Propos recueillis par Sofia Ouahib
Tout d’abord, qu’est-ce que l’anxiété de la séparation ?
L’anxiété de séparation fait référence à la peur qu’éprouve un enfant d’être séparé de la personne avec qui il a créé un attachement sécurisant. Cette anxiété se manifeste généralement entre l’âge de 6 à 12 mois, et culmine vers l’âge de 3 ans, pour ensuite s’estomper à mesure que l’enfant se développe. Dans certains cas, l’anxiété de séparation peut devenir problématique si les symptômes persistent dans le temps et que c’est inapproprié par rapport au stade de développement de l’enfant. C’est dans ce cas qu’on parle d’un trouble d’anxiété de séparation. A l’échelle populationnelle, on parle d’environ 4% des enfants qui vont avoir un trouble d’anxiété de séparation. Ça demeure le trouble anxieux le plus fréquemment diagnostiqué chez les enfants de moins de 12 ans.
Comment se manifeste-t-elle ?
Il y a plusieurs symptômes de l’anxiété de séparation. Par exemple : avoir besoin de savoir où se trouve son parent en tout temps, être incapable d’être seul dans une pièce et suivre le parent partout dans la maison et être malheureux ou triste lorsqu’il est loin de chez lui. S’opposer lorsqu’ils doivent se séparer, donc l’enfant peut refuser d’aller à l’école, de dormir chez des amis,... en fait également partie. Il y a aussi le fait d’entretenir des peurs par rapport au fait que son parent pourrait être en danger, faire un accident ou être malade. La peur d’être perdu et de ne plus jamais revoir son parent (scénario catastrophe) est aussi un autre symptôme de l’anxiété de la séparation. Autre exemple : faire des cauchemars en lien avec une catastrophe qui pourrait anéantir la famille. Et enfin, l’enfant peut se plaindre de maux de ventre, de maux de tête (avoir des symptômes somatiques).
Selon vous, les enfants dont les mères retournent travailler dans les premiers mois de vie ont un niveau d’anxiété de séparation plus élevé durant la petite enfance que ceux de mères qui ont pris un plus long congé de maternité. Pourquoi ?
La première année de vie de l’enfant est une période privilégiée pour établir un lien d’attachement sécurisant entre le parent et l’enfant. A cet âge-là, l’attachement repose principalement sur la proximité physique entre le parent et l’enfant. Une séparation précoce entre la mère et l’enfant, causé par un retour sur le marché du travail dans les premiers mois de vie de l’enfant, pourrait compromettre la qualité de la relation parent-enfant et ultimement être associée aux symptômes d’anxiété de séparation chez les enfants.
Selon vous, comment un congé de maternité de 5 mois pourrait affecter positivement la santé mentale du bébé ainsi que de la maman ?
Oui, de plusieurs manières. Pour la mère, il est bien connu que la prise d’un congé de maternité est associée à une réduction du risque de dépression post-partum, de la violence conjugale, de la séparation/ divorce, favorise l’activité physique, la gestion du stress, etc. Pour les nourrissons, les bénéfices ont davantage été documentés au plan de la santé physique : réduction de la mortalité infantile, diminution des hospitalisations, augmentation de la fréquentation des consultations pédiatriques et de la couverture vaccinale, et à un meilleur fonctionnement cérébral. Notre étude est la première à montrer une association avec la santé mentale/ anxiété de séparation des enfants.
En Algérie, le congé maternité est de 5 mois. Et celui-ci est rémunéré. Quel est le bénéfice sur les familles ?
En plus des bénéfices déjà mentionnés ci-dessus, nous observons des bénéfices sur les trajectoires de revenus des parents, l’engagement parental, et l’équilibre famille-travail.
Bio express
Gabrielle Garon-Carrier est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la préparation à l’école, l’inclusion des populations vulnérables et l’adaptation sociale et Professeure adjointe au Département de psychoéducation à l’université de Sherbrooke (Canada). Il faut savoir que les titulaires de chaires visent l’excellence en recherche dans les domaines du génie et des sciences naturelles, des sciences de la santé, des sciences humaines et des sciences sociales. Son étude sur le lien entre la durée du congé de maternité et l’anxiété de séparation de l’enfant a été sacrée découverte de l’année 2023 par le magazine Québec Science, et ce, parmi dix découvertes sélectionnées par le jury du magazine. En résumé, l’étude menée par Gabrielle Garon-Carrier révèle que les enfants dont les mères demeurent en congé au-delà de cinq mois montrent un niveau d’anxiété de séparation moins élevé durant la petite enfance que ceux dont les mères retournent au travail dans les premiers mois de naissance. Ce bénéfice se révèle même lorsque le congé met la famille sous tension financière. Aujourd’hui, ses travaux de recherche visent à mieux comprendre quels sont les facteurs personnels et environnementaux propres aux enfants vulnérables qui sont associés à la préparation scolaire, l’inclusion de ces enfants dans les services préscolaires et scolaires, et l’effet de ces services sur leur adaptation ultérieure. Les résultats de ses travaux contribuent ainsi au développement de connaissance qui, ultimement, visent à donner à chaque enfant le meilleur départ possible dans la vie en réduisant les iniquités au sein de leurs familles, du milieu scolaire et des services publics