Guerre en Ukraine  : Quelles conséquences sur l’environnement ?

03/03/2022 mis à jour: 00:31
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Photo : D. R.

Trop souvent oublié lors des conflits armés, l’environnement est également une victime de guerre. Pollution de l’air, érosion des sols, destruction de forêts, pollution des mers… Tant de conséquences environnementales qui, à long terme, deviennent, elles aussi, un fléau.

- D’abord, la qualité de l’air !

Pour Farid Rahal, maître de conférences à l’université des sciences et technologie d’Oran, les conséquences sur la qualité de l’air sont d’abord, à court terme. En effet, dès qu’un polluant est émis, il devient dangereux pour la santé et pour l’environnement. Il faut savoir que lors d’un conflit armé, les émissions des polluants atmosphériques sont issues de plusieurs sources.

La première, selon M. Rahal, est l’utilisation massive de l’aviation dans un espace limité. «Les gaz d’échappement des avions à réaction contiennent des oxydes d’azote, mais aussi d’autres polluants comme le perchlorate d’ammonium, le chlorure de polyvinyle, le stéarate de plomb, le polybutadiène et le polyéthylène, en raison de l’utilisation d’additifs pour les carburants», explique-t-il.

La seconde source de pollution de l’air dépend, quant à elle, des installations ciblées par les bombardements. «Généralement, la destruction de sites industriels libère dans l’atmosphère d’énormes quantités d’oxydes d’azote, de dioxyde de soufre et de monoxyde de carbone.

S’il s’agit d’installations chimiques ou pétrochimiques, la libération des polluants dans l’atmosphère sera encore plus massive», affirme-t-il. Précisant que les incendies et la combustion des matériaux synthétiques à très haute température génèrent d’autres polluants de l’air très dangereux. «En raison de sa densité élevée, l’uranium appauvri est utilisé dans les projectiles perforants. La combustion de cet uranium à hautes température et pression lors d’explosions, entraîne la libération de fines particules d’oxyde d’uranium dont les propriétés radioactives toxiques, cancérigènes et mutagène sont notoires», poursuit-il.

Ces substances toxiques contaminent l’air et peuvent être poussées par le vent sur de grandes distances et faire apparaître des symptômes d’empoisonnement et de difficultés respiratoires chez les personnes exposées. «La pollution atmosphérique générée par un conflit armé a donc des conséquences néfastes qui perdureront sur le moyen et le long terme», prévient-il. Ainsi, les cours d’eau et les sols seront davantage contaminés.

Le spécialiste ajoute que dans la région du conflit, des précipitations acides pourraient survenir. Les équilibres écologiques seront ébranlés. «En outre, les substances libérées dans l’atmosphère peuvent contribuer à appauvrir la couche d’ozone stratosphérique», précise-t-il.

Les conflits armés constituent donc un risque majeur pour l’environnement. Selon le spécialiste, «leurs impacts apparaissent avant même la survenu du conflit avec la phase de préparation par des opérations de déboisement ou de défoliation». La pollution de l’air, notamment par les oxydes de soufre et d’azote, favorise l’apparition de pluies acides.

Ces pluies accentuent l’acidification des sols et des eaux surface, empêchant ainsi le développement normal des espèces et des végétaux. La pollution de l’air contribue, elle aussi, à modifier les équilibres écologiques. Et bien souvent, la destruction des écosystèmes est irréversible. Toutefois, M. Rahal tient à rassurer quant aux dommages collatéraux que risque de subir l’Algérie.

En effet, selon lui, si ce conflit se limite à l’utilisation d’armes conventionnelles, le risque à court terme sera réduit pour l’Algérie en raison de la distance la séparant du théâtre des affrontements. «Par contre, ce qui pourrait s’avérer problématique, c’est l’importation de produits alimentaires ou industriels des pays de la région du conflit dont les cours d’eau et les sols seront durablement contaminés», conclut-il.

