Il y a trente-quatre ans disparaissait Nouredine Staïfi : La voix soft qui a modernisé un genre populaire

18/12/2023 mis à jour: 00:06
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L’enfant de Aïn Azel est resté fidèle à l’art de son pays et de sa régio

Il avait subjugué le public algérien par sa voix et ses chansons, marquées par son cachet particulier, bien que sa carrière artistique ait été très courte. 

En moins de vingt ans, Nouredine Staïfi avait su donner une autre dimension au patrimoine musical de sa région natale grâce à son talent remarquable. Il avait commencé tout doucement, avant de parvenir au fil des disques et des cassettes, à se faire une place de choix parmi les artistes les plus célèbres interprétant ce genre musical très apprécié en Algérie. 

Il savait bien manier les paroles et choisir les musiques. De son vrai nom Larbi Smati, Nouredine Staïfi est né le 26 octobre 1956 à Aïn Azel, une petite ville paisible et entourée de montagnes, située à 50 km de Sétif. Son nom d’origine berbère est composé de «Aïn» (source) et «Azel» (milieu de la journée), ce qui veut dire, selon la version populaire, la «Source de midi» parce que les troupeaux venaient s’y abreuver au milieu de la journée. Face à la rareté des sources sur la biographie de Nouredine Staïfi, on ne sait rien sur son enfance ni sur les conditions de sa famille, sauf que ses parents se sont installés à Chambéry dans le département de la Savoie, en France, en 1957, alors qu’il avait 6 mois. 

Cette commune, située à 100 km au sud-est de Lyon, au milieu des montagnes, dans un cadre naturel verdoyant, comme Aïn Azel en Algérie, avait connu dans les années 1950-1960 un accroissement démographique important marqué par la naissance de nouveaux quartiers et des zones industrielles. Ce qui avait nécessité un apport conséquent en main-d’œuvre issue majoritairement de l’émigration. 

Un fait qui explique la présence dans cette région d’une importante communauté algérienne, originaire surtout des Hauts-Plateaux sétifiens. On sait aussi que sa scolarité a été interrompue d’une manière précoce pour des raisons inconnues. Larbi Smati, qui avait choisi le métier de moniteur d’auto-école, s’intéressait à la musique dès son jeune âge. L’environnement familial lui était favorable. Son père lui offre une guitare et le jeune Larbi commence à reprendre des chansons françaises. 
 

Une carrière couronnée de succès

Le chercheur et artiste Abdelkader Bendameche, qui a consacré une notice à Nouredine Staïfi dans son livre Les grandes figures de l’art musical algérien, paru en 2003 aux éditions Cristal Print, notait à propos des débuts musicaux du futur chanteur : «Ses parents ne voient pas cela d’un bon œil, car ils voulaient que leur fils pratique la musique algérienne. Aidé par son oncle qui dirigeait un groupe de variétés, Nouredine apprend plusieurs succès de Rabah Deriassa.» C’était dans les années 1970. 

Le défunt grand chanteur était parmi les stars de la chanson algérienne avec ses célèbres titres de l’époque que de nombreux Algériens et Algériennes connaissaient par cœur, comme Nedjma Kotbia, Warda Baydha El Houta, Ya el goumri, Douri ya saâ, Habit ntoub, Ya teffaha, et surtout le fameux poème Hayzia. C’est ainsi que le jeune Nouredine entamera ses premiers pas. « Alors qu’il était à peine âgé de 15 ans, il interprétait fidèlement un succès de sa principale source d’inspiration Deriassa à l’occasion d’une cérémonie de mariage ; la chanson s’intitule Ouled El Djazaïr qu’il chante pour la première fois», ajoute Bendameche. Son entourage l’encourage et c’est ainsi qu’il se lance dans une carrière artistique qui sera couronnée de succès. 

Un éditeur, Amar Hamza, remarque ses talents. Il commence par lui réaliser quelques disques 45 tours. Face au succès qui ne manquera pas à suivre, le même éditeur lui produira en cassettes l’ensemble de ses œuvres, dont une vingtaine écrites, composées et interprétées par Nouredine Staïfi. Ce dernier a opté pour la chanson sétifienne, qui avait un public passionné, notamment parmi la communauté algérienne en France. Il s’inspirait au début des textes du terroir, avant de développer ses propres paroles et son style. 

Ce qui le fera distinguer des autres interprètes de ce genre populaire. «Nouredine Staïfi a apporté de la fraîcheur à un genre musical, celui de la région de Sétif réputée folklorique, connu localement. Il introduit l’instrumentation moderne, guitare électrique et accompagnement, clarinette et saxophone, ajouté à la chorégraphie adoptant lui-même un comportement scénique basé sur le rythme, les déplacements et les déhanchements», indique le même auteur.
 

 

 

Chanson culte et clip célèbre

Très marqué par l’émigration, Nouredine Staïfi a abordé dans de nombreuses chansons la nostalgie du pays et les douleurs de l’exil. Ce qui apparaît dans son plus grand succès Salah kounek Salah. Un titre qui a laissé une forte empreinte chez des générations d’Algériens, au point d’être filmé sous forme d’un clip qui continue de faire sensation sur YouTube. 

