Emprise des groupes armés sur la Libye : Le rapport alarmant d’experts de l’ONU

02/10/2023 mis à jour: 01:12
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Photo : D. R.

Vente du pétrole en contrebande, contournement de l’embargo onusien sur les armes, compromission dans les réseaux de migration clandestine et trafic de drogue. Les groupes armés, en Libye, sont derrière toutes les décisions politiques, selon un rapport d’experts de l’ONU sur les activités illégales entre les 25 avril 2022 et 17 juillet 2023.

Les accusations claires des experts de l’ONU contre les groupes armés en Libye, noms et fonctions à l’appui, sont parties de faits criants observés sur le terrain. En effet, il n’y a point de constat plus repoussant que la nomination d’un trafiquant notoire de drogue à la tête de la section locale de lutte contre les stupéfiants de sa région.

Pourtant, le ministère libyen de l’Intérieur l’a fait et a nommé, le 23 juin 2022, Mohamed Sifaou pour chapeauter la lutte contre la drogue à Ezzaouia, alors que le «marché» des stupéfiants de la ville porte déjà son nom Souk Sifaou, traduisant la forte connexion entre les forces sécuritaires et les activités criminelles. Et cela ne s’arrête pas là, selon les experts de l’ONU. Toujours à Ezzaouia, la bourgade située à 50 km de Tripoli vers la Tunisie, les citoyens ont manifesté les 12 et 22 mai dernier, pour réclamer de nettoyer la ville des groupes de criminels.

En réaction et pour soutenir les réclamations citoyennes, le gouvernement a dit que le ministère de la Défense a opéré, le 25 mai dernier, une vingtaine de frappes par des drones contre les positions des criminels. Le rapport des experts de l’ONU, couvrant la période du 22 avril 2022 au 17 juillet 2023, a révélé que le chef d’état-major des armées, Mohamed Haddad, n’était pas au courant de ces attaques du 25 mai, c’est plutôt Abdelhamid Debeiba, en tant que ministre de la Défense, qui a ordonné ces attaques.

L’objectif, selon le rapport onusien, est d’affaiblir la mainmise de Mohamed Lamine Khochlaf sur la raffinerie d’Ezzaouia, source de la contrebande de carburant à l’Ouest. Il s’agit, en effet, d’affaiblir le clan Abou Zariba, influent au Parlement de Benghazi, et renforcer le clan Bahroun, défendant le chef du gouvernement Dbeiba. Mohamed Bahroun est en charge de la lutte contre le terrorisme dans l’ouest de la Libye, alors que Hassen Abou Zariba s’occupe du département de renforcement de la stabilité à Ezzaouia.

Les deux hommes, originaires d’Ezzaouia, se disputent le contrôle de la route côtière menant vers la Tunisie et sont responsables de la maîtrise de la sécurité dans les villes de Zouara, Sebrata et Ouerchfana, carrefour de la migration clandestine en Libye. Les bombardements d’Ezzaouia n’ont pris fin, toujours selon le rapport des experts onusiens, que suite aux menaces de Khochlef, responsable de la raffinerie d’Ezzaouia, d’arrêter l’approvisionnement de Tripoli en carburants. Le chef du gouvernement Abdelhamid Dbeiba aurait utilisé les drones pour favoriser son allié, Bahroun, sans y parvenir. La ville d’Ezzaouia est toujours le carrefour Ouest de tous les trafics, à commencer par le carburant et la migration clandestine, selon les experts.

Le clan Haftar

A l’opposé de l’Ouest marqué par la multiplication des centres d’influence et des groupes armés, l’Est libyen est tenu d’une main de fer par le clan Haftar, selon le rapport des experts de l’ONU. L’influence de Saddam Haftar, l'aîné de l’homme fort de l’Est, ne se limite pas au volet militaire, étant le commandant de la brigade «Tarek Ibn Zied», maillon fort de l’Armée nationale libyenne. Les activités du Groupe Tarek Ibn Zied des services et de la production s’étendent à la maintenance des routes, la construction immobilière, la collecte des ordures et d’autres domaines à Benghazi, Sebha ou Derna, les villes sous contrôle des forces de Haftar.

Le groupe a même présenté des propositions concernant le plan d’avenir d’élargissement de la ville de Benghazi, toujours selon le rapport des experts onusiens qui disent que l'aîné des fils de Haftar dispose également d’une influence capitale sur la compagnie aérienne privée Berniq Airways et d’un fort réseau dans le système bancaire à Benghazi lui permettant un accès fluide aux liquidités nécessaires.

Les experts de l’ONU ont été, par ailleurs, très précis concernant le trafic du pétrole, notamment à partir de Benghazi mais, aussi à Ezzaouia à l’Ouest. Concernant Benghazi, ils ont souligné qu’entre mai 2022 et juillet 2023, 24 petits pétroliers d’une capacité variant entre 500 et 20 000 tonnes ont accosté au vieux port de Benghazi. Une fois à 15 kilomètres de Benghazi, les pétroliers empêchent le suivi électronique de leur positionnement et ne communiquent plus avec le port d’attache. Le rapport onusien indique que le vieux port de Benghazi est désormais devenu un quai improvisé pour les pétroliers.

Les photos satellites le confirment. Pour l’Ouest libyen, le rapport a souligné que le trafic de carburant se poursuit à partir des ports d’Ezzaouia et de Zouara. L’équipe d’experts a enquêté sur quatre faits avérés dont le paquebot Serdar, qui a été confisqué par les autorités libyennes. Le rapport a conclu à trois voies pour la contrebande du carburant.

D’abord, le remplissage de carburant à Benghazi et son transport à Malte pour le transférer sur un pétrolier plus grand. L’opération va-et-vient Benghazi-Malte pourrait se reproduire autant qu’il faut pour remplir le pétrolier. Ensuite, la 2e voie consiste à remplir des pétroliers à Benghazi et utiliser de faux documents aux ports d’arrivée, afin de justifier l’origine de la cargaison. La 3e et dernière voie consiste à recevoir à Benghazi des pétroliers partiellement pleins et compléter leur contenance en Libye.

Les experts onusiens concluent à la multiplication des intérêts derrière ce trafic et appellent à une conscience nationaliste pour le contrer, ce qui ne prédomine pas en Libye en ce moment. Le politologue libyen Ezzeddine Aguil remarque l’étrange coïncidence entre ce rapport des experts onusiens et les critiques américaines concernant la récente visite de Haftar à Moscou et ses accords avec les Russes concernant la poursuite du contrat du Groupe Wagner. «Est-ce un simple hasard de calendrier ?» s’est-il interrogé.

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