Faillite de la Silicon Valley Bank aux Etats-Unis et le spectre de la grande crise financière mondiale de 2008

01/04/2023 mis à jour: 21:47
3444
Photo : D. R.

La Silicon Valley Bank (SVB) est située en Californie, au sud de San Francisco (États-Unis d’Amérique). Elle est spécialisée depuis 40 ans dans le financement et les fonds d’investissement de start-up du secteur des nouvelles technologies, et a été le berceau de la révolution électronique et informatique.

Au début du mois de mars 2023, elle était la 16e plus grosse banque des États-Unis, en termes d’actifs gérés (les actifs gérés sont les actifs financiers et/ou immobiliers confiés par des clients qui peuvent être des entreprises, des particuliers…)  avec un plus de 200 milliards de dollars d’actifs.

Le succès de la SVB reposait sur sa capacité à accompagner la croissance des sociétés de haute technologie, ces dernières qui ont levé massivement des capitaux au cours des cinq dernières années, notamment après la période post Covid-19 et la reprise économique.

La Silicon Valley Bank a fait faillite et fermé ses portes le 10 mars. Il s’agit de la plus importante déroute bancaire aux États-Unis depuis la chute de Lehman Brothers en septembre 2008, ayant précipité la crise des subprimes et la crise financière mondiale. Quelles sont les causes de la déroute de la Silicon Valley Bank ? Faisons un retour en arrière chronologique pour comprendre comment cette banque est devenue insolvable.

Au cours de l’année 2021, profitant d’un fort engouement après la pandémie de la Covid-19 et la reprise économique, beaucoup de start-up ont réalisé d’importantes levées de fonds (c’est-à-dire une opération de financement qui consiste à solliciter des investisseurs pour participer au capital social.

Ces investisseurs deviendront ainsi actionnaires au sein de l’établissement bancaire). Les dépôts gérés par la Silicon Valley Bank ont alors explosé, passant de 102 à près de 190 milliards de dollars.

Ces liquidités ont été investies par la banque en obligations, notamment en bons du Trésor américain, un placement à première vue peu risqué.

Mais les politiques monétaires restrictives menées par la Réserve fédérale (la banque centrale américaine-FED) depuis juillet 2022 et la hausse des taux d’intérêt pour limiter l’inflation, ont eu un double effet : d’abord, pour de nombreuses startups, la hausse des taux d’intérêt et un marché de l’investissement en capital-risque refroidi par la crise des marchés financiers ainsi que l’instabilité économique ont rendu les levées de fonds privées plus coûteuses.

Dès lors, les clients de la Silicon Valley Bank ont commencé à retirer de l’argent dont ils disposaient en banque pour répondre à leurs besoins de liquidités et le paiement des factures. Ainsi, il y a eu une dégradation des conditions de financement des entreprises de haute technologie.

Selon le média économique Bloomberg, le signal de la panique bancaire «bank run» a été donné par Peter Thiel, le fondateur de la société Paypal et possédant un fonds d’investissement qui s’appelle Founders Fund (un véhicule d’investissement ou une société d’investissement en capital risque, de choix pour les start-up lors d’une levée de fonds), qui a préconisé de retirer immédiatement les fonds financiers de la SVB.

Cette personnalité assez influente a provoqué un vent de panique chez les clients de la SVB qui s’est traduit aussitôt par des demandes de retraits massifs de la part des dirigeants de startups de la high-tech les 8 mars et 9 mars. Pour la seule journée du 10 mars, les retraits des clients de la SVB ont atteint 42 milliards de dollars, soit 25% de l’ensemble des dépôts, ce qui a obligé la banque à annoncé son insolvabilité.

Ensuite, pour répondre aux besoins de ses clients de récupérer leurs dépôts, la SVB a été contrainte de vendre ses obligations, dont la valeur sur le marché a sensiblement chuté en 2022 (les obligations sont des titres utilisés par les entreprises ou les États dans le but d’emprunter de l’argent sur les marchés financiers. Quand on achète des obligations, on reçoit un intérêt en rémunération de ce prêt en plus du remboursement du montant emprunté).

Ce phénomène (perte de la valeur des obligations sur le marché par rapport à sa valeur nominale), parfois qualifié de «krach silencieux», s’explique par la relation négative entre la valeur des obligations en circulation et les taux d’intérêt : quand ces derniers montent, les investisseurs cèdent leurs «vieilles» obligations et acquièrent de «nouvelles», provoquant au passage une baisse du cours des premières obligations.

Dans ce contexte, la Silicon Valley Bank a dû vendre une partie de son portefeuille d’obligations afin de faire face aux retraits massifs de ses clients. Mais en raison de la diminution de la valeur des obligations, la banque, n’ayant pas été protégée contre le risque de l’augmentation des taux d’intérêt, a enregistré une perte de près de 1,8 milliard de dollars.

Et dans la foulée, la SVB a annoncé vouloir faire à une augmentation de son capital de 2,25 milliards de dollars. Cette annonce a fait perdre à la banque 60% de sa valeur à la Bourse de New York dès le lendemain.

