Il avait réussi à faire main basse sur l’affichage urbain : Le neveu des Bouteflika en fuite

16/03/2025 mis à jour: 04:09
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Interminable s’avérera, semble-t-il, le «feuilleton culte» sur le crime en col blanc, mettant en scène la collusion entre le milieu des affaires et le monde politique. 

Il est aujourd’hui établi que la gestion des affaires publiques a, certes, souvent été entachée de pratiques immorales, de manque de décence révoltant, mais rarement elle l’a été autant que ce que la justice est en train de dévoiler depuis la chute de l’ancien régime. La sortie, il y a quelques jours, d’un nouvel épisode dont les têtes d’affiche sont un ancien ministre de l’Intérieur, un ancien directeur de protocole à la présidence de la République et le neveu de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, témoigne de l’ampleur de la gabegie que la issaba voulait perpétuer dans l’ombre protectrice des cabinets de la plus haute administration. C’est donc un vieux réseau parmi tant d’autres tissés pendant les vingt ans de règne des Bouteflika qui vient d’être défait par les investigateurs des services compétents. 

Au terme d’une vaste enquête sur des soupçons de corruption, liés à des contrats d’installation de panneaux publicitaires à Alger, ont été mis en cause par le juge d’instruction du pôle pénal économique et financier du tribunal de Sidi M’hamed, l’ancien ministre de l’Intérieur, Salah Eddine Dahmoune, placé en détention provisoire, l’ex-chef de protocole du président Bouteflika, Mokhtar Reguig, déjà incarcéré pour une autre affaire ainsi que plusieurs anciens élus et cadres d’APC placés sous contrôle judiciaire. 

L’enquête sur des soupçons de corruption et de favoritisme pesant sur les deux symboles du système Bouteflika ainsi que sur les pressions qu’ils auraient exercées sur le wali-délégué de Dar El Beïda au profit d’une agence publicitaire appartenant au neveu des Bouteflika pourrait concerner plusieurs responsables locaux, y compris des secrétaires généraux d’APC de la capitale, apprennent des médias nationaux. 

En effet, «Innomedia», une société que dirigeait Ahmed Karim Benmansour, fils de l’une des sœurs de Bouteflika, établie dans une ville de l’ouest du pays, trônait près de deux décennies durant sur le fort juteux marché des panneaux publicitaires dans la capitale et dans plusieurs autres wilayas du pays, révélera-t-on. 

De jeune pousse à redoutable géant en fuite à l’étranger

Depuis la chute de son oncle, celui que l’on surnommait «Seigneur des panneaux» était parvenu, à renfort de contrats costauds, à faire, en très peu de temps, de la jeune pousse Innomedia un géant de la régie publicitaire d’affichage (OOH -Out-Of-Home). 

Sa fulgurante ascension dans les affaires, au cours de la décennie 2008-2018, surtout, lui permettra de damer le pion à ses concurrents immédiats de la publicité urbaine, pourtant non moins puissants, finissant par les laminer. 

Jusqu’à 2019, évoquer le seul nom du trentenaire qui comptait parmi la clientèle attitrée du prestigieux Club Med, dit autrement de la Jet Set internationale, faisait trembler le monde des publicitaires dans l’Algérois et partout ailleurs, au point où certains médias étrangers s’y étaient intéressés. Mais le départ du pouvoir de ses deux oncles en 2019 poussera le jeune businessman à lâcher du lest et faire profil bas, en renonçant début 2020 à la direction de son groupe pour finalement fuir le pays.

 Il se serait, d’après des sources proches de l’affaire, réfugié en Suisse, pays de la sécurité et de la sûreté absolue, auquel la famille Bouteflika est historiquement attachée. Là où ont également élu domicile nombre d’oligarques, leurs avoirs criminels ainsi que leurs protecteurs/facilitateurs du pouvoir politique afin de se soustraire à la justice. 

Cette même justice qui, poursuivant la lutte contre la corruption au sein de l’Etat, cheval de bataille du Président Abdelmadjid Tebboune, a fini par les rattraper un à un. Et avec ce nouveau scandale politico-financier, impliquant notamment un membre de la famille Bouteflika, un ex-ministre de l’Intérieur, un ex-patron du protocole présidentiel ont, ainsi, à nouveau été extraites des coulisses de la sphère politique puis projetées sur la scène publique les dérives de l’ancienne administration qui vont de l’octroi d’avantages indus, de la corruption à l’attribution de marchés illégaux en passant par le détournement et la dilapidation de deniers publics. 

Pour tous ces faits et tant d’autres, non moins préjudiciables, l’interminable défilé d’hommes d’Etat et d’hommes d’affaires devant les juges, auquel l’on assiste ou que l’on suit, médusé, depuis plus d’un lustre, témoigne de l’étendue de la dépravation haut standing, de l’extravagance des accaparements et du cynisme aveuglant dont faisaient preuve les anciens «maîtres du jeux» et leurs relais gravitant autour de la sphère Bouteflika. 

 INTERMINABLE DÉFILÉ

Ceux-là mêmes qui, comme le soulignait Pr Omar Aktouf dans une interview fort marquante accordée à notre rédaction en mars 2013, avaient «ouvert le bar pour tous les magouilleurs au Saloon de l’Etat.  Ce régime porte en lui, de façon structurelle, les bases et conditions de la corruption. De toutes parts, il se nourrit de corrupteurs et de corrompus». 

Le célèbre économiste, poussé au silence par ceux dont il n’avait justement eu de cesse de dénoncer les comportements déviants et la volonté sournoise de faire de l’Algérie «un Etat qui n’est plus que chaise musicale de rentiers, de comité de gestion des intérêts de ses kidnappeurs de l’ombre», laissait entendre que pour sauvegarder ces intérêts, il était évident que des compromissions, il en fallait et elles étaient sans fin. Et «qui dit compromissions, dit ‘‘clans’’, et qui dit clans, dit constants jeux de ‘‘monnaies d’échange’’ et autres ‘‘renvoi d’ascenseur’’ ». 

Le temps finira par lui donner raison. Parmi les privilégiés et influents lobbyistes de l’ombre auxquels faisait allusion Pr Aktouf, il y en a plusieurs qui sont, depuis, sortis malgré eux, d’un bien long anonymat. Leurs noms étant aujourd’hui sinistrement cités dans les tribunaux. 

Le tout dernier, Ahmed Karim Benmansour, maillon fort d’un énième chapitre du Holdup d’Etat’’ à l’actif de la Issaba, jusqu’alors camouflé par une troublante omerta étatique que la justice a, une fois encore, réussi à briser.                       

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