Géopolitique et grands trends sectoriels en 2024 : Quelle trajectoire pour l’Algérie ?

13/12/2023 mis à jour: 18:56
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En 2024, les tensions géopolitiques vont continuer d’influencer l’évolution de nombreux secteurs (réels, financier et monétaire) et refaçonner ainsi l’économie mondiale. 
 

Au centre de ces tensions géopolitiques, il y a bien sûr la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis, le conflit en Ukraine et la guerre en Palestine et d’autres foyers de tensions militaires. L’inflation devrait continuer sa décélération, les taux d’intérêt entamer une baisse et les chaînes d’approvisionnement s’améliorer davantage. Pourtant, l’économie mondiale ne devrait croitre, sur la base des données présentes, que de 2,2% en raison essentiellement de la faible progression des économies avancées et du ralentissement de l’activité en Chine. 

Cette dernière ne devrait croître que de 4% en 2024-2025 et 3% entre 2026-2030 en raison d’un marché immobilier en difficulté (qui pèse déjà négativement sur le système bancaire parallèle et les gouvernements provinciaux), un recul des investissements directs étrangers (en raison de la stratégie de désengagement limité des pays occidentaux) et des facteurs structurels contraignant la croissance (recul démographique et déclin de la force de travail, faiblesse de la productivité et essoufflement du modèle basé sur l’investissement et la dette).

 Ces perspectives macro-économiques devraient orienter à la baisse le marché des produits de base. Pour ce qui est de l’Algérie économie mono-exportatrice, il serait souhaitable qu’elle puisse naviguer ces tensions géopolitiques et ces évolutions macro-économiques et sectorielles en se focalisant au maximum et à partir de 2024 sur la transformation du modèle économique et social actuel fortement essoufflé. Discutons de tous ces points et proposons des pistes. 

Un contexte géopolitique à hauts risques qui va peser sur les budgets militaires. L’ère post-Covid est marquée par la rupture des relations traditionnelles, l’émergence de nouvelles alliances et la décomposition de l’ancien ordre unipolaire. De ce fait, le paysage géopolitique s’annonce beaucoup moins stable à l’horizon 2024, avec la poursuite du conflit en Ukraine et la guerre en Palestine, la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis (qui sont en train de modifier considérablement la nature des relations économiques mondiales), les tensions en mer de Chine, les élections américaines qui jettent une ombre sur le futur de ce pays et du monde, la montée des fractures géoéconomiques et le recul des échanges internationaux. 

Dans ce contexte très tendu, les dépenses militaires vont continuer à augmenter en 2024 au niveau : (1) de l’OTAN où un tiers des membres (dont la Finlande) vont cibler l’objectif de 2% de leur PIB ; (2) des Etats-Unis dont le budget est projeté a $886 milliards (dont $13 milliards pour l’Ukraine, s’ajoutant aux $45 milliards déjà octroyés). Une grande partie de ces depenses serviront à financer des startups militaires (pour renforcer la haute technologie militaire et la défense spatiale), le retour vers la Lune (un enjeu stratégique) et le développement et la détection des missiles hypersoniques ; et (3) des pays de l’Asie, préoccupés par la montée de la Chine sur le plan militaire (Philippines, Taiwan, Inde et Pakistan). Un mix énergétique en lente évolution.  

En 2024, ce mix comprendra : (1) des combustibles fossiles : 83% de la demande en énergie, avec le charbon (29%), le pétrole (28%) et le gaz naturel (26%). Avec l’amélioration de l’activité mondiale, la consommation de pétrole devrait augmenter de 1 % tandis que le prix du baril devrait se maintenir en dessous de $84 le baril en raison de la hausse éventuelle de l’output de la part des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite. La demande en gaz et charbon va également augmenter de la part de l’Asie, ce qui ne manquera pas de peser sur le bilan carbone et compromettre les objectifs en matière d’énergie propre que les programmes verts de l’Union Européenne (UE) et des Etats-Unis essaieront d’atténuer en renforçant la fragmentation géoéconomique ; (2) les énergies renouvelables (11%). 

