé à El Watan son épouse Hadjira. Le journal An-Nasr fut créé après la nationalisation de la Dépêche de Constantine et de l’Est algérien, dont le siège se trouvait au n°100, rue Larbi Ben M’hidi à Constantine.
Le premier numéro fut lancé le 28 septembre 1963 par un groupe dirigé par Abdelhafid Fetoui.
Mahmoud Tlemçani était le rédacteur en chef de cet organe de presse entre juillet et octobre 1964, puis directeur général du 29 avril 1965 au 8 février 1966. Dans une étude intitulée «La genèse de la presse nationale en Algérie – Le parcours d’An-Nasr (1963-1971)», le Dr Samir Merdaci, historien et sociologue de la presse décrit Abdelhadi Benazzouz comme «un pionnier qui participe à l’histoire de la presse dans l’Est algérien».
Il note : «C’est sous la direction d’Ahmed Belaïd (2e directeur général après Fetoui) qu’un jeune rédacteur sans aucune formation dans le métier est recruté : Abdelhadi Benazzouz est le premier journaliste professionnel exerçant dans un quotidien dans l’Est algérien». Au mois d’octobre 1963, Benazzouz est envoyé en mission à Bizerte, en Tunisie, pour couvrir la rencontre intermaghrébine entre Bourguiba, Nasser et Ben Bella, et au mois de décembre de la même année, il couvre la visite officielle en Algérie du Premier ministre Chinois Chou Enlai.
Il ne tarde pas à devenir rédacteur en chef d’An-Nasr du 25 janvier 1965 au 13 septembre 1966, puis directeur général du 17 juillet 1968 au 4 mai 1972, soit bien après l’arabisation du journal le 3 janvier 1972. Une période marquée par une importante évolution sur le plan rédactionnel avec l’ouverture de bureaux à Alger, Annaba, Batna et Sétif.
On notera également la création en 1967 d’une page littéraire, la première dans l’histoire de la presse nationale, animée par Malek Haddad. «Abdelhadi était lié d’une grande amitié avec Malek Haddad, qui était l’une des plus grandes plumes à l’époque dans le journal An-Nasr ; ils étaient souvent ensemble et se rencontraient pour débattre durant des heures sur divers sujets», témoignait Mme Benazzouz. Quelques mois après l’arabisation d’An-Nasr, Benazzouz met le cap sur la revue Révolution africaine à Alger où il avait occupé le poste de rédacteur en chef jusqu’en 1976.
Cadre de l’Etat
Abderrezak Bouhara, son ancien camarade à l’ex-collège moderne des garçons à Constantine, alors wali d’Alger entre 1975 et 1978, lui propose d’intégrer le corps des cadres de l’Etat. Benazzouz accepte. En 1976, il est chef de daïra à Boudouaou, dans la wilaya d’Alger, avant d’être affecté dans le même poste à Messaâd, dans la wilaya de Djelfa, en 1978, où il avait réalisé beaucoup de choses dans une région dépourvue de nombreux équipements. En 1981, il est chef de daïra à El Kala, occupant pour quelques mois le poste de SG de la wilaya d’El Tarf.
Il est désigné en tant que chef de la daïra de Chlef en 1984, puis celle de Laghouat en 1987, pour être finalement admis à la retraite en 1990. «Une décision qu’il avait acceptée avec pragmatisme, même s’il sentait qu’il pouvait encore faire beaucoup de choses ; une retraite qu’il avait passée entre sa famille, sa passion pour la lecture, les mots croisés, les courses et les parties de cartes avec ses amis, jusqu’à sa maladie qui l’avait beaucoup affaibli», raconte son fils Sofiane. «Depuis son enfance, il avait une grande passion pour la lecture qui l’a accompagné durant toute sa vie.
Il avait une mémoire phénoménale ; il était très modeste et n’aimait pas se mettre en avant ; il ne fréquentait pas beaucoup et choisissait ses amis», ajoute son épouse. Abdelhadi Benazzouz est décédé le 1er septembre 2024, laissant derrière lui l’image d’un père exemplaire, un homme affable et un cadre qui a dignement servi son pays.