Et elle a déclenché une panique bancaire «bank run», puisque de nombreux clients ont perdu confiance dans la banque, et ont retiré leurs fonds. Les autorités américaines ont procédé à la fermeture de la SVB vendredi 10 mars pour limiter la déroute de la SVB. Il faut souligner tout de même le manque de transparence des agences de notation.

En effet, le 10 mars, alors que la Silicon Valley Bank a commencé sa déroute, Moody’s, une agence de notation américaine leaders de ce secteur, donnait encore à cette établissement bancaire une note «A», soit un niveau d’investissement considéré comme sûr.

Standard & Poor’s, une autre agence de notation assez connue, notait de son côté SVP «BBB», certes une note plus bas que Moody’s, mais qui reste tout de même solide.

Ceci nous rappelle tous la crise financière mondiale de 2008 et le manque de flair et la responsabilité (du moins en partie) des agences de notation américaines quand elles avaient donné des notes favorables, aux produits subprimes, principales cause de l’explosion de la crise.

Comment les autorités monétaires bancaires américaines ont répondu à la banqueroute de la SVB afin de renforcer son système bancaire et éviter une contagion  ?

Le 10 mars, l’organisme fédéral de garantie des dépôts bancaires aux États-Unis, le Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) a mis sous tutelle la Silicon Valley Bank, deux jours à peine après l’annonce par le président Garry Tan de cette banque de lever 2,5 milliards de dollars pour répondre à la crise de liquidités. C’est une première depuis la faillite en 2008 de Washington Mutual Bank, racheté quelques jours plus tard par JPMorgan Chase pour 1,9 milliard de dollars.

La capitalisation boursière de la SVB culminait à 44 milliards fin 2021, mais sa faillite signifie que les actionnaires de cette banque ont perdu l’ensemble de leurs investissements, le cours des actions sur la bourse est passé de près de 800 dollars à zéro. La réponse rapide des autorités américaines à cette faillite était de renforcer la confiance dans le système bancaire et éviter toute contagion.

Après avoir pris le contrôle de Signature Bank, une autre banque en difficulté (21e banque américaine du pays en termes d’actifs gérés), le  12 mars, les autorités de régulation, la FED, le département du Trésor et l’organisme fédéral de garantie des dépôts bancaires ont annoncé plusieurs mesures.

Premièrement, les dépôts de la Silicon Valley Bank et de Signature Bank seront garantis dans leur totalité, et cela bien au-delà du plafond de 250 000 dollars prévu par la législation américaine (un montant maximum garanti par la FDIC, qui protège les dépôts bancaires aux États-Unis, uniquement à cette hauteur).

Cela concerne donc 85% des clients de ces deux établissements bancaires. Ainsi, ces autorités ont donné une garantie pour les 175 milliards de dollars gardés de liquidité de la Silicon Valley Bank pour le compte de milliers de start-up et d’investisseurs.

De quoi rassurer certaines sociétés comme streaming Roku (une plateforme de streaming nº 1 aux États-Unis) qui avait déposé 25% de ses liquidités (près de 500 millions de dollars).

Aussi, la FED a introduit un nouveau programme, le Bank Term Funding Program (BTFP), consacré à fournir des liquidités d’un an maximum, et cela à des conditions avantageuses, au profit des banques et autres institutions pouvant être concernées.

Dès lors, ces établissements bancaires pourront emprunter des fonds de court terme en apportant des obligations valorisées à leur valeur nominale, et non pas à leur valeur sur le marché.

Si les autorités monétaires américaines ont garanti après la déroute de la silicon Valley Bank, que tous les clients pourraient récupérer leur argent, les investisseurs de cette banque quant à eux ont perdu tous leur argent.

La question qui se pose maintenant, est-ce qu’il existe un risque de contagion dans le monde et notamment en Europe ? Va-t-on revivre la grande crise financière mondiale de 2008 ?

Le président américain Joe Biden a déclaré le 13 mars que le système bancaire américain était solide et sûr et bien capitalisé, et cela à cause des contrôles et exigences en matière de fonds propres qui ont été mis en place après la crise financière mondiale de 2008.

Il a aussi soutenu que les contribuables américains ne seront pas concernés par les pertes, et a appelé le Congrès à consolider la régulation du secteur bancaire. Les dirigeants européens se sont montrés également rassurants juste après la faillite de la SVB.

Ainsi, selon Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, il n’existe « pas de risque de contagion » et les banques françaises et européennes sont « solides ».

Il semble en effet que les institutions bancaires européennes opèrent selon un modèle différent de la Silicon Valley Bank. Leurs clients et leurs actifs sont particulièrement plus diversifiés. Aussi, les relations directes entre la SVB et les établissements bancaires européens sont très peu.

Par ailleurs, à Londres, les autorités financières ont opéré dans une extrême urgence juste après l’annonce de la faillite de la SVB, afin de rassurer les marchés financiers et essayer de limiter les dégâts pour les entreprises opérantes dans le secteur de la haute technologie sur le territoire anglais.

