Entre monde fantastique et réalité numérique : Oussama Muslim, l’écrivain saoudien qui captive la jeunesse algérienne

12/11/2024 mis à jour: 16:14
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Oussama Muslim - Photo : H. Lyès

En mêlant des influences orientales aux codes modernes de la fantasy, Muslim offre aux lecteurs une évasion vers un monde peuplé de djinns et de sorcières, où l’imaginaire se fait, en creux, le miroir de questions sociales et identitaires profondes.

L’afflux d’une foule impressionnante au Salon international du livre d’Alger (Sila) pour accueillir un écrivain saoudien du nom d’Oussama Muslim a révélé un phénomène inattendu : un roman de fantasy, genre longtemps considéré comme un domaine de l’Occident et qui plus vient d’Arabie Saoudite, trouve en Algérie une terre d’accueil et un public branché et passionné. Venu pour présenter son ouvrage Khawf (La peur), Oussama Muslim est un auteur prolifique (il édité 32 romans en neuf ans) ayant un succès qui ne se dément pas dans tout le monde arabe.

En mêlant des influences orientales aux codes modernes de la fantasy, Muslim offre aux lecteurs une évasion vers un monde peuplé de djinns et de sorcières, où l’imaginaire se fait, en creux, le miroir de questions sociales et identitaires profondes. Son ambition est de faire replonger le lecteur dans l’Orient mythique des Mille et Une Nuits, tout en lui offrant une intrigue captivante. L’auteur, diplômé en littérature anglaise de l’université du roi Fayçal à Hofouf, est un pionnier dans le développement de la littérature de genre en Arabie saoudite, une rareté qui tranche avec le conservatisme wahhabite.

Celui qui se décrit lui-même comme «le plus célèbres des écrivais méconnus» dépeint un monde parallèle complexe, dans lequel la sorcellerie et les djinns régissent des sociétés autonomes où les humains apparaissent comme des figurants. En ce sens, le roman rappelle les grandes épopées de fantasy occidentales comme Harry Potter ou Game of Thrones, mais en ancrant son récit dans une ambiance orientale, au parfum des Mille et Une Nuits.

Le succès de cet auteur n’est visiblement pas du goût des conservateurs saoudiens, qui voient ses écrits comme une déviance. Pourtant, c’est précisément, selon les analystes du phénomène, cet imaginaire qui semble fasciner les jeunes lecteurs, notamment les femmes qui seraient à la recherche d’un espace de liberté littéraire, où les tabous de la société peuvent être explorés sans être jugés.

L’effet des réseaux sociaux

Les romans de Muslim s’inscrivent dans un courant qui s’appelle la «Ligue arabe de science-fiction», une association rassemblant les auteurs qui rêvent de donner au monde arabe ses propres figures de l’imaginaire. Cette ligue, fondée par Ibrahim Abbas et Yasser Bahjat et d’autres écrivains saoudiens et arabes, entend construire un univers de fantasy et de science-fiction qui puise dans le patrimoine littéraire de la région, mais s’émancipe des contraintes de la tradition.

Abbas, auteur du roman à succès Hawjan (2012), qui raconte une histoire d’amour entre un djinn et une humaine, a été le premier à être vivement critiqué par les conservateurs religieux. Mais loin de le freiner, cette publicité a contribué à la reconnaissance du genre.

Dans une intervention médiatique, Moundhir Qabbani, autre écrivain de la Ligue et auteur de cinq romans, confiait : «A travers nos textes, nous voulons être le prolongement de ce patrimoine littéraire arabe, mais aussi offrir à la jeunesse un espace où l’imaginaire est libre de toutes contraintes.» Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la popularité de ces œuvres.

Les jeunes écrivains arabes, souvent privés de visibilité dans les canaux traditionnels, investissent des plateformes comme Instagram pour y créer un lien direct avec leurs lecteurs, faisant des blogs et des réseaux un espace d’échanges qui va au-delà les frontières.

Actif sur Instagram, Oussama Muslim rassemble près de 400 000 abonnés, cultivant une relation de proximité avec son public et n’hésitant pas à dialoguer et à échanger sur ses inspirations, et surtout à partager des bribes de son imaginaire. Cet usage des réseaux sociaux lui permet d’entretenir un lien fort avec son lectorat, qui n’est plus simplement lecteur, mais aussi participant à un univers littéraire qu’il façonne au fil des publications et des commentaires.

Les critiques arabes partagés

D’aucuns qualifient cela de stratégie de promotion finement orchestrée visant à amplifier l’impact de l’auteur sur les jeunes générations. D’autres y voient un signe de l’évolution des moyens de diffusion de la littérature dans le monde arabe. La publication de vidéos, les discussions en ligne et les communautés qui se forment autour de ces œuvres constituent des cercles de passionnés.

Cette évolution pourrait illustrer, selon les observateurs arabes, un mouvement de fond, celui d’une société en mutation où la jeunesse prend la plume pour dire ce qui ne peut être dit autrement.  Face à ce succès fulgurant, l’opinion des critiques est partagée. Certains se réjouissent de voir une nouvelle génération se passionner pour la lecture et l’on parle volontiers de «l’Harry Potter arabe», célébrant Muslim comme une figure capable de «réveiller le marasme littéraire» et d’initier la jeunesse au plaisir de lire.

D’autres critiques estiment que ce succès n’est qu’un effet de mode, une bulle qui finira par éclater. Pour l’écrivain koweïtien Taleb Al Rifa’i, ces romans pourraient encourager une vision simpliste de la littérature, voire à cultiver un goût pour l’évasion qui finirait par éloigner encore plus la jeunesse de la réalité.

Le romancier algérien Waciny Laredj estime que pour comprendre ce phénomène, il faut se détacher du modèle classique du roman, afin que les jugements soient fondés sur une réelle volonté de comprendre et non sur la critique préconçue. Le phénomène El Muslim fait penser, par ailleurs, au succès fulgurant de la jeune romancière algérienne connue sous le pseudo Sarah Rivens, qui a conquis un large public en débutant sur internet.

Ce renouveau de la littérature issue des réseaux sociaux et des plateformes  numériques, avec de nouveaux codes littéraires, ouvre la littérature à un lectorat jeune (de ceux qui sont appelés la génération Z). 
 

 

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