Un monde en pleine effervescence sur fond de ralentissement de la mondialisation, de repli sur soi et surtout de rivalité croissante entre les Etats-Unis et la Chine.
Pendant des décennies, une intégration plus étroite des économies et des sociétés était considérée comme le moyen pour assurer une utilisation efficace des ressources (combinant progrès technologique, forces du marché, recherche de profits et logique concurrentielle), augmenter les niveaux de vie des populations à travers le monde et réduire l’écart des niveaux de vie entre les pays avancés et le reste du monde.
Ces progrès, en retour, devaient renforcer les liens culturels, favoriser les valeurs, normes et institutions démocratiques libérales et améliorer les perspectives internationales de coopération et de paix. Focalisé sur les seuls avantages (notamment l’extraction de la pauvreté de 35 millions de personnes à travers le monde), le monde occultait toutefois les dommages structurels de la mondialisation (délocalisation, pertes d’emploi, fragmentation des chaînes de production) et ses conséquences politiques (montée des nationalismes, des extrêmes droites et de la xénophobie).
La récente pandémie de la Covid-19 a accentué ces dommages structurels en fragilisant les chaînes de valeurs mondiales, l’épine dorsale de la mondialisation, tandis que la guerre en Ukraine ravivait les tensions géostratégiques. Plus préoccupant, la rivalité croissante entre les Etats-Unis et la Chine (un pays devenu une superpuissance grâce à la mondialisation) au niveau de nombreux secteurs (investissement, technologie, militaire et diplomatie) faisait resurgir la perspective d’un affrontement militaire, un découplage économique entre les deux superpuissances et un réexamen des liens existants avec d’autres pays avancés. Même s’il est peu probable que ces derniers risques ne se concrétisent en raison de leurs conséquences systémiques désastreuses, le monde est plongé dans un climat d’incertitude. Cet article va se focaliser sur la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine et ses conséquences sur le reste du monde. Le cas de l’Algérie sera également soulevé.
L’affrontement institutionnel au lieu de l’affrontement militaire : pourquoi et comment ?
Un concept assez ancien : L’affrontement militaire a été écarté lors du sommet du G-20 de Bali en novembre 2022. Au lieu et place, les Etats-Unis et la Chine semblent favoriser ce que les experts en géostratégie appellent l’équilibre institutionnel. Ce dernier n’est pas un concept nouveau. En effet, depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis et la Chine ont poursuivi l’équilibre institutionnel pour renforcer leur pouvoir et exercer leur rivalité au niveau des grandes institutions internationales. Même si cela n’élimine pas les tensions diplomatiques entre états, cette approche concurrentielle sur le plan institutionnel a le mérite de contribuer à préserver la coopération internationale sur les grands dossiers de la planète, rendre les institutions multilatérales plus pertinentes et dynamiques et accroître les investissements au niveau des grands biens publics.
De ce fait, si la stratégie d’affrontement institutionnel se poursuit, les Etats-Unis et la Chine pourraient rendre l’ère bipolaire actuelle moins conflictuelle que la précédente ère unipolaire. Les deux formes de l’affrontement institutionnel : (1) la forme inclusive : implique qu’un Etat incorpore un rival dans une institution internationale dont les normes contraignent son comportement. Par exemple, l’intégration à l’Organisation mondiale du commerce favorisée par les Etats-Unis a contraint la Chine à libéraliser des pans entiers de son économie et à être sujette à des plaintes commerciales ; et (2) la forme exclusive : mécanisme donnant la possibilité à un Etat d’exclure un rival d’un accord ou d’une institution, sapant ainsi son influence et le forçant à s’engager à des conditions moins avantageuses. Les Etats-Unis ont utilisé un équilibre institutionnel exclusif dans le cas du Partenariat Transpacifique en procédant à l’exclusion intentionnelle de la Chine de ce nouveau regroupement régional.
De ce fait, la Chine se retrouva exclue d’une sphère économique représentant près de 40% de l’économie mondiale. Les conditions de succès pour une rivalité institutionnelle fonctionnelle : (1) elle doit rester limitée par la logique de la dissuasion nucléaire.
