La France est politiquement coupée en trois : bloc central avec un Macron se nourrissant des transfuges de droite et de gauche ; bloc nationaliste d’extrême droite et bloc radical de l’Union populaire dont les électeurs en votant Macron lui ont permis d’être reconduit à l’Élysée.
Les chiffres ont été conformes aux sondages préélectoraux des transferts de voix des opposants. Emmanuel Macron bat largement la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, 58,54% contre 41,46%. Avec une forte abstention, un record sous la Ve République, avec 28,01% des électeurs qui ne se sont pas déplacés. Auxquels il faut ajouter les bulletins blancs (4,57% des inscrits) et 1,62% de votes nuls.
Tout cela n’est pas brillant pour la démocratie si on considère enfin que l’extrême droite raciste, antisociale et réactionnaire n’a jamais été aussi haut dans une élection et que beaucoup de voix portées sur Macron proviennent de ses adversaires du premier tour qui ont ainsi fait obstacle à Le Pen. Et si l’on considère aussi, comme on l’a lu dimanche sur Twitter, que «le triomphalisme des soutiens d’Emmanuel Macron ce soir n’a aucune raison d’être. Avec 37,9% des inscrits, il est le Président le plus mal élu de la Ve République, juste après Pompidou un an après le mouvement de Mai-Juin 1968. Près de deux Français sur trois n’ont pas voté pour lui».
MACRON : «CE VOTE M’OBLIGE POUR LES ANNÉES à VENIR»
Dans son rassemblement d’après résultat sur le Champ-de-Mars, dos à la Tour Eiffel, Emmanuel Macron a reconnu que son élection ne représentait pas l’état réel de l’opinion en France : «Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à l’extrême droite. Et je veux ici leur dire que j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir. Je suis dépositaire de leur sens du devoir, de leur attachement à la République et du respect des différences qui se sont exprimées ces dernières semaines.»
Compte tenu de ce refus massif de la voir à l’Elysée, Marine Le Pen a eu beau jeu de paradoxalement revendiquer «une éclatante victoire», avançant que «les idées que nous représentons arrivent à des sommets un soir de second tour de l’élection présidentielle». Le constat était donc à la gravité dimanche soir en France, malgré la fausse ambiance de joie que voulait faire passer l’équipe du Président reconduit.
DES MANIFESTATIONS ANTI-MACRON DANS PLUSIEURS VILLES
Un signe qui ne trompe pas, alors que Macron en reprenait pour cinq ans, son mandat était assailli par l’exubérance des manifestations qui contestaient son élection. La place de la République à Paris a retrouvé son air de «révolution» qu’elle a connu à plusieurs reprises pendant le premier mandat de Macron dès 2018. Les forces de police ont utilisé le gaz lacrymogène contre des manifestants remontés. Des manifestations ont aussi au lieu à Lyon, Strasbourg, Caen, Nantes, sous contrôle des unités antiémeute. Si le phénomène est marginal, il est pourtant une première. On n’a pas le souvenir qu’une élection ait été suivie d’autant de rancœur vis-à-vis d’un Président tout juste élu ou réélu.
Outre ces sporadiques actions coléreuses portées par des groupes très radicalisés et incontrôlés d’extrême gauche surtout, l’opposition qui s’annonce a pris forme politique dès l’annonce de l’élection avec des messages très violents, notamment sur les réseaux sociaux.
Si les partis d’opposition de gauche ont suggéré le vote Macron afin de battre Le Pen, ils énoncent clairement que la France ne supportera pas de voir une majorité législative le soutenir après le prochain scrutin de juin qui renouvellera les députés de l’Assemblée nationale.
L’UNION POPULAIRE VEUT UNE MAJORITÉ DE DÉPUTÉS
Le premier à prendre la parole fut Jean-Luc Mélenchon, qui était déjà intervenu entre les deux tours en projetant l’espoir d’une majorité de l’Union populaire les 12 et 19 juin. «Ne vous résignez pas, entrez dans l’action. La démocratie peut nous donner de nouveau le moyen de changer de cap. Le troisième tour commence ce soir», a clairement redit dimanche le leader de L’Union populaire arrivé en troisième position le 10 avril avec près de 22% des voix. Il a fustigé le système démocratique qui élit non pas un Président mais un «monarque».
A propos de Macron, il a ajouté : «Sa monarchie présidentielle survit par défaut et sous la contrainte d’un choix biaisé.» Appelant à un bloc populaire, il a de nouveau demandé aux Français de l’«élire Premier ministre» et de tracer «un autre chemin» : «Un autre monde est encore possible si vous élisez une majorité de députés de la nouvelle Union populaire qui doit s’élargir.» Reprenant un mythe de la Révolution française de 1789, il a souhaité la survenue d’un «tiers état qui peut tout changer».
Pour le candidat du Parti communiste français, Fabien Roussel, il faut «tout faire pour être les plus unis possible autour d’un contrat de législature répondant aux aspirations des Français (…), créer partout toutes les conditions pour offrir une perspective de victoire à gauche dans ces territoires où l’extrême droite pourrait l’emporter». Même l’extrême gauche du Nouveau parti anticapitaliste (Philippe Poutou) appelle, pour la première fois, à une large union de la gauche que les médias définissent comme «radicale» à tort ou à raison.
Si le poids électoral est faible, leur effet organisationnel et d’entraînement sur les mouvements contestataires est un appoint non négligeable. La candidate socialiste Anne Hidalgo, qui a mené son parti à la déconfiture, appelle à «reconstruire une gauche nouvelle». Elle ne dit ni comment ni avec qui. Le candidat d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Yannick Jadot, lui, souhaite bâtir «l’alternative pour le climat, la justice sociale et la démocratie».
LES NATIONALISTES VEULENT PESER
Bien entendu, à l’extrême droite nationaliste, deuxième bloc politique qui s’est dessiné durant la présidentielle, un appel est aussi lancé pour «la grande bataille électorale des législatives», espérant surfer sur son score à la présidentielle, même si le barrage anti-Le Pen fonctionnera aussi en juin.
Elle croit malgré tout à «un contre-pouvoir fort à Emmanuel Macron». Elle pourrait faire l’union en certaines circonscriptions avec Eric Zemmour, qui est intervenu dimanche soir pour indiquer que face au bloc Mélenchon et