C’est l’incompréhension et le ras-le-bol qui gagnent en France. Les dommages causés par des groupes incontrôlés inquiètent, alors que cet épisode de fièvre sociale rappelle que le pouvoir n’a plus de majorité depuis 2022.
Au départ, l’opinion publique de manière générale avait été bouleversée par le tir à bout portant d’un policier qui brisa la vie de Nahel et était solidaire avec sa famille. Signe d’un écœurement des bavures policières qui deviennent courantes ces dernières années, notamment dans les manifestations.
Cette mort-là sans cause justifiée était certainement la fois de trop. Et lorsque les jeunes ont commencé à sortir pour protester et dire leur colère, ils bénéficiaient d’un préjugé favorable. Même les premiers dégâts occasionnés pouvaient être mis en pertes et profits. La vague refluera, les politiques devront prendre leurs responsabilités le calme revenu.
Qui se rappelle en Algérie le célèbre «chahut de gamins» de 1988, lorsque le président de l’Amicale des Algériens en Europe, Ali Ammar, croyait résumer ainsi les émeutes d’Octobre par leur humeur juvénile qui a «dérapé». Ce chahut, il est bien là aujourd’hui, en France, et le ministre de la Justice pense que si les parents gardent leurs enfants à la maison, cela se calmera.
Les observateurs parlent de déphasage de l’Exécutif. A commencer par le président Emmanuel Macron qui croyait bon de dire que l’école devra s’organiser pour garder les enfants de 8h à 18h, pour les couper de toutes tentations délinquantes. Il l’a dit à Marseille quelques heures seulement avant le fait divers tragique qui a fait sortir des milliers de jeunes dans les rues des banlieues mais aussi dans les centres-villes : Nantes, Marseille, Paris, Lyon, Strasbourg, Grenoble, Annecy, Chambéry…
«On n’écoute plus Macron»
Une scène insolite sur LCI résume l’état d’esprit des Français dont une bonne part s’était opposée à la réforme des retraites passée en force, alors que le Président n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale depuis 2022. La population était restée sur un goût de défaite amère, non encore soldée. Le journaliste dit : «Je vais vous lire le résumé de ce qu’a dit Macron.» La réponse d’une militante : «J’en ai rien à foutre de ce qu’il a dit. Plus personne n’en a rien à foutre de ce qu’il dit», «on ne l’écoute plus».
Ainsi, la révolte des banlieues touche un nerf politique à vif et rejoint la désaffection vis-à-vis du pouvoir exécutif, dont au printemps on se demandait comment il tiendrait jusqu’en 2027… La CGT s’interroge : «Après la mort de Nahel et l’irruption de colère légitime y faisant suite, la CGT condamne les violences, les surenchères sécuritaires et les appels factieux qui se font jour»… Et de proposer surtout de «résoudre la crise sociale et politique qui s’exprime en France sous diverses formes depuis plusieurs années».
Ce sentiment se heurte cependant à l’angoisse citoyenne à la vue des destructions et des pillages. Si le maire écolo de Lyon, Gregory Doucet, explique que «nous devons comprendre et entendre ce que la colère signifie», il demande des renforts de police. Car la violence irrationnelle et délinquante est là, terrifiante.
Attaques d’élus comme celle à la voiture-bélier dans la nuit du domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), policiers blessés par balles, des centres commerciaux dévalisés et incendiés ; des camions poids lourds interceptés par des «coupeurs de route» et vidés de leur contenu ; une église à Montargis ravagée, des journalistes agressés, annulation de spectacles comme celui de la star Mylène Farmer, bus interrompus à 18 ou 21h, commerces fermés par précaution…
La liste est longue et documentée sur internet de cette violence qui s’éloigne de la demande de justiceLe ministre de l’Economie dressait samedi un décompte : «200 centres commerciaux, 200 enseignes de grande distribution, 250 bureaux de tabac, 250 agences bancaires ont subi des dégradations.»
On note aussi des lieux de partage social dans les quartiers démolis, ce qui fait enrager ceux parmi les élus et les associations qui s’investissent pour un mieux-vivre qui semble devoir être conjugué au passé. Se demandant comment on en est arrivé là. Avec cette réaction édifiante d’un élu grenoblois : «Vous allez seulement dégoûter tous ces élus qui, tous les jours, se creusent la tête à savoir comment ils vont trouver des financements, des collaborations, pour équiper vos quartiers le mieux possible.» Les agences audiovisuelles électroniques ont largement répercuté les images d’une réalité explosive.
A tel point que samedi soir, le compte d’information Cerfia annonçait avoir été «contacté par le ministère de l’Intérieur pour stopper la diffusion des vidéos d’émeutes sur les réseaux sociaux». Il faut dire que des images gênent, comme celles de @laluciolemedia qui montrait le contrôle au faciès sur l’avenue des Champs-Elysées à la sortie du métro. Ou ce que les journaux de la terre entière disent sur une France à feu et à sang. Hier matin, l’Iran, que les médias français accablent depuis des années sur sa gestion des oppositions, demandait à la France de «mettre fin au traitement violent» de sa population.
La crainte de règlements de comptes
En divers lieux, des habitants se sont mis à patrouiller avec des bâtons pour protéger leurs familles des émeutiers, comme à Metz, faisant craindre les premières tentations de règlements de comptes violents ou, pire, selon l’extrême droite aux aguets, à la «guerre civile». Ailleurs, dans les quartiers, ce sont les parents et les grands qui sortent pour tenter de ramener les jeunes à la raison.
Le ministère de l’Intérieur indiquait qu’une majorité de personnes interpellées avait moins de 17 ans, et beaucoup 13 ans à peine révolus. On a même vu des jeunes femmes très déterminées, qui se sentent «totalement invincibles, intouchables en caillassant de front des policiers». Après une nuit de samedi à dimanche plus calme, un point interministériel de la situation était prévu hier soir autour du président Macron.