Ainsi, elles ont annoncé le 13 mars dernier que la filiale britannique de la SVB avait été vendue à la banque HSBC pour une livre symbolique. Mais beaucoup d’experts du monde de la finance restent aujourd’hui prudent après la faillite de la SVB.

Ainsi, Neil Shearing, un économiste principal au sein de Capital Economics institution a déclaré qu’il fallait surveiller si les actions des autorités monétaires américaines vont réussir à maintenir la confiance dans le système bancaire américain, avant de rajouter qu’il faudrait surveiller s’il y a d’autres établissements bancaires avec des fragilités semblables à SVB. Et maintenant, quelles sont les leçons à retenir de cette faillite bancaire ?

De nombreux experts de la finance pointent le doigt sur les politiques monétaires restrictives (augmentation des taux d’intérêts) menées par les banques centrales mondiales, comme la FED et la Banque centrale européenne (BCE) depuis le mois de juillet 2022 pour lutter contre l’inflation de manière à soutenir les économies.

Et si les dirigeants de la SVB sont sur le banc des accusés après cette faillite, il semble bien que la responsabilité des agences de régulation américaines est aussi engagée.

En effet, de nombreux experts ont été surpris de l’absence d’inquiétude de la part des autorités de régulation après l’augmentation massive des dépôts à la SVB ainsi que la gestion de la trésorerie qui a été investie en intégralité dans les obligations à long terme, ce qui a exposé de manière forte la banque dans le cas de la hausse des taux d’intérêts.

Aussi, certains experts se sont étonnés du fait que la SVB a échappé aux radars de la surveillance des autorités de régulations fédérales et locales.

En effet, depuis la grande crise financière de 2008, la surveillance des banques s’est concentrée sur les plus grandes d’entre elles.

Et si la SVB a échappé à l’obligation de présenter un plan de liquidation, c’est parce que l’administration sous l’ancien président américain, Donald Trump, avait procédé à l’assouplissement des règles de solvabilité pour les petites banques régionales et au changement des règles de surveillance des établissements bancaires : la limite a été relevée à 250 milliards de dollars d’actifs sous gestion au lieu de 50 milliards de dollars, ce qui a permis à la SVB (un peu plus de 200 milliards de dollars d’actifs gérés) de passer sous le radar de surveillance.

La faillite de la SVB a bien démontré que la régulation en vigueur aux États-Unis n’a pas fonctionné encore une fois. Il semble également que le modèle européen de la «banque universelle» est résilient du fait de la diversité des clients.

En effet, «… en Europe, le modèle bancaire prédominant est celui de la banque universelle. Sous cette appellation générale coexistent en réalité une grande diversité de modèles ayant pour point commun une aptitude à répondre aux besoins variés de leur clientèle, laquelle reflète à son tour la grande diversité des économies européennes.

Les banques universelles ont non seulement été le pilier financier de la croissance de l’Europe au cours des dernières décennies, mais elles ont fait preuve d’une capacité de résistance aux crises qui ont touché le continent pendant cette période, y compris durant la grande récession de 2009 et des années suivantes»*.

Nous commençons tous à découvrir les mauvais effets des politiques monétaires menées par les Banques centrales depuis près de 10 ans en faveur de l’argent facile.

En effet, l’augmentation des taux d’intérêt a beaucoup pénalisé les établissements bancaires et l’activité économique, sans oublier l’augmentation exponentielle de la charge des dettes des États qui empruntent sur les marchés financiers.

Si la faillite de la SVB américaine ne devrait pas pour le moment générer de lourdes pertes pour le système financier bancaire américain et déclencher une nouvelle crise financière mondiale, c’est certainement du fait que cette banque (un peu plus de 200 milliards de dollars d’actifs sous gestion) n’est pas Lehman Brothers qui a fait faillite en 2008 (600 milliards de dollars d’actifs sous gestion).

La SVB ne possède ni la taille ni les interconnexions avec le reste des établissements bancaires de Lehman Brothers. Mais on ne sait jamais, le monde de la finance est imprévisible.

Mais une chose est sûre : la disparition de SVB pourrait avoir de grandes conséquences négatives sur le financement du secteur de la haute technologie.

A ce titre, Bill Ackman (fondateur et PDG de Pershing Square Capital Management, un fond spéculatif), avait déclaré sur les réseaux sociaux que les sociétés soutenues par le capital-investissement dépendaient de la Silicon Valley Bank pour l’obtention de prêts et la trésorerie. Affaire à suivre…

(*) Docteur en sciences économiques d’Aix- Marseille université, France. 
Professeur des universités, Skikda, adhérent au Réseau de recherche sur l’Innovation (RRI/France) et Association Tiers Monde (ATM, France).

Bibliographie :

(Schildbach, Jan, et Bernhard Speyer. «La banque universelle : un modèle menacé malgré son succès», Revue d’économie financière, vol. 112, no. 4, 2013, pp. 125-158).

Copyright 2024 . All Rights Reserved.