Quelle que soit la vigueur avec laquelle ils recherchent un équilibre institutionnel, les Etats-Unis et la Chine continueront probablement à se concurrencer militairement sans pour autant franchir la ligne rouge de l’affrontement nucléaire qui serait extrêmement dangereux pour l’une ou l’autre des parties et le reste du monde ; (2) le renforcement, et non l’affaiblissement, de leur interdépendance économique. Tant que les Etats-Unis et la Chine sont interdépendants, leurs liens économiques et les relations entre leurs citoyens prémunissent contre un affrontement de militaire. Nonobstant la concurrence acharnée entre les deux superpuissances, il est vital de ne pas recourir à une politique mettant fin à leur dépendance mutuelle ; et (3) l’exclusion de l’idéologie comme élément de base du cadre de la concurrence entre les deux pays.
Le découplage économique : rhétorique et réalité.
La stratégie de découplage limitée de la Chine. Elle a pour objectif : (1) d’éliminer sa dépendance vis-à-vis des pays et des sociétés étrangères pour ce qui est des technologies et produits critiques ; (2) faciliter la domination nationale des entreprises locales ; et (3) renforcer sa compétitivité mondiale. Cette stratégie, lancée dès 2005 avec un premier plan à moyen et long terme pour la science et la technologie, a été renforcée en 2015 par le nouveau plan Made in China 2025 comme moteur du découplage à travers trois mécanismes : (1) l’acquisition d’entreprises américaines par le biais de fusions, de prises de participation et d’investissements en capital-risque à l’étranger ; (2) les subventions et les financements : avec un fonds doté de $500 milliards pour soutenir la recherche et le développement au niveau des technologies et des produits que la Chine importe, notamment les semi-conducteurs.
Ajoutons à cela les prêts bonifiés et autres aides pour soutenir les champions locaux ; et (3) les restrictions sur la propriété étrangère, y compris les exigences de coentreprise et autres limitations de participation étrangère, ainsi que divers processus de contrôles administratifs et de licences pour forcer les transferts de technologie de la part des entreprises américaines. Ces techniques ont alourdi l’environnement des affaires pour les entreprises étrangères et conduit à des mesures de représailles des gouvernements étrangers, notamment depuis la crise financière de 2008 et, plus récemment la pandémie de la covid-19.
La stratégie américaine de découplage : Pour les Etats-Unis, la politique de découplage poursuivie depuis quelques années vis-à-vis de la Chine est définie comme une concurrence stratégique cherchant à limiter leur dépendance à l’égard de la Chine afin de protéger leur base industrielle, réduire leur dépendance à l’égard des importations dans des secteurs sensibles, atténuer le potentiel de militarisation de l’interdépendance par la Chine et surtout ralentir coûte que coûte la progression économique et technologique de la Chine.
Les limites du découplage : In fine, ce dernier ne répond aux intérêts de personne et ne résiste pas aux tests de la réalité économique.
Quatre raisons : (1) les différents rôles joués par les Etats-Unis et la Chine dans le système économique mondial et de celui de l’Asie de l’Est. La Chine a poursuivi un modèle de croissance basé sur la production et l’investissement au cours des dernières décennies, tandis que les États-Unis sont une économie post-industrielle fortement financiarisée, soutenue par une consommation élevée et une position centrale dans l’ordre financier mondial. Ces fondamentaux s’avéreront beaucoup plus difficiles à façonner que la modification unilatérale des politiques commerciales ; (2) l’inévitable reconfiguration de l’ordre économique mondial et régional : fondé sur une rupture des liens commerciaux et des règles commerciales et des sphères exclusives de grandes puissances, entraînerait des coûts économiques importants et saperait les stratégies de développement des États d’Asie de l’Est qui sont au cœur des réseaux régionaux de production manufacturière ; (3) les relocalisations en dehors de la Chine et les politiques industrielles nouvelles des Etats-Unis et des autres pays avancés procureront des avantages à ces derniers sans pour autant remettre fondamentalement en cause la position centrale de la Chine dans les réseaux régionaux de commerce et de production à moyen terme ; et (4) le rôle-clé et incontournable des Etats-Unis et de leurs alliés comme source de demande, de capital et de technologie. L’émergence du nouveau concept de dérision (réduction des risques). Le réalisme reprend son droit avec ce nouveau concept de réduction des risques qui semble allier prudence et ciblage. En vertu de cela, les entreprises occidentales vont continuer à commercer avec et investir lourdement en Chine en s’assurant toutefois de la mise en place de certaines garanties préalables.
