Farid Benyaa. Architecte et artiste-peintre : «Je m’inscris dans le souci du détail»

27/12/2023 mis à jour: 22:06
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Le plasticien Farid Benyaa

Farid Benyaa présente jusqu’au 24 janvier 2024, dans sa galerie éponyme à Alger, une exposition consacrée à «La baie d’Alger, El Bahdja». L’architecte nous parle de son travail comme d’une quête. Il dessine la baie d’Alger avec des émotions tendres. Il évoque son amour pour El Bahdja tout en ne manquant pas de rappeler que ses 120 œuvres aux vues panoramiques époustouflantes sont le fruit de huit ans de travail. Un exploit technique qui force le respect.


Propos recueillis par  Nacima Chabani

 

 

-Vous présentez, aujourd’hui, la baie d’Alger en couleurs alors qu’elle était en noir et blanc lors de votre exposition, en 2022, au palais de la culture Moufdi Zakaria à Alger. .. 
 

Le palais de la culture Moufdi Zakaria de Kouba m’a permis d’exposer entre 500 et 600 mètres carrés avec un total de 120 œuvres. Dans l’espace de ma galerie, qui fait 120 mètres  carrés, j’ai représenté 30 œuvres. Il a fallu d’abord limiter le nombre d’œuvres et puis raccourcir le format pou que cela rentre dans mon espace. J’ai l’avantage de confirmer que je représente aujourd’hui la baie d’Alger en couleurs alors qu’elle était en noir et blanc au palais de la culture. Pour moi, le noir et blanc, c’est la synthèse de toutes les couleurs, mais apporter la vraie couleur à la baie d’Alger, elle en avait besoin entre son ciel et sa mer bleue. Alger la Blanche, avec sa Casbah et toutes les couleurs qui l’a caractérisent. Il était important  que le public découvre la baie d’Alger en couleurs.
 

-Comment s’est noué votre intérêt pour la baie d’Alger avec votre pratique picturale ?

Disons que je sis un artiste à thèmes. En sortant de l’EPAU en 1980, j’ai eu la chance d’avoir rejoint l’équipe de l’atelier Casbah. Il y avait une équipe de l’Unesco avec des confrères architectes. Mes premières œuvres reposaient sur La Casbah d’Alger, ensuite le conscient et l’inconscient avec la femme algérienne. J’ai essayé de la représenter dans sa diversité avec un beau livre publié en 2016. J’ai aussi représenté le Sud algérien, la fantasia ainsi que la musique. Quand j’ai réalisé mon livre sur la femme algérienne, j’étais arrivé dans une forme d’impasse où des souvenirs me sont revenus et où des gens sont venus dans ma galerie et m’ont demandé des vues de la baie d’Alger. J’en avais une seule, et quelqu’un m’a dit, c’est une vue du Bois des arcades. La personne en question m’a, par la suite, demandé s’il n’y avait pas une vue à partir de la mer. Du coup, l’aventure est partie. A partir de là, l’idée a germé. Quand j’ai commencé à plonger dans la baie d’Alger, plus je nageais, plus je ramais, plus je découvrais que j’avais un joyau entre les mains. Toutes les vues qu’on a, ce sont des photos personnelles que j’ai prises personnellement. Un ami m’a prêté un semi-automatique qui m’a permis d’avoir une certaine qualité de l’image.
 

-Combien de temps a duré votre projet consacré à la baie d’Alger ?

Le projet en question a été des plus prenants. Déjà, il m’a fallu sept années pour exposer au palais de la culture Moudfi Zakaria de Kouba les 120 œuvres. Il m’a fallu 14 mois pour pouvoir peindre la baie d’Alger en couleurs. En tout, il y a huit années de travail, près de 12 000 heures de labeur. J’ai évalué le temps que j’ai mis à dessiner la baie. C’est beaucoup d’investissement et beaucoup de travail, mais c’est aussi beaucoup de patience et de passion. J’étais convaincu que cela méritait que je consacre tout mon temps à la baie d’Alger. Je dirai aussi que ce travail est exploration en profondeur. Je rends hommage à mon regretté frère Djamel qui nous a quittés il y a un an. Il s’est occupé de tout le travail documentaire de la baie car je ne vouais pas me contenter du graphique. Il fallait  la faire parler. Toutes les œuvres sont accompagnées d’un texte. Il y a aussi ma fille Amel qui travaille avec moi et mon assistant qui m’a aussi aidé dans ce travail. Finalement, c’est un gros travail de recherche documentaire pour pouvoir faire parler la baie d’Alger, parce qu’on oublie qu’Alger est un laboratoire d’architecture. 