- Ensuite sur la biodiversité…

Tout conflit armé engendre un impact très important sur l’environnement et la biodiversité vu qu’il y a destruction totale des habitats, mortalité directe des individus, destruction du couvert végétal, atteinte des cours d’eau, etc.

«Tous les compartiments de la biosphère, à savoir l’eau, l’air et le sol sont fortement impactés, ce qui n’est pas sans conséquences sur toutes les composantes de la biodiversité (faune et flore)», explique Mourad Ahmim, enseignant- chercheur en science de la nature et de vie.

Assurant au passage que la disparition des espèces durant un conflit armé a évidemment un impact sur la chaîne alimentaire car des champs, des vergers et autres sont détruits, ce qui provoque un grand déséquilibre.

A cet effet, il explique : «En ce qui concerne la faune, on constatera une forte baisse des effectifs qui se répercutera sur la pyramide alimentaire car, comme connu, l’équilibre écologique est basé sur plusieurs maillons qui se complètent et si l’un des maillons arrivait à disparaître il y aura un fort déséquilibre.» De son côté, Djamel Belaid estime que les conséquences de la guerre peuvent avoir, sur le long terme, des effets positifs comme sur la biodiversité.

«A titre d’exemple, la zone démilitarisée entre les deux Corée est un immense espace d’une longueur de près de 250 km et de 4 km de large où toute activité humaine est proscrite. C’est devenu le refuge d’une nombreuse faune et flore», assure-t-il

- Qu’en est-ils des sols… ?

«D›un conflit de longue durée, on pourrait craindre un piétinement des sols agricoles du fait du stationnement et déplacement des différents engins», affirme Djamel Belaid, Ingénieur agronome, spécialisé en vulgarisation des techniques innovantes. Toutefois, l’expert rassure que dans le cas des sols ukrainiens, la capacité de restauration est très forte. «Elle provient de ce fort taux d›humus qui donne cette couleur noir aux sols mais également de taux en argile», explique-t-il.

Ce taux en argile permet, selon le spécialiste, des phénomènes de contraction-rétractation lors des périodes de gel et dégel et donc l’émiettement des mottes de terre, ce qui permet de réduire les effets du piétinement. Toutefois, l’expert estime que ce qui est à craindre, sur le moyen terme est la présence de mines et d’obus non explosés. Plus contraignant encore sont les substances toxiques présentes dans ces dizaines de milliers d’obus.

«En 2017, des habitants du Pas-de-Calais en France ont été informés de cesser de consommer l’eau du robinet. Elle contenait du perchlorate, un composant contenu dans les obus utilisés en 1917. Avec le perchlorate, c›est également du mercure contenu dans les détonateurs qui a été retrouvé dans les eaux de boissons», confie-t-il. D’autre part, la pollution de l’air, causée par les conflits armés, favorise l’apparition de pluies acides.

Ces pluies ne sont pas sans conséquences sur les sols. Elles ont d’ailleurs des effets variés selon le type (acides/ alcalins, riches en calcaire). Pour M. Belaid, les pluies acides viennent renforcer l’acidité naturelle du sol. «Le pH des sols est alors faible, ce qui a pour conséquences de bloquer l›absorption par les plantes de certains éléments minéraux : soufre, fer ou cuivre», explique-t-il.

Le phénomène est d’autant plus accentué que le sol est sableux. Par contre, cette acidité permet aux plantes de mieux absorber le phosphore, un élément capital pour les plantes. «Face à cette acidité du sol, depuis longtemps, les agriculteurs ont appris à ‘’chauler’’ le sol en apportant des amendements riches en carbonate de calcium», poursuit-il. Dans le cas des sols alcalins, l’acidité des pluies acides est neutralisée par le calcaire du sol et leur effet est nettement réduit. Par ailleurs, M. Belaid assure que les impacts de la guerre sur les sols et donc les cultures seront également liés aux éventuels retards d’apport d’engrais azotés au printemps. Cependant, la fertilité des chernoziom est, selon lui, si importante que les cultures ne pâtissent pas d’une impasse d’une année sur les engrais.