La nouvelle approche distingue : (1) ce que l’Occident obtient de la Chine ; et (2) ce que la Chine obtient de l’Occident. Pour ce qui est de ce dernier, citons comme priorité les technologies de pointe avec des utilisations militaires potentielles.
Ainsi, les restrictions sur les exportations de semi-conducteurs de la part des Etats-Unis entrent dans cette catégorie. Simultanément, les pays avancés tentent également de se libérer de ce qu’ils considèrent comme des dépendances dangereuses vis-à-vis de la Chine, à savoir les achats de terres rares et de minéraux entrant dans la fabrication des batteries pour véhicules électriques ainsi que des biens appuyant la transition verte. In fine, c’est une stratégie nouvelle alliant réalisme économique et gestion de risques majeurs pour chacune des parties en présence.
La position de l’Europe pour ce qui est de la stratégie de dérision. Tout comme les Etats-Unis, l’Union européenne (UE) est un partenaire économique et commercial important de la Chine. L’UE vise à réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine, sans pour autant cibler un découplage complet qui n’est pas souhaitable et encore moins réalisable. La «réduction des risques» est désormais la pierre angulaire de l’UE dans ses rapports avec la Chine, un changement majeur par rapport au passé qui ciblait le renforcement de l’investissement à n’importe quel coût.
La nouvelle stratégie de réduction des risques s’appuiera globalement sur les axes suivants : (1) une diversification des chaînes d’approvisionnement pour ce qui est des secteurs stratégiques ; (2) une gestion plus prudente des échanges commerciaux pour éviter des chocs à court ou moyen terme ; (3) un renforcement de la coordination entre l’UE et les Etats-Unis ; et (4) un durcissement vis-à-vis de la Chine sur les sujets importants de la concurrence déloyale des entreprises chinoises et des violations des droits de l’homme. Sans nul doute, cette nouvelle politique va être source de conflits mais n’empêchera pas le renforcement des échanges commerciaux et économiques entre de grands partenaires. L’Algérie dans le monde d’aujourd’hui : diplomatie économique tous azimuts et réformes structurelles profondes.
Face à un monde en plein bouleversement et reconfiguration, il est important que l’Algérie : (1) développe une diplomatie économique ambitieuse pour mobiliser les financements internationaux, la technologie et le conseil économique dont elle a besoin pour refonder son modèle économique et social ; et (2) réalise pleinement son potentiel de croissance économique réelle en prenant appui sur deux variables importantes : la taille de la population active et donc de sa main-d’œuvre et des marges importantes de rattrapage en termes de productivité.
Ce sont les grands enjeux au cours des années à venir qui passe par une vision 2050 (qui hisserait l’Algérie au rang de pays émergent) autour de laquelle s’articulerait une stratégie à long terme autour de quatre blocs de réformes cohérentes et bien séquencées destinées à :
(1) assainir les bases de l’économie nationale ; (2) créer une base productive multisectorielle, inclusive et compétitive ; (3) mettre en œuvre des politiques sectorielles favorisant le développement de nouvelles sources d’énergie non polluantes afin d’épouser le processus de décarbonisation mondial et créer des activités à haute valeur ajoutée (numérique, vert, bleu, etc.,) ; et (4) renforcer le taux de participation qui est de 41% en moyenne pour lever les contraintes sur la variable travail avec (i) le développement des politiques du genre, de l’éducation et la structure des ménages qui sont des éléments déterminants dans le processus de décision des populations en âge de travail de rejoindre le marché du travail ; (ii) la mise en place de programmes de gestion du marché du travail, des institutions et des facteurs non économiques jouant un rôle fondamental dans la décision d’une personne de trouver et/ou garder un emploi et les avantages de travailler ; (iii) relever les défis posés par certaines catégories de travailleurs, notamment les gardes d’enfants, les politiques de la famille, les systèmes de retraite et les autres mécanismes de transferts sociaux et de départ en retraite ; et (iv) pour ce qui est des femmes, leur taux de participation passe par une attention particulière à leur éducation, la fertilité et le mariage.