Entretien / Dr Amel Benatallah. Maître de conférences à l’Ecole nationale supérieure vétérinaire, spécialiste dans le bien-être animal : «Le stress thermique affecte la productivité des animaux de rente»

01/08/2023 mis à jour: 03:57
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Dans cet entretien, Mme Amel Benatallah, maître de conférences au niveau de l’École nationale supérieure vétérinaire d’Alger et spécialiste dans le bien-être animal, revient sur l’impact de la canicule sur les animaux de rente. Elle explique que dès que les températures dépassent un certain seuil, ces derniers souffrent de stress thermique, engendrant des conséquences sur leurs rendements. Explications.

 

 

-L’été caniculaire s’en prend aussi aux élevages, dont les productions baissent à cause de la chaleur. Quel est donc l’impact des fortes chaleurs sur les animaux ?
 

Il faut savoir que toutes les espèces animales, qu’elles soient domestiques ou sauvages (libre ou en captivité), tolèrent la chaleur à un certain seuil, mais quand la température critique supérieure est dépassée, les animaux ne seront pas suffisamment capables d’évacuer leur chaleur, ce qui provoque une hausse de la température corporelle. C’est ce qu’on appelle le stress thermique. Ce dernier s’accentue et s’aggrave encore quand la température est associée à un taux d’humidité élevé.

 Cet état de stress thermique n’est pas sans conséquence. Il altère le bien-être, affecte la productivité que ce soit en termes de quantité ou de qualité du lait, les œufs ou encore la qualité de la viande. Il altère également la fertilité. En effet, une reproduction perturbée avec des manifestations de chaleurs plus courtes et moins intenses conduit à une diminution du chevauchement, ce qui rend la détection des chaleurs plus difficile. Le stress thermique impacte aussi la croissance des jeunes ainsi que le comportement de l’animal. Il accentue les risques sanitaires (mammites et boiteries) et dans les cas extrêmes s’exprime par des taux élevés de mortalité. Il est donc important d’éviter, autant que possible, que les animaux entrent en stress thermique, voire  si possible, de gérer ce type de situation. 
 

-Malheureusement, cette canicule est aussi associée à des conditions d’élevage défavorables…

Dans ces conditions climatiques exceptionnelles, lorsque la chaleur dépasse les 48°C, associée à un taux d’humidité très élevé qui dépasse les 90, quelles que soient les capacités adaptatives des animaux, ces derniers ne peuvent pas supporter de telles chaleurs surtout si les conditions d’élevage sont défavorables à l’exemple de la mauvaise circulation d’air, la promiscuité, la forte densité, une alimentation déséquilibrée et surtout une eau d’abreuvement rationnée et non à volonté comme c’est le cas de la majorité des élevages hors sol (stabulation entravée). 

Dans ces conditions qui altèrent le bien-être de l’animal et menacent sa survie, les capacités adaptatives des animaux à de telles conditions sont totalement dépassées et les animaux n’arriveront jamais à dissiper la chaleur interne puisque la chaleur externe est très intense et dépasse les capacités de thermorégulation de l’animal. Cela va donc impacter leurs performances (production et reproduction). Si ces conditions climatiques persistent encore avec les mêmes conditions d’élevage, on risque d’avoir des taux de mortalité très élevés. 

En conséquence, l’impact économique sera très lourd. Je recommande vivement aux éleveurs et propriétaires d’animaux, quelle que soit l’espèce, de prendre en charge leurs animaux. Il faut aussi rester vigilant et améliorer leurs conditions de vie en leur procurant un abri ombragé et en leur garantissant une eau fraîche à volonté et une alimentation équilibrée et non énergétique pour pouvoir faire face à ces conditions climatiques exceptionnelles. 
 

-Pourquoi cela impacte-t-il la productivité des animaux de rente ?

Tout simplement, parce que les animaux de rente supportent mal la chaleur, particulièrement les poulets de chair, les poules pondeuses, les lapins et les vaches laitières, et ce, en raison de leur métabolisme élevé et leur seuil de confort relativement limité mais aussi à cause de leur détention dans les bâtiments et la densité d’élevage dont les conséquences néfastes pèsent sur leurs performances. Pour la plupart d’entre eux, les températures idéales se situent entre 17 et 24 °C. 