C’est un mélange d’architecture méditerranéenne, maghrébine et moderne à la fois. Tous les styles sont représentés, le noé-mauresque, le moderne, le néogothique et l’art déco. Alger, c’est aussi un livre d’histoire, c’est un lieu de mémoire. Il est important de faire référence à cette perle de la méditerranée, la Mecque des révolutions où chaque lieu est une pépite d’or. Preuve en est avec la grotte Cervantès, Dar Abdeltif, le Musée des beaux-arts ou encore le Jardin d’essais  Aujourd’hui, le plus beau cadeau que je reçois, c’est le public qui est venu nombreux et tous ces étudiants. Ce matin même, j’ai reçu une vingtaine d’étudiants de l’EPAU. Hier, une quinzaine de l’Ecole des beaux-arts, et il y a deux semaines, une quinzaine d’étudiants du département d’architecture d’Alger-Centre. Finalement, c’est un vrai cadeau de m’adresser à des jeunes architectes et designers, de surcroît. Donc, pour moi, c’est des débats, des discussions. C’est un éveil. Je pense que nos jeunes ont manifesté beaucoup d’intérêt et de curiosité à pouvoir découvrir la baie comme ils ne l’ont jamais vue. Je ne vous cacherai pas que mon objectif prochain, après les étudiants, serait de réunir des architectes, des designers et des artistes autour d’une table, ici-même à la galerie et de pouvoir débattre, justement de l’harmonie que nous devons tous déployer, à nous organiser, à coordonner pour réconcilier l’art et l’architecture. 
 

-C’est justement un vaste débat que vous aviez commencé à engager au palais de la culture en 2022 avec certains de vos confrères...

Effectivement, j’avais engagé un vaste débat au palais de la culture avec des confrères mais l’organiser autour d’une table dans mon espace, c’est encore mieux. On peut ensuite élargir ce débat dans des espaces plus grands. Mon objectif, c’est d’amorcer un débat pour que  cela ne s’arrête pas là et qu’on puisse créer une continuité dans cette préoccupation majeure. D’abord que les architectes et les artistes designers revendiquent leur pouvoir à prendre position de leur métier, de leur responsabilité, et peut-être sensibiliser le grand public pour se dire que nous avons un joyau entre les mains qu’on doit absolument préserver. Mais pour préserver et protéger la baie d’Alger, il faut en être conscient. Il faut admirer sa ville en plus d’en être fier.
 

-Quelles techniques utilisez-vous ?

Dans ma technique de travail, je prends ma photo. Je l’agrandie dans le format que j’ai envie de dessiner. Je pose mon calque d’architecte de format A3. C’est du 30 par 42. Je développe en horizontal et en vertical pour couvrir toute la photo. Une fois que je suis satisfait du travail au crayon, je pose un autre calque sur le crayon pour dessiner la baie d’Alger à la plume. Après avoir fini de scanner le calque et de reconstituer le dessin sur ordinateur, j’imprime le tout sur forex. Vous pouvez imaginer tout le travail qu’il y a derrière. La première notion que j’ai découvert à l’EPAU, c’est que le diable est dans le détail. Je m’inscris dans le souci du détail parce que j’avais une autre préoccupation. Ce n’était pas de dessiner la baie d’Alger dans une nostalgie dans la baie d’avant mais c’est celle d’aujourd’hui. Celle que nous vivons en tant qu’Algérien, celle que nous fréquentons au quotidien pour la mettre en valeur pour dire voilà Alger quand elle est représentée sous ces différents angles, c’est l’une des plus belles au monde, sinon la plus belle pour moi. Il s’avère que l’appétit vient en mangeant puisque plus je déployais des vues en perspective sur la ville d’Alger, des boulevards, des monuments, et plus, je réalisais qu’il y avait tellement à faire et à dessiner. Il faut probablement plusieurs livres pour pouvoir représenter la ville telle qu’elle est, mais aujourd’hui, mon exposition est un point de départ qui j’espère sera un flambeau qui sera repris par les plus jeunes pour la continuer.
 

