Dans l’entretien accordé à El Watan, la romancière évoque son parcours. «Mon métier d’inspectrice, durant plus de treize années, ainsi que toutes les auditions effectuées avec la ressource humaine dans les différentes régions du pays me permettent de faire de la prévention et sensibilisation», précise-t-elle.
- Comment êtes-vous venue dans l’univers de l’écriture ?
J’ai commencé à lire très jeune, à partir de cinq ans je lisais couramment grâce à mes parents. Ma mère est une passionnée de littérature et m’a appris à reporter les mots difficiles sur un cahier après me les avoir expliqués, pour enrichir mon vocabulaire. Au primaire, j’avais une fois par semaine une matière de contes qui me fascinait, suivie d’un jeu de rôles avec mes camarades. Je tenais aussi un journal intime ou je noircissais les pages de toutes mes émotions, à mon retour de l’école.
Au CEM, j’écrivais les résumés de mes cours au quotidien de toutes les matières, sur des fiches cartonnées pour me faciliter les révisons aux moments des devoirs et compositions.
J’écrivais des petits poèmes quand j’étais en colère ou trop joyeuse. Au lycée, je fus repérée d’abord par mon professeur d’histoire et géographie, mes dissertations en arabe ressemblaient à de la prose.
Il lisait toujours ma copie avant de me la remettre, en me félicitant. Mes professeurs de français et d’espagnol me proposèrent des nouvelles à lire, des recueils de poésie et m’offrirent aussi des livres pour m’encourager. Etudiante, ma plume se libéra, j’écrivais beaucoup, surtout pendant les EMD pour me déstresser. Prise par ma vie professionnelle et mes responsabilités personnelles, j’ai cessé d’écrire, et je lisais beaucoup moins.
En 2013, l’inspiration m’est revenue en force, j’ai écrit beaucoup de poésie, puis de nouveau la page blanche. Au début 2021, ma mère était sous oxygène pendant presque un mois, j’ai repris la lecture intensément, pour la surveiller la nuit, car elle dessaturait. J’ai partagé pour la première fois sur les réseaux, dans un groupe de littérature : les amoureux du livre, dans lequel je me suis abonnée. Mes textes ont eu bon écho. Ce fut le premier pas vers l’univers de l’écriture.
- Vous êtes l’autrice d’une saga intitulée Kamila, un volcan de sentiments !, et Kamila la voie de la renaissance, publiée aux éditions El Qobia. Pourriez-vous revenir sur la genèse de ces deux histoires qui se complètent remarquablement ?
J’ai toujours promis à ma mère d’écrire une histoire qui parlerait des années 80, de nos traditions, des mots algérois qu’employaient mes grands-mères, de nos fêtes traditionnelles, de l’importance de la vie en famille. Je réservais ce projet livresque à la date de ma mise en retraite. En 2021, ma mère attrapa le virus du Covid-19, son état était très critique.
Un soir elle me supplia de lui ôter le masque, et de la laisser partir. Elle refusa de manger, de prendre ses médicaments, mais je ne voulais pas baisser les bras, jusqu’au moment où j’ai lu dans son regard la terreur, je suis devenue pour elle le bourreau en lui ordonnant de se nourrir et se battre. Epuisée, affolée, j’avais oublié que je me battais contre la mort, et la volonté de Dieu. Alors je me suis résignée, et préparée à son départ avec beaucoup de sérénité. Au moment où j’ai enfin lâché prise, le miracle se produisit.
Contre toute attente, ma mère reprit peu à peu ses forces, sa convalescence fut très longue. J’avais peur d’une rechute, alors j’ai commencé à écrire pour elle. De fil en aiguille mon premier roman a été édité par El Qobia en décembre 2021. Kamila est le prénom de ma tante maternelle, emportée par le Covid. Paix à sa belle âme.
- Les deux volets de cette saga ne sont-ils pas exhumés de votre propre autobiographie ?
Dans un roman, il y a toujours une part du vécu de l’auteur, de la fiction, et des passerelles pour relier les deux. Il est impossible de les dissocier. Les deux volets de la saga sont la fusion de faits qui m’ont impactée d’une manière directe ou indirecte, et d’une partie de mes propres souvenirs.
Le deuxième volet n’était pas prévu en 2021, mais après trois ans, j’ai décidé d’écrire la suite. Une rupture amoureuse à 19 ans n’est pas la fin, mais le début de la renaissance. La reconstruction de l’humain, après une douloureuse épreuve est le thème du second volet.
- Kamila, la narratrice du livre donne toute sa force dans cette introspection intérieure…
Dans les deux volets, Kamila porte plusieurs casquettes, en fonction des chapitres et thèmes abordés : l’enfant, l’écolière, l’adolescente, la lycéenne, la bachelière, la jeune fille, l’étudiante, la nièce, la petite-fille, la grande sœur, l’amie, l’amoureuse, la belle-fille, la fiancée, l’épouse, la future mère.
Elle n’est pas le personnage principal mais la narratrice de cette époque avec ses non-dits, ses tabous, ses valeurs, ses rituels, ses croyances limitantes, ces questionnements.
Celle qui donne la voix à tous les autres personnages, pour entendre leurs versions des faits et leurs arguments. Le personnage Kamila puise sa force des réponses de toutes les personnes qui l’entourent.
- Dans votre premier roman, Kamila, un volcan de sentiments, vous abordez les années 80 avec beaucoup de nostalgie ? Pourquoi ce choix ?
