Houria Ahcène-Djaballah. Professeur de psychologie : «La violence physique s’exerce en continuité de la violence psychologique»

27/01/2025 mis à jour: 00:22
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Photo : D. R.
  • Les chiffres sont clairs. Il y a hausse des violences faites aux femmes. Comment l’expliquer ?

Pour parler de hausse des violences faites aux femmes, il faudrait que ce soit objectivé par des données statistiques, même si une grille d’observation sociale pourrait permettre d’avancer cette assertion.

Toutefois, face à l’augmentation des fléaux sociaux dont celui du trafic des psychotropes qui n’est pas des moindres, et compte tenu de la banalisation des actes de violence, on pourrait déduire que la hausse des violences faites aux femmes est inéluctable.

Elles sont les victimes expiatoires idéales, chargées de toutes les frustrations subies. L’outrance dans les accusations n’a aucune limite et se moque de la contradiction apportée par la réalité, et ce, par répétition d’un discours misogyne.

Tant que la femme est réduite à un objet que l’on doit soit couvrir ou exhiber, tant qu’on nie à l’autre le droit d’être à part entière, tant que la culture du respect, de la réussite par l’effort et par le mérite ne s’impose pas dans les médias et sur les réseaux sociaux, alors, ces discours diabolisant les femmes produiront encore plus de violences.

  • Y a-t-il des signes qui peuvent aider à déceler des cas de violences faites aux femmes ?

Il est difficile de généraliser, mais nous pouvons tout de même constater les signes d’un traumatisme psychologique qu’on ne peut attribuer automatiquement à des violences subies étant donné le nombre d’événements traumatiques auxquels la société a été confrontée, sauf s’ils sont accompagnés de blessures physiques. Toutefois, un repli sur soi, un évitement des discussions «conflictuelles», de brusques sursauts lorsque des voix s’élèvent, une tension anxieuse sont autant de signes indicateurs.

En réalité, la violence n’est reconnue comme telle que lorsque ses conséquences deviennent visibles, difficiles à cacher, obligeant la victime à consulter un médecin. Le plus souvent, les victimes, culpabilisées, se soumettent à l’ordre établi, allant parfois jusqu’à estimer cette violence comme preuve d’amour et de considération.

Les signes de violences faites aux femmes sont observables quotidiennement autant dans les espaces publics que dans les espaces privés. En fait, la violence est partout où il n’y a pas de respect. Une société saine se construit sur la base du respect en commençant dans la famille à travers le respect de l’épouse, de la mère, de la sœur...

  • Que peut faire une personne qui soupçonnerait un cas de violences conjugales dans son entourage  ?

Tout dépend des capacités d’action dont dispose cette personne. Le minimum est d’apporter à la victime une présence accrue à ses côtés, de l’écoute et de l’aide afin de lui redonner confiance en elle-même, et peut-être la force de réagir en étant assurée qu’elle n’est pas seule, abandonnée à son sort.

Il est possible aussi d’éloigner la victime de son foyer pour la soustraire à la violence, le temps d’assurer une médiation qui lui permette de revenir dans son foyer, sans crainte. Dénoncer les faits, n’est ni dans nos pratiques ni dans nos usages, et c’est hélas le dénonciateur qui subira l’opprobre et non le dénoncé.

  • Selon vous, faut-il pousser une victime à porter plainte ?

Il ne s’agit pas de pousser une victime à porter plainte, encore faut-il pouvoir non seulement la convaincre du bien-fondé de la démarche mais aussi et surtout être en mesure de l’accompagner jusqu’au bout, jusqu’à la restauration de son estime de soi et la reprise en main de sa vie. Trop souvent, les victimes s’arrêtent au «certificat médical» qui leur sert de «protection». D’autres vont jusqu’à déposer plainte, mais peu poursuivent la procédure.

  • Outre les violences physiques, il y a aussi les violences psychologiques. Pourtant, ce type de violences est encore peu connu. Pourquoi ?

Parce que les violences psychologiques sont insidieuses. Il est habituel, dans la vie de chacun de nous d’essuyer des remarques désobligeantes, et ces remarques glissent chez les personnes jouissant du contentement de soi. Fréquentes et inscrites dans la durée, ces remarques visent à dévaloriser la victime, à détruire son estime de soi, ce qui la rend vulnérable et tend à l’asservir.

Le degré le plus bas est celui de la violence verbale, puis nous avons la limitation de l’espace de circulation, la remise en cause des compétences, la restriction des moyens économiques, voire du standing de vie. Toutes ces violences s’installent graduellement, subrepticement, annihilant toute volonté de réaction et tout pouvoir d’action. Finalement, la violence physique s’exerce en continuité de la violence psychologique.

  • Existe-t-il un profil type de l’homme violent ?

Hormis les psychopathes qui recourent inéluctablement à la violence pour exercer leur contrôle sur leurs victimes, chacun de nous est capable de violence. Ce qui nous différencie principalement, ce sont les seuils de tolérance à la frustration, d’une part, et les seuils de contrôle de soi, d’autre part. Plus ces seuils sont bas, plus le passage à l’acte violent est aisé.

Nous ne devons pas négliger non plus le support idéologique qui autorise la violence, voire qui la prescrit, car «la femme doit savoir rester à sa place, sous peine d’être corrigée par l’homme». Ce support idéologique d’essence purement «machiste» n’a aucun lien avec les «traditions» ni avec la religion dont il est indûment et abusivement habillé.

En d’autres termes, la santé de la société est tributaire de la libération de cette idéologie «machiste», cette idéologie qui, en portant atteinte à l’équilibre fonctionnel des institutions sociales, à leur base la famille et au bien-être de chacun de ses membres, a ouvert la voie à tous les maux sociaux qui sont devenus la norme là où ils auraient dû rester marginaux. 

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