-Votre exposition est perçue comme un voyage initiatique et musical à la fois…

J’adhère complètement à cette expression. Pour moi, c’est découvrir Alger dans tous ses états. D’ailleurs, il y a une œuvre que j’ai intitulée, Alger dans tous ces états. Il y a aussi Alger, son grain de folie où j’essaye de dire si on laissait les artistes, les designers, les architectes se déployer, Alger aurait pu, à travers ses artistes, faire et défaire les modes à l’échelle internationale. Mon idée c’est comment déverrouiller de façon à plaider pour l’imagination, pour le rêve, pour le grain de folie dont ont besoin les artistes pour s’exprimer librement.
 

-La baie d’Alger est certes colorée mais disons que votre palette n’est pas assez large…

Il est clair que l’artiste ou l’architecte a ses couleurs privilégiées qui reviennent. Mais l’idée, c’était de trouver un équilibre de façon à ce que si je l’appelais El Bahdja, Alger est la joyeuse, donc pour moi, il fallait que se soient des couleurs lumineuses. Quand on regarde, on peut trouver du marron, du violet et du mauve. Cependant, il est clair qu’il y a toujours  des couleurs dominantes telles que le bleu et le vert. Ce sont des couleurs qui dominent. Et puis, il y a des couleurs complémentaires qui accompagnent le reste.
 

-Il y a aussi cette osmose entre la couleur et le noir et blanc…

Il y a plusieurs objectifs. Le premier, c’est de faire ressortir, et ensuite apporter la couleur de la photo et puis dire que la réalité est là. Et que si nous œuvrons, nous pourrons rattraper cette réalité avec de l’imagination, avec du travail et avec une sauvegarde de La Casbah. Pour moi, les touristes sont là, les jeunes architectes aussi, la femme qui roule son couscous est là. Et puis, cette vue sur la baie d’Alger reste exceptionnelle.
 

-A travers votre exposition, vous dévoilez également votre projet d’architecture intitulé « L’allée des artistes»…

Je dirai que la baie d’Alger est une ville amphithéâtre au panorama exceptionnel. J’ai réalisé que c’est la mer qui a intronisé Alger capitale, et pourtan, Alger tourne le dos à la mer. Pour moi, mon premier reflexe, c’est comment renouer la ville à la mer, à la Méditerranée. J’ai trouvé un superbe lieu qui est un point de départ, mais tout Alger aurait ou pourrait être connectée à la mer. La capitale tourne le dos à la Méditerranée. Le Jardin d’essais du Hamma - qui s’étend sur 32 hectares - est situé à 350 mètres de l’eau. C’est une opportunité pour créer une passerelle naturelle avec la mer. Mon aménagement consiste à créer un hyper centre artistique panoramique, perché entre ciel et mer.
 

-Sinon, quel bilan faites-vous, 23 ans après l’ouverture de votre galerie privée Farid Benyaa ?

Ce que je peux dire, c’est que cela a été une superbe aventure. Cela a été un privilège d’être  un plasticien et de pouvoir avoir son espace. J’ai crée ma galerie le 23 novembre 2000, et en  2005, j’ai ouvert mon espace, à la poésie, à la littérature et à la musique. Donc créer des croisements entre les différents publics- artistes et les différents arts, pour moi, ces passerelles, ces connections ont été les plus grands des bonheurs.

 

(Le plasticien Farid Benyaa dans sa galerie)

 

 

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