Hommage / Il y a vingt trois ans disparaissait Saliha Essaghira : La voix de Thawrat el Ahrar

28/11/2023 mis à jour: 07:33
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Saliha Essaghira, lors de la célèbre soirée du 31 octobre 1970 photo : d.r.

Le 28 novembre 2000 nous a quittés cette grande chanteuse à la voix éclatante, au répertoire remarquable et au parcours impressionnant, laissant son empreinte dans l’histoire de l’art musical algérien.

 

Durant les années 1970, une chanson a énormément marqué des générations d’Algériens. C’était l’époque du socialisme dans un pays qui vivait au rythme des grandes réalisations. 

Chaque année, et jusqu’à ce jour, aucune célébration de la Fête de la révolution du 1er Novembre, et celle du recouvrement de l’Indépendance le 5 Juillet, ne passe sans la diffusion à la télévision, à la radio et dans les places publiques de toutes les villes algériennes de la fameuse Thawrat el Ahrar, chantée par Saliha Essaghira.

Vingt-trois ans après sa disparition, la jeune génération, née dans les années 1990 et 2000, connaît peu de choses de cette grande artiste. Peu de faits ont été révélés sur elle dans les notices réservées aux chanteurs algériens. Rares sont les sources qui avaient parlé de sa biographie et de son parcours artistique. 

Pour preuve, les écrits disponibles sur sa biographie n’arrivent pas à assouvir la curiosité de ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’art musical en Algérie. Pourtant, Saliha Essaghira avait réussi un parcours artistique exceptionnel. Elle est devenue une artiste incontournable dans les opérettes nationales, montrant également d’énormes capacités vocales dans divers genres musicaux. Elle passait avec aisance du terroir à l’oriental, sans oublier le tarab el acil, le mouachah, le patrimoine tunisien, le malouf et la chansonnette. 

Dans le milieu artistique, on n’avait pas hésité à lui donner le titre de «Kawkab El Maghreb el arabi», en référence à «Kawkab Echarq», Oum Kaltoum. Sans exagérer, aucune voix à l’époque ne pouvait rivaliser avec la sienne. Malheureusement, Saliha Essaghira avait connu des phases difficiles et des déceptions. Mis à part ses apparitions à la télévision, à l’occasion de divers événements, Saliha Essaghira n’avait pas eu l’occasion d’être présentée à son public que peu d’années avant son décès. Très sensible, elle se sentait marginalisée et mise à l’écart à une certaine période de son parcours artistique, bien que des hommages lui ont été rendus, mais tardivement.
 

Débuts d’une grande voix

De son vrai nom Hind Zakaria, elle est née le 23 mars 1942 à El Magren, aujourd’hui, une commune située à 29 km au nord de la ville d’El Oued. Après sa naissance, ses parents émigrent en Tunisie, où son père cherchait du travail. La petite Hind, qui présentait une cécité, avait été placée dans une école pour non-voyants dans la capitale tunisienne. Passionnée par le chant, elle participe aux activités culturelles scolaires, notamment les opérettes préparées pour les cérémonies de fin d’année. 

Dans son livre Les grandes figures de l’art musical algérien paru en 2003 aux éditions Cristal Print, l’artiste et chercheur Abdelkader Bendaâmache a réservé une notice à Saliha Essaghira. Il a noté : «Elle apprend à exercer ses cordes vocales en chantant des airs orientaux. Elle est découverte à l’âge de 13 ans (1956), à l’occasion de représentation d’une fin d’année. Il s’agit d’une opérette dont l’héroïne s’appelait Hennada, et c’est par analogie de nom qu’elle fut choisie pour camper ce rôle. Séduit par les qualités exceptionnelles de la petite Hind ou Hennada, le célèbre musicologue tunisien Salah El Mahdi la fait admettre au sein de l’institut Rachidia de Tunis qu’il dirige.» 

C’est ainsi que Salah El Mahdi (1925-2014), impressionné par sa voix, l’encourage à suivre des cours au conservatoire, avant qu’elle ne commence à chanter et enregistre à la radio tunisienne. Elle aimait surtout imiter les chanteuses égyptiennes Oum Kaltoum et Faïza Ahmed. Elle avait commencé ainsi par reprendre des chansons de la célèbre Saliha Tounsia (1914-1958).  

Cette dernière, de son vrai nom Salouha Bent Brahim Ben Abdelhafidh, est d’origine algérienne, puisqu’elle était née en 1914 à Souk Ahras, avant que son père ne parte vers la Tunisie à la recherche du travail, en compagnie de sa femme et de ses deux filles (Salouha et Aldjia). La jeune Hind chante les célèbres titres de Saliha, tels que Bakhnoug bent el mahamid Aicha, Men fraq Ghzali, Khdoud ettoufah, Bellah ya Ahmed ya khouya, Dar el felk, Ya noudjoum ellil, Sag nadjaak sag et autres. On suppose ainsi qu’après un hommage rendu à la chanteuse Saliha, en 1961, dans lequel elle avait pris part, que la jeune Hind Zakaria sera désormais connue sous le pseudonyme de Saliha Essaghira (La jeune Saliha). 

Après l’indépendance, Saliha Essaghira retourne en Algérie où elle s’installe puis s’illustre comme une icône de la chanson patriotique durant les années 1960 et 1970. Toutefois, elle quitte l’Algérie pour s’installer en France dans les années 1980. Les raisons de son départ n’ont pas été révélées à ce jour. Beaucoup de zones d’ombre entourent cette période de sa vie. Cette absence mystérieuse durera jusqu’en 1995. 

A son retour, elle chante Aoudet Lehbab (Le retour des amis). Malheureusement, une malencontreuse information infondée et non vérifiée a été diffusée par la télévision algérienne en 1998, annonçant sa mort. Un fait qui l’a énormément affectée et la marquera pour le reste de sa vie. Pour rectifier le tir, on s’est pressé pour lui organiser un hommage dans la wilaya d’El Oued en 1999. Saliha Essaghira s’est éteinte mardi 28 novembre 2000 à l’âge de 58 ans, laissant derrière elle les souvenirs d’une femme d’une grande générosité, affable, souriante, aimable et dévouée pour son art.
 

Un répertoire riche

Durant une carrière de près de 40 ans, Saliha Essaghira avait chanté une grande variété de genres musicaux. Son riche répertoire compte pas moins de 250 poèmes. Elle avait travaillé avec des auteurs algériens comme Mohamed Bouzidi, Slimane Djouadi, Lakhdar Essaihi, Belkacem Khemar, Djilali Haddad et Abderrezak Djebali. On citera parmi ses œuvres Yal Kheima (paroles d’Ahmed Kheiredine, musique de Khemayes Ternane) Quesset hob (paroles de Said Hayef, musique de Haddad Djilali), Nahnou mahaqna el ouboudia et Nachid filistine (paroles de Mohamed Reda, musique d’Abdelouahab Salim), ainsi que El Hamama et Ya redjel (paroles et musique de Blaoui Houari). Parmi ses chansons les plus connues, on retrouve Lahn el ouadaâ (Mélodie d’adieu) (paroles de Mohamed Lakhdar Essaihi, musique d’Abdelouahab Salim). Son répertoire compte également des titres comme Mrid fani, Fel ghourba fnali, Ybecherk bel khir (paroles d’Abderrezak Djebali, musique de Maâti Bachir). 

L’un de ses chefs d’œuvre demeure l’opérette Ghezala d’une durée de 50 minutes diffusée à la télévision algérienne en 1978, d’après des paroles de Lakhdar Saihi, et la musique de Lamine Bechichi. L’orchestre était dirigé par le regretté Maâti Bachir. On retiendra également son mémorable duo avec Meriem Wafa, dans la fameuse chanson Oumah (Ô mère) (paroles de Slimane Djouadi, musique de Maâti Bachir). Une magnifique chanson du style classique très appréciée par le public mélomane de l’époque, interprétée sous forme d’un dialogue entre la mère (Saliha Essaghira) et sa fille (Meriem Wafa) qui lui révèle qu’elle est tombée dans les mailles de l’amour. Une œuvre de haute facture, portant un discours moralisateur de portée sociale chantée avec force et émotion. Cette chanson mérite d’être classée parmi les meilleures chansons dans l’histoire du patrimoine musical algérien.
 

Une chanson culte

Tawrat el Ahrar a été la chanson typique pour célébrer la Révolution algérienne. Ecrite par Hafedh El Behiri et composée par le musicien Tayssir Aqla, elle demeure encore d’actualité grâce à des paroles fortes, une musique d’une grande originalité et une voix terrible de Saliha Essaghira, qui avait à peine 28 ans, lorsqu’elle l’a interprétée pour la première fois dans la soirée du 31 octobre 1970, veille du 16e anniversaire de la Révolution. Formée de quatre couplets, cette œuvre magnifique glorifie la Révolution algérienne. 

Elle évoque les réalisations nationales durant la belle époque du socialisme, dans l’agriculture, l’industrie, les services, la construction des instituts, des usines et la reconstruction du pays. Elle rappelle également l’instauration de l’arabisation, le service national, ainsi que le rôle de l’Algérie dans le Maghreb et son soutien aux mouvements de libération dans le monde arabe et en Afrique, quand le continent noir a été le «cimetière» du colonialisme. Une deuxième diffusion de Thawrat El ahrar a eu lieu en 1971 à la même occasion. 

La chanson a eu un énorme succès. Elle a résisté au temps, dépassant même les frontières, pour devenir un hymne pour tous les révolutionnaires dans le monde arabe. Elle est toujours écoutée et diffusée dans plusieurs sites web et surtout sur YouTube.  Tawrat el ahrar sera reprise sous une nouvelle distribution et chantée par la jeune chanteuse Houria Hadjadj, également non-voyante et révélation de l’école de la célèbre émission «Alhane oua chabab» pour l’année 2013, avant sa diffusion la même année dans l’émission de variétés Ahalil. Un vibrant hommage a été rendu à Saliha Essaghira le 15 février 2000 par la radio d’El Oued, où elle avait été invitée. Elle était très heureuse de retrouver sa terre natale. 

Cela s’est passé neuf mois avant son décès. 

Un hommage posthume lui sera rendu le 29/11/2013 à El Oued sous l’égide du ministère de la Culture. «Saliha Essaghira était une militante pour la parole intelligente et cultivée au sens artistique profond», avait déclaré le compositeur Lamine Bechichi. Pour Maâti Bachir, qui a beaucoup travaillé avec elle, «Saliha Essaghira est une école ; elle est un exemple rare dans le monde arabe et pas uniquement en Algérie».   

 

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