Les poules, elles, dès 24 °C peuvent étouffer à force de respirer un air vicié en ammoniaque, en dioxyde de carbone et en humidité. Ces conditions stressantes contribuent dans la chute de la production d’œufs, qui peut conduire, dans les cas sévères, à des taux élevés de mortalité. En ce qui concerne les ruminants (ovins, caprins et bovins), dès 24°C, ils commencent à souffrir de la chaleur. 

A titre d’exemple, les vaches sont confrontées au stress thermique à partir de 22°C, qui peut s’aggraver à 30°C associé à un taux d’humidité de 65% soit un THI (index température-humidité relative) de 81 qui entraîne une baisse des quantités ingérées. Celle-ci constitue l’un des mécanismes de protection de l’organisme visant à réduire la production de chaleur interne lors de la digestion et de la métabolisation des aliments. 

En conséquence, une baisse de production du lait et une diminution de la qualité du lait (taux de protéines et de matières grasses). En outre, le nombre de cellules somatiques augmente, en particulier chez les grandes productrices d’où les problèmes de mammites qui s’accentuent. 

Dans ce sens, des études ont montré qu’un animal exposé à un stress thermique de 8 heures va en moyenne réduire de 2 kilos sa capacité d’ingestion et diminuer sa production de 3 kilos de lait. On observe également une reproduction perturbée avec des manifestations de chaleurs plus courtes et moins intenses, la diminution du chevauchement, ce qui rend la détection des chaleurs plus difficile. 

En outre, pour dissiper l’excès de chaleur, le bovin accélère son rythme respiratoire (jusqu’à 100 respirations par minute), ce qui entraîne une perte de CO2, compensée par une élimination de bicarbonate dans les urines. Ainsi, faute de bicarbonate disponible, le pouvoir tampon de la salive diminue, entraînant une baisse du pH du rumen. 
 

Ce processus est alors accentué par un amoindrissement de la rumination et par une perte de salive d’où les problèmes d’acidose qui vont encore aggraver la situation lors de stress. Le rythme respiratoire est associé à une accélération du rythme cardiaque et une température rectale élevée. Contrairement à une baisse de l’ingestion, un appel d’eau important est relevé chez tous les animaux de rente durant la période de fortes chaleurs, particulièrement la vache laitière dont les besoins en eau tournent autour 150 litres par jour et qui peuvent atteindre  250 litres en période de canicule. 
 

-Ces animaux ne disposent-ils pas d’un mécanisme de thermorégulation qui les protège un peu mieux des contraintes thermiques ?

Effectivement, les animaux sont bien dotés d’un mécanisme de thermorégulation qui leur permet de maintenir et réguler leurs températures corporelles. Toutefois, lorsque la température ambiante est telle, les possibilités adaptatives de la thermorégulation sont dépassées, entraînant l’animal dans un état de stress thermique. Son corps tend à rétablir au mieux l’équilibre thermique mais toujours au détriment de sa capacité productive et reproductive. Ces performances s’altèrent encore si les fortes chaleurs sont associées à des rayonnements solaires directs ou indirects, des mouvements d’air réduits et une humidité relative élevée. Pour cela, il est préférable de prévenir le stress thermique pour éviter ces pertes économiques lourdes qui impactent la sécurité alimentaire du pays. 
 

-Avec le changement climatique, les températures risquent d’être de plus en plus chaudes. Quel avenir pour la productivité des animaux de rente ?

Effectivement, avec le réchauffement climatique, les vagues de chaleur sont désormais la norme et sont amenées à s’amplifier de plus en plus à l’avenir. C’est un véritable danger pour le bien-être des animaux (souffrance permanente) et leur santé mais aussi une menace économique pour les éleveurs. D’ailleurs, plusieurs chercheurs ont pronostiqué qu’à l’horizon 2100, plus de 48% du cheptel mondial de bovins (contre 7% aujourd’hui) sera impacté par des vagues de chaleur répétées qui vont certainement impacter sa survie (baisse d’effectifs) et ses performances productives. 