La consommation éolienne et solaire atteindra le double du niveau de 2019, stimulée par la loi américaine sur la réduction de l’inflation et le plan REPowerEU de l’UE. Le coût de production des énergies renouvelables diminuera, mais restera toujours 10 à 15% supérieur par rapport aux niveaux de 2020 ; et (3) le nucléaire (6%). Au moins 11 réacteurs nucléaires seront ouverts, y compris au Bangladesh et en Turquie. Les investissements dans l’hydrogène augmenteront dans de nombreux pays. 
 

Les prix des produits de base en 2024 feront face à deux grandes tendances contradictoires du fait de l’émergence de nouveaux trends de consommation.  Une tendance à la hausse des prix de certains métaux, y compris le cuivre (pour satisfaire les besoins de l’économie verte et de l’économie numérique), l’aluminium (pour répondre à une hausse de la demande des secteurs de la construction et de l’automobile en Asie), l’acier (en dessous toutefois des sommets de 2021), l’or et le platine (en raison de leur statut de valeur refuge en cas de baisse des taux d’intérêt). A contrario, d’autres métaux verront leur prix chuter, dont le nickel et le zinc (production en hausse de l’Indonésie et de la Chine), le plomb (abandon des véhicules essence et diesel) et le lithium (avec la montée en puissance du Zimbabwe).  

La sécurité alimentaire mondiale.  La baisse des prix du pétrole et des engrais ainsi que les bonnes récoltes en 2024 feront de nouveau baisser les prix des produits alimentaires en 2024, sous réserve bien entendu : (1) d’une amélioration du contexte sécuritaire en Mer Noire (un blocus russe sur les exportations céréalières ukrainienne pourrait compromettre les approvisionnements mondiaux) ; et (2) d’un contexte climatique plus favorable avec un recul net de El Niño afin de ne pas mettre en danger les productions agricoles en Afrique, en Asie et en Amérique centrale. Autrement, les nations ressortiraient aux mesures classiques (subventions, restrictions sur les exportations de biens alimentaires) et mettrait en danger la sécurité alimentaire mondiale. 
 

Taux d’intérêt à la baisse et accroissement des services numériques.  Point 1 : les taux d’intérêt devraient s’inscrire dans une courbe baissière. Aux Etats-Unis, il est à prévoir une chute des profits de nombreuses banques en raison de la diminution du revenu net d’intérêts et des répercussions sur les portefeuilles immobiliers commerciaux. 

Dans la zone Euro, les spécialistes entrevoient une baisse des créances douteuses des banques ce qui les conduira à émettre de la dette en papier et réduire le recours à la banque centrale. Pour les banques asiatiques, elles devraient enregistrer une croissance plus forte à mesure que la Chine étendra son soutien à son marché immobilier en difficulté. Point 2 : accélération des services bancaires numériques :  en Europe, Amérique latine et en Asie et amélioration de la confiance des consommateurs vis-à-vis de ces nouveaux moyens de paiement. De plus, les transformations dans le secteur de la fintech demanderont désormais des partenariats pour assurer la sécurité des réseaux de paiements et prévenir la fraude. 

Point 3 : renforcement des règles macro prudentielles : La mise en œuvre des règles de Bâle III sur les risques bancaires entrera dans sa phase finale dans les deux tiers des pays. Pour leur part, les Etats-Unis vont accroitre les exigences en matière de fonds propres des banques et éviter les faillites. Dans le domaine des assurances, les entreprises devront faire face à de nouvelles règles en matière de capital et à des réclamations climatiques croissantes.
 

Le processus d’internationalisation du renminbi continue, mais il démure modeste

Réduire sa dépendance à l’égard du dollar américain ou d’autres monnaies du G7 est devenu un objectif majeur pour la Chine, compte tenu de l’intensification des sanctions occidentales contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine en 2022 et les tensions avec les Etats-Unis à propos de Taiwan. Ces sanctions semblent également avoir été un catalyseur pour inciter d’autres pays à accepter le renminbi dans le cadre d’accords commerciaux. En appui de son processus d’internationalisation du renminbi, la Chine s’est dotée de son propre réseau de paiements internationaux (Cross Border Interbank Payments System encore modeste) et a mis en place d’autres instruments, tels que des swaps de devises bilatéraux entre la banque centrale de Chine et plus de 30 autres banques centrales à travers le monde. 