«Des armes nucléaires ou des munitions à uranium appauvri seraient susceptibles de provoquer des dégâts irréversibles ou du moins de très longue durée. Mais il semble qu›il s’agit là d’options qui ne sont pas envisagées», ajoute-il. M. Belaid assure que l’Algérie sera sans aucun doute concernée par les événements en Ukraine. Selon lui, la menace, même provisoire de hausse exagérée des prix des céréales et oléagineux et de rupture des approvisionnements, aura certainement un effet sur la pression agricole, qui sera plus forte sur le milieu naturel afin de substituer la production locale aux importations.

A cet effet, l’expert explique : «Agriculture et environnement ne sont pas contradictoires mais des méthodes agricoles non appropriées peuvent avoir des effets catastrophiques sur l›environnement. D’ailleurs, ces dernières années, on observe le triptyque érosion, désertification et salinisation des terres». L’érosion est provoquée par les labours profonds, la désertification par le sur-pâturage en steppe et la salinisation par l’irrigation avec de l’eau riche en sel. C’est pourquoi, M. Belaid estime que la crise ukrainienne nous rappelle la nécessité d’un développement agricole national qui soit durable.

- Et sur les ressources hydriques… ?

«L'eau en Ukraine demeure une question délicate car avant même le début de cette guerre, le contexte de fortes tensions géopolitiques a profondément fragilisé les infrastructures et les systèmes de traitement et de distribution de l›eau potable et rendu vulnérables des milliers de citoyens, en particulier dans les provinces de l'Est et en Crimée», affirme tout d’abord Farès Kessasra, Maitre de conférences et directeur de recherches en hydrogéologie à l'Université de Jijel, diplômé en droit international de l'eau de l›université de Genève. Pays agricole, exportateur mondial de blé, les besoins en eau en Ukraine sont donc exprimés à 80% par le secteur agricole et 20% pour l’eau domestique.

En ce qui concerne les conséquences des conflits armés sur les ressources hydriques, M. Kessasra estime qu’il est important de souligner que l’arsenal de guerre utilisé habituellement dans les conflits armés contient des substances chimiques hautement toxiques, des métaux lourds, des substances microbiologiques, des cocktails chimiques reconnus dommageables sur le sol et l’eau à travers une pollution durable.

Selon lui, leur déflagration libérerait toutes ces substances, du plus simple, le plomb que contient les cartouches ou la grenaille de plomb, l’arsenic et l’antimoine au plus complexe du chlore, gaz, sarin, tabun ou le gaz VX et bien d ‘autres composants chimiques. «Le sol et l'eau sont les premiers récepteurs, et les ressources en eau qu’elles soient superficielles ou souterraines en seront contaminées à long terme. Les bombardements actuels vont assurément endommager encore plus les infrastructures de base», poursuit-il.

- Que dit le droit international ?

La loi humanitaire internationale (IHL) possède plusieurs protocoles additionnels et inclut des articles sur la protection de l’eau en cas de conflit armé. Selon M. Kessara, si l’on se réfère au premier Protocol additionnel de 1977 de la convention de Genève de 1949 dans son article 54, il est strictement prohibé d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de rendre inutiles des objets indispensables à la survie de la population civile, à leur tête les installations et distributions d’eau potable et les infrastructures liées à l’irrigation des terres.

«La croix rouge internationale dans son commentaire avait intégré la notion de pollution par les agents chimiques des réservoirs d’eau potable destinée à la population en soulignant que toutes représailles demeurent prohibées quelque soit les raisons», affirme le spécialiste.

Précisant que le droit international intègre également les installations hydroélectriques et barrages d’eau qui produisent de l’électricité au profit des civils. L’accès à l’eau potable de bonne qualité physico-chimique en situation de guerre est ainsi garanti par la loi du droit humain adoptée par la cour internationale de justice. 

En effet, l’article 15 est assez explicite affirmant «ne pas limiter l’accès à l’eau ni détruire les services et infrastructures comme mesure punitive, par exemple lors de conflits armés et en violation du droit international humanitaire».

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