A mon avis, des transformations en profondeur des modes d’élevage s’imposent pour assurer le bien-être des animaux et leur rentabilité. Pour cela, les pouvoirs publics doivent établir une feuille de route ambitieuse pour des modèles productifs plus adaptables et plus durables aux effets du changement climatique. II faut encourager et renforcer la recherche génétique qui représente une voie importante à considérer pour aider les éleveurs à mieux sélectionner leur troupeau, sur des index qui favorisent la résistance au stress thermique.

 Par exemple, la race locale algérienne (la brune de l’Atlas) est très rustique et peut faire face aux fortes chaleurs. Pourquoi donc ne pas améliorer sa production laitière qui représente le facteur limitant. Aussi, accentuer les recherches sur l’alimentation pour découvrir un aliment appétissant, productif du lait et moins énergétique qui permet aux animaux de rentes de le consommer sans fournir beaucoup d’efforts lors de fortes chaleurs. 
 

-Quelles sont vos recommandations pour protéger ces animaux des fortes chaleurs ? 

En période de fortes chaleurs, il est recommandé de prendre des mesures préventives afin de limiter au maximum le stress thermique. Ces mesures peuvent être prises à différents niveaux. L’éleveur doit être en mesure d’identifier les premiers signes de stress thermique par un contrôle journalier de son élevage pour prévenir les risques de stress et prendre à temps les mesures nécessaires. Il est aussi important de fournir de l’eau en abondance en quantité et qualité. 

Les quantités d’eau d’abreuvement dépendent évidemment de la ration, de la production laitière et des besoins en thermorégulation qui peuvent devenir exponentiels en période de fortes chaleurs. Sachant que l’accès à l’eau doit être facilité avec des abreuvoirs répartis dans le bâtiment, et avec suffisamment d’espace autour de chaque abreuvoir pour éviter la compétition entre animaux. 

Cette eau devrait être à une température de 10°C et veiller à la renouveler fréquemment. Autre conseil : éviter la surpopulation dans les bâtiments d’élevage pour aider les animaux à évacuer correctement la chaleur et de réduire les problèmes de compétitions. Une bonne ventilation est aussi essentielle. 
 

En effet, l’éleveur doit installer des asperseurs et des ventilateurs dans les bâtiments et les parcs d’attente, qu’il peut associer à un système d’aspersion qui fait baisser la température corporelle et pourquoi pas, prévoir des zones d’ombre au pâturage. Il faut aussi penser à limiter le rayonnement des parois, de la toiture et de l’environnement du bâtiment et proscrire la pose de tôle en toiture qui génère de la chaleur. En cas de hausse des températures, les animaux consomment moins d’aliments. 

Maintenez une consommation maximale en tenant compte de la qualité et de la fraîcheur des aliments. Il faut aussi que l’éleveur pense à humidifier la ration et distribuer la nourriture plutôt le soir que la matinée. En ce qui concerne les vaches laitières par exemple, il est important d’apporter des fibres non triées, courtes, en quantité suffisante sans excès, bien consommées, en évitant les rations trop encombrantes.

 Il faudra aussi veiller au bon équilibre de la ration, à l’alimentation minérale complémentaire, sans hésiter à modifier les rythmes de désilage et de distribution (tôt le matin et tard le soir plutôt qu’une distribution unique en fin de matinée). 

Il faut aussi favoriser une bonne conservation de l’aliment, tout en veillant aussi à ce que l’auge soit protégée du rayonnement du soleil et évidemment éviter les aliments qui chauffent. Et dans le but d’améliorer la qualité du lait, il faut penser à incorporer des graisses plus résistantes à la ration qui répondent aux besoins énergétiques des animaux. Et enfin, je recommande d’éviter de sortir ces animaux en journée mais plutôt privilégier la nuit.

 

Propos recueillis par Sofia Ouahib

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