Les années 80 ont marqué ma vie comme toutes les personnes qui les ont vécue. J’ai de magnifiques souvenirs. Je suis nostalgique, car j’ai perdu des personnes chères : mon père, ma cousine, mes grands-parents et d’autres membres de ma famille qui m’ont beaucoup appris. Durant cette période, il n’y avait pas encore d’internet, ni de réseaux sociaux, les sentiments étaient vrais en amour ou en amitié. La famille était soudée dans une Algérie tolérante.
- Dans votre second livre Kamila, la voie de renaissance, vous pointez du doigt la décennie noire en prenant comme échantillon certains ménages algériens ?
Il était important pour moi de parler de la décennie noire, une période terrible que chacun a vécu différemment. Je n’ai pas voulu l’aborder sur un plan politique, préférant utiliser mon personnage Kamila, pour nous rapporter son ressenti, sa propre analyse de la situation, à travers ses constats quotidiens et ses discussions avec son père.
En effet, j’ai choisi certains échantillons algériens, en créant les personnages adaptés dans les deux familles de Kamila. En écrivant ces chapitres, tous mes souvenirs sont remontés à la surface. Mon objectif est de mettre la lumière sur l’impact psychologique de cette période sur le ménage algérien, et surtout les causes de sa mutation.
- Vous rendez également un poignant hommage aux personnes qui ont beaucoup fait pour l’Algérie, mais qui sont restés discrets. Allusion faite aux artistes et aux journalistes assassinés et aux papas résistants, à l’image de celui de Kamila…
Dans un article Mohamed Dib qui m’a émue il dit : «Nous [écrivains algériens] cherchons à traduire avec fidélité la société qui nous entoure… Nous sommes acteurs de cette tragédie. [...] Plus précisément, il nous semble qu’un contrat nous lie à notre peuple. Nous pourrions nous intituler ses ‹‹écrivains publics››. C’est vers lui que nous nous tournons d’abord. Nous cherchons à en saisir les structures et les situations particulières…»
Ainsi, l’écrivain a le devoir d’être réaliste, porte-parole de son peuple il doit décrire pour dénoncer. «Source Témoignage chrétien, 7 février 1958». En tant qu’écrivaine, je tenais absolument à rendre hommage à tous les artistes, enseignants, journalistes, écrivains, intellectuels, cadres de l’Etat, et civils qui ont été assassinés. J’étais jeune pour tout comprendre et assimiler la situation.
Je me sentais en sécurité, car j’avais un père pour me protéger, des oncles, une famille. Les parents algériens ont fait de leur mieux pour continuer à vivre malgré la peur et le danger. Nous avons étudié, hommes et femmes ont continué à travailler, il y a eu des mariages, des naissances, des amitiés, et de belles histoires d’amour.
Malgré la décennie noire, nous avons continué à vivre et avions des moments de joie. L’être humain s’adapte à toutes les situations et développe une force et une résistance face au pire. Kamila été parfaite pour raconter le calvaire que vivait ses deux grands-mères, l’une avait un fils commissaire et l’autre journaliste.
- La deuxième partie de cette saga regorge de réflexions psychologiques et de messages de prévention et de sensibilisation.
Mon métier d’inspectrice durant plus de treize années, ainsi que toutes les auditions effectuées avec la ressource humaine dans les différentes régions du pays, me permettent de faire de la prévention et sensibilisation. En utilisant la voix de mes personnages et créant les situations de conflits, je propose les différentes solutions à chaque cas, et les procédures à appliquer pour s’en sortir.
- Votre talent de poète se laisse, également, deviner en filigrane à travers vos lignes…
La lecture m’a beaucoup apporté, elle a enrichi ma plume. Depuis l’année 2021, à ce jour j’ai plus de 160 livres, exclusivement sur la littérature algérienne contemporaine (recueils de poésie, nouvelles, roman, récit, autobiographie, etc.).
Le Sila, les cafés littéraires, les modérations que j’anime, et les salons du livre, m’ont permis de faire des rencontres humaines extraordinaires, et découvrir des plumes que je ne connaissais pas. La défunte Amina Mekahliavec son magnifique roman Nomade brûlant m’a donné un large aperçu sur les camps de concentration à l’époque coloniale, au Sud algérien.
Malek Haddad m’a séduite avec sa plume percutante, dans ces deux ouvrages : Je t’offrirai une gazelle et Le quai aux fleurs ne répond plus. J’ai adoré le recueil de nouvelles de Tahar Djaout Les rhètes de l’oiseleur. En lisant, ma plume a muté, mes lectures ont impacté mon style d’écriture.
- Ne caressez-vous pas le rêve d’apporter d’autres volets à l’histoire de Kamila ?
Je ne pourrai abandonner Kamila et mes autres personnages à 22 ans, ni faire subir à mes lecteurs une fin tragique. Je prends du recul, mais il est certain que la saga va continuer. Kamila est une battante, elle ne renoncera jamais, même si elle subit de lourdes épreuves, elle trouvera toujours un moyen pour se relever. La femme algérienne a toujours été une guerrière, c’est génétique.
- Sinon, avez-vous d’autres projets d’écriture ?
Je travaille depuis 16 mois sur mon quatrième projet d’écriture, l’histoire se déroulera entre deux rives : L’Algérie et le sud de l’Espagne. Je partage des extraits sur mes deux pages, de temps à autre pour mes lecteurs, leur retour est encourageant. Je compte aussi éditer mon premier recueil de poésie, quand il sera finalisé.