Mais en réalité, le premier clip de cette chanson a été l’œuvre du réalisateur algérien Mohamed Hazourli, de la station régionale de la télévision à Constantine. Il a été diffusé pour la première fois sur le petit écran en 1979, après avoir été tourné au cœur des vestiges de la ville archéologique de Djemila dans la wilaya de Sétif. Un décor naturel et historique dans lequel apparaissait Nouredine Staïfi en costume classique chanter Ya Saleh kounek salah, el ghourba saâiba waynek rayeh (Ô Salah, sois un homme brave, l’exil est dur où est-ce que tu t’en vas). 

La chanson connaît vite le succès et sera classée parmi les meilleurs tubes de l’année. Une année plus tard, un clip dans lequel apparaissent huit belles filles de terminale du prestigieux lycée El Houria à Constantine, portant des habits traditionnels chaouis, dansant avec grande classe sur les airs de cette chanson, fera fureur sur les chaines de télévision au point d’enregistrer plus de 4,4 millions de vues depuis qu’il a été posté sur YouTube jusqu’à ce jour. Une vidéo qui restera gravée dans la mémoire des générations ayant vécu ces moments, continuant de susciter des réactions de la part de tous les nostalgiques. 

Depuis, Nouredine Staïfi a commencé à séduire un nouveau public de tous les âges. Durant sa courte carrière, il a chanté l’amour, l’affection, le chagrin, la solitude, le mauvais sort et tant d’autres thèmes sociaux. Parmi ses titres les plus connus, on cite Ana Litime, Ya rabi sidi, Khali khou loumima, Iferradj Allah, Salou ala Mohamed, Ouinou zahri, Aoudi Lazreg et Ya maâchite el ghorba. Il a repris des chansons du terroir sétifien comme Merir ya merir, Ya Amer ya nassi. Il était aussi plus connu pour ses titres vantant la beauté des femmes algériennes en général et des Sétifiennes en particulier, dont Bent houmti, Samra kouiti guelbi, Demaâ salet, El aïne el kahla, Zaïrate el ouali, Rouh ya merssoul et Zinet ezzinet. 

Son public retiendra ses succès interprétés dans les années 1980, comme Matebkiche ya Djamila en 1986, Raouah Ferhane, El Aahed. Il a aussi chanté pour son pays son titre Djazair Ya zina en 1985. Un hymne à l’Algérie indépendante et à la révolution tourné sur le site de Riad El Feth à Alger. Dans ses nombreuses chansons, dont des clips ont été tournés à la station de télévision de Constantine, Nouredine Staïfi a apporté de nouvelles compositions, des arrangements inédits, parvenant à innover, préservant les  origines, tout en restant très discret, sans trop chercher la célébrité. 

Le public algérien avait apprécié surtout son style sobre et son élégance, sans oublier ses mouvements de danse qui lui sont typiques, rappelant beaucoup ce que faisait sur scène le célèbre chanteur américain Michael Jackson, qui était de sa génération (né en 1958). Nouredine Staïfi s’est éteint en France le 17 décembre 1989 à l’âge de 33 ans, emporté par une leucémie, laissant derrière lui l’image d’un artiste qui a toujours été fidèle à l’art de son pays et de sa région natale. Il a été enterré au cimetière de Sidi El Khier à Sétif.

Hommages posthumes

Les souvenirs de ses chansons filmées sont toujours présents dans la mémoire de  ceux qui l’ont apprécié dans les années 1980 et que les jeunes générations d’aujourd’hui peuvent découvrir et apprécier sur YouTube. Nouredine Staïfi restera parmi les plus illustres représentants de la chanson sétifienne. Il a beaucoup travaillé et persévéré pour atteindre la consécration tout en restant modeste. Tout au long de son parcours de chanteur émigré, Nouredine, comme beaucoup d’autres artistes algériens, a été marqué par le mal du pays et l’exil. 

En 2019, le label parisien Versatile Records lui a rendu hommage en faisant redécouvrir ce chanteur à travers à un petit réedit vinyl de deux de ses titres, Aye Leli Lelou et Goultili Bye Bye, enregistrés dans une cassette parue en 1985 chez les éditions Merabet. 

Une œuvre de mémoire pour cet enfant de la région de Sétif que l’on a tendance à oublier. En 2008, le commissariat du Festival culturel local de la musique et de la chanson staïfi, œuvrant pour la sauvegarde du patrimoine de la région, a rendu un vibrant hommage à Nouredine Staïfi, au même titre que le défunt Samir Belkhir, plus connu par Samir Staïfi, Bekakchi El Khier, Abdelghani Tchir, les regrettés Lyes Smati plus connu par Lyes Staïfi, le grand Saïd Mhenguel, l’un des pionniers du genre staïfi, sans oublier Mokhtar Mezhoud, Abbes Rezig, Brahim Bouras, Tahar Goufi et Mohamed Benchaib. 

Parmi les chanteuses, on retiendra les noms de la défunte Fouzia Meriane et Yamina Ziri plus connue par El Ghalia.  
                                                
                                                                   

 

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