Ces lignes de swap restaient inutilisées dans les banques centrales d’accueil, mais elles commencent désormais à être utilisées au vu des besoins financiers croissants de certains pays émergents. Nonobstant ces arrangements institutionnels pour accroître la liquidité du renminbi offshore, celle-ci restera limitée étant donné que la monnaie chinoise n’est pas convertible. De ce fait, les entreprises étrangères disposant de renminbi gagné par le biais de d’exportations vers la Chine ne peuvent l’utiliser que pour acheter des marchandises chinoises avec la monnaie chinoise ou d’autres devises internationales. Une utilisation très limitée, Sans surprise, la part du renminbi dans les réserves internationales de change est de 
3,6 %. 

Les deux grandes révolutions technologiques en cours : 

Celle de l’intelligence artificielle générative et de la technologie quantique. Ces dernières font déjà partie de notre vie de tous les jours et progresseront encore plus en 2024. Elles vont progressivement devenir le principal moteur de la croissance mondiale sur le moyen et long terme pour quelques pays avancés (Etats-Unis, Chine, Allemagne et Grande Bretagne), croissance bloquée présentement par des facteurs structurels complexes, dont : (1) l’obsolescence du modèle de croissance actuel qui dépend d’une hausse massive mais insoutenable de la capacité de production en Chine et dans d’autres économies émergentes ; (2) la baisse marquée de la productivité du travail, notamment aux Etats-Unis où elle se situe seulement à 0,16% ; (3) le vieillissement de la population au niveau des pays qui comptent pour plus de 75% de la production économique mondiale, amoindrissant ainsi fortement l’offre de travail ; et (4) la fin prochaine des chaines de valeur construites sur le principe de l’efficacité et de l’avantage comparatif dans un monde fracturé sur le plan géostratégique. Pour peu qu’elles soient bien encadrées sur le plan international pour contenir leurs effets pervers et ancrées dans des nouvelles approches, ces technologies pourraient générer des revenus additionnels considérables et renforcer les divisions entre certains pays et le reste du monde. 
 

Algérie : Internaliser les défis géostratégiques et économiques mondiaux et les contraintes internes pour construire une économie diversifiée, résiliente, moderne et inclusive. 

Le monde change et continuera de changer en 2024 et sur le moyen et long termes à une allure accélérée. Il est de plus en plus compétitif et dur. Ce qui est préoccupant, ce n’est pas le changement externe et ses impacts sur le pays, c’est le retard pris par le pays à entamer la transformation du pays. Il faut abandonner le modèle rentier actuel sans plus tarder. Chaque année perdue nous met en retard par rapport au reste du monde. La priorité des priorités est donc de se focaliser sur la mise en place d’un nouveau modèle économique et social moderne, diversifié et inclusif. Il faut s’intégrer à l’économie mondiale sans complexe (le monde est unipolaire sur le plan économique) par le biais du commerce, des investissements, de la production et des finances, il faut prendre le pari des dernières technologies dans la quête du nouveau modèle économique, seule voie pour être en mesure de compter dans le monde (le PIB est désormais l’indicateur de référence dans les relations économiques et politiques internationales). 

Ce pari est également la seule voie pour le pays pour faire face aux contraintes internes (volatilité et prééminence du pétrole, démographie en hausse, déséquilibres macroéconomiques, faible croissance depuis des décades, crise du coût de la vie, chômage élevé et gouvernance économique inefficace) qui bloquent la création de richesse et accroissent la pauvreté. Commençons sans plus tarder en 2024 ce processus de transformation et basons-le sur une doctrine intérimaire axée sur les trois prochaines décennies pour hisser le pays au rang de pays émergent (avec un revenu par tête d’habitant devant quadrupler pour atteindre $15 000), des stratégies décennales permettant la réalisation d’objectifs intermédiaires devant nous mener progressivement vers le but final et des plans d’action triennaux (moins complexes à gérer vu les incertitudes de ce monde). 

Au titre du premier plan d’action couvrant la période 2024-2026, ciblons une stabilisation macroéconomique (budget soutenable, inflation sous contrôle, taux de change approprié), le lancement d’une première vague de réformes structurelles pour relancer la croissance et jeter les bases d’une plus grande diversification, et des stratégies sectorielles cohérentes pour ancrer l’appareil productif sur toutes les nouvelles technologies qui permettent de renforcer la productivité du travail et favoriser une croissance élargie, saine et inclusive. Le pays peut relever le défi. 

 

Pr  Abdelrahmi Bessaha , Expert international  


 

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