Hommage à une «combattante pour la dignité humaine" : Témoin et actrice du 17 Octobre 1961, Monique Hervo sera enterrée à El Alia

22/03/2023 mis à jour: 11:01
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Feue Monique Hervo

Notre amie Monique Hervo nous a quittés le lundi 20 mars à Nanterre, au Centre d’accueil et de soin hospitalier où elle résidait depuis le début du mois de février.» 

Décédée à 95 ans la «combattante pour la dignité humaine et pour la fraternité», dont la dépouille sera rapatriée vendredi, sera inhumée au cimetière El Alia à Alger, où elle reposera auprès des militants et des martyrs pour l’indépendance de l’Algérie.
L’information est donnée par Mehdi Lalaoui, cofondateur de l’association «Au nom de la Mémoire» sur le 17 Octobre 1961. 

Dans un hommage consacré à la vie d’engagements de la défunte qu’il a accompagnée pendant de longues années, publié lundi sur le site de Médiapart, l’écrivain et journaliste a rappelé que Monique Hervo venait de traverser ses 95 ans et s’était posée, au printemps dernier, dans un petit village de l’Aisne pour passer l’hiver. 

Avant cela, elle demeurait dans une caravane au camping de la Noue des Rois (Saint-Hilaire-sous-Romilly). Elle s’y était installée depuis le début de ce nouveau siècle. C’est «entourée de l’affection et de la bienveillance de ses nombreux amis, dont les familles des anciens bidonvilles de la ville, qu’elle est partie vers les terres des gens de bien». «J’ai été pour la libération de l’Algérie tout de suite», rappelait souvent Monique Hervo, qui portait comme une grande fierté sa nouvelle nationalité, a rappelé Mehdi Lallaoui. 

En reconnaissance à son engagement pour l’indépendance de l’Algérie, aux côtés des Algériens des bidonvilles de Nanterre, les autorités algériennes offrirent à Monique Hervo la nationalité algérienne en 2018. «Etre aux côtés des Algériens par une vie partagée. Au service de la lutte d’un peuple colonisé sans apporter mes “bagages” d’Occidentale. Leur prouver ma solidarité. Tel est mon choix», aimait-elle aussi à dire.


Une vie dédiée aux plus faibles

Monique Hervo, c’est toute une vie dédiée aux plus faibles. Jusqu’à son dernier souffle, elle est restée la militante humaniste qu’elle a été adolescente à la libération de la France en portant aide aux prisonniers et aux déportés ; puis jeune fille, lorsque pour soutenir les Algériens du bidonville La Folie, de Nanterre, en vivant à leurs côtés jusqu’à l’éradication du bidonville en 1971. Monique Hervo a adhéré très rapidement à la cause algérienne pour l’indépendance. 

C’est tout naturellement qu’elle s’est retrouvée aux côtés de ses habitants le 17 Octobre 1961. Monique Hervo était un personnage à part comme il en existe peu. La compétition sociale, les contingences matérielles, l’argent n’ont jamais été au centre de ses intérêts ou de sa vie. Sa préoccupation a toujours été le soutien aux personnes vulnérables, sans ingérence ni immixtion, sans paternalisme ou démagogie. Sa priorité, son objectif, jusqu’à l’obsession ont été de «laisser des traces», nous avait-elle répété inlassablement lorsque nous l’avions rencontrée en octobre 2019 («Monique Hervo, actrice et témoin du 17 octobre 1961. 

Une vie dédiée aux plus faibles et aux opprimés», El Watan du 17 octobre 2019).
C’est accompagnée de Mehdi Lallaoui, son complice et ami qui veillait sur elle comme un fils sur une mère affectionnée, que nous sommes allés sur son lieu de vie, une petite et modeste roulotte dans un lieu tranquille, entouré de verdure et de lacs où elle résidait pour pouvoir écrire mais aussi par nécessité. En effet, ne s’étant pas préoccupée d’une retraite à même d’assurer ses vieux jours, elle était tout occupée à apporter aide et réconfort aux plus démunis.  


Témoigner, «laisser des traces»

Ce qui nous avait frappé de prime abord, c’est le bureau qui occupait l’essentiel de la roulotte, et sur ce bureau, des tas de feuillets, manuscrits pour les besoins de l’écriture d’un livre. Des livres, Monique Hervo en a écrits toujours pour laisser des traces. Elle a beaucoup témoigné dans des conférences, des établissements scolaires, des maisons de jeunes, elle a aussi reçu des historiens, des journalistes. 

C’est tout naturellement que son chemin a croisé celui de Mehdi Lallaoui ou le défunt Jean-Luc Einaudi, elle qui voulait laisser des traces, et eux qui, inlassablement, ont (pour le regretté Jean-Luc Einaudi) et encore pour Mehdi Lallaoui, été en quête de ces traces.  Témoigner. Monique Hervo le fit aussi le 11 février 1999 à la barre de la 17e chambre correctionnelle du Palais de justice de Paris pour livrer son témoignage sur le 17 octobre 1961, à l’occasion du procès intenté par Maurice Papon, l’ancien préfet de police, à Jean-Luc Einaudi, auteur de La Bataille de Paris.


«Si j’ai connu intimement la guerre d’Algérie, c’est parce que j’ai connu la Deuxième Guerre mondiale, les bombardements, l’exode», nous disait-elle. Et de préciser : «Ce qu’on a connu le 17 octobre 1961 se passait déjà depuis le mois de janvier de la même année. On signale le 17 Octobre comme une journée exceptionnelle, mais c’était depuis janvier. J’ai vu au Pont de Neuilly des Algériens jetés dans la Seine avant le 17 octobre.» «La répression était si forte que certains Marocains étaient repartis dans leur pays car la chasse au faciès ne les distinguait pas des Algériens.» «Le commissariat de Nanterre était un lieu de torture. 

Le capitaine Montanier était arrivé d’Algérie et avait dit aux habitants du bidonville : ''Je vais faire comme là-bas''.» «Il avait ses quartiers avec ses harkis dans l’hôpital de Nanterre.» «Les femmes avaient peur, les hommes qui travaillaient ne rentraient pas tous au bidonville à la fin de la journée, ils étaient arrêtés sur le chemin du retour. J’étais chargée, en cas de besoin, d’aller chercher, la nuit, un médecin. J’avais le mot de passe pour entrer et sortir du bidonville. La police faisait des incursions, demandait les cartes d’identité.» «J’avais l’impression que ce bidonville était un continent dans un autre continent, la même chose se passait ailleurs sur d’autres sites. Les Français, en voiture, longeaient très vite le bidonville. Sans le voir ou vouloir le voir.» 


«On est nous»

«Le 17 octobre 1961, j’arrive en fin d’après- midi au bidonville, une foule d’Algériens, pères, mères, enfants, jeunes s’apprêtaient à le quitter. Un père de famille, M. Brahem, originaire de Khenchela – une des premières familles reparties en Algérie au lendemain de l’indépendance – il me regarde et me dit : ''Tu viens avec nous.'' Au rond- point des Bergères, on était des milliers, on voyait arriver des autres communes des Algériens par milliers. J’ai tout de suite compris. On a pris l’avenue qui descend vers le Pont de Neuilly. On était mélangés, hommes, femmes et enfants. 

Le long cortège avançait, silencieux. De temps à autre on entendait ''Vive l’Algérie''.» «Arrivés à 300 mètres du Pont de Neuilly, l’avenue est en pente, on a vu la police tirer sur les premiers rangs. On a vu des hommes tomber. Avec les femmes et les enfants on est sortis du rassemblement et on a pris sur Puteaux pour rentrer au bidonville. On rasait les murs, on avait peur d’être pris à parti par des gens qui observaient depuis leurs fenêtres ou le pas de leurs portes. On ne savait pas ce qui se passait à Paris, on pensait que l’événement se déroulait seulement sur le Pont de Neuilly. Vers la fin de la nuit des hommes qui portaient d’autres hommes blessés arrivaient. 

Avec deux assistantes sociales,  exceptionnelles celles-là, on est allé dans les baraques des blessés. Ils ne voulaient pas se rendre à la maison départementale de Nanterre qui dépendait du capitaine Montanier. On a essayé de les soigner (les assistantes sociales avaient à l’époque dans leur cursus  une formation aux premiers soins). Un seul qui avait un œil crevé a accepté que je l’accompagne à l’hôpital. Quand j’ai dit au médecin qu’il était à la manifestation, il m’a répondu : ''Vous mentez.'' Aucune assistante sociale de la mairie de Nanterre n’est venue voir ce qui se passait. Il y avait des centaines de blessés.» «A l’indépendance, c’était le délire, les femmes dansaient. On est Nous. Chacun et chacune me demandaient de les prendre en photo. Il y avait à la fois de l’allégresse  et de la tristesse  à l’évocation de ceux qui ont donné leur vie pour cela.» 

«Aujourd’hui, je me trouve dans ma ligne de conduite puisque je suis algérienne.» Et elle nous exhibe son passeport et sa carte d’identité délivrés par le consulat algérien de Nanterre, suite à un décret présidentiel de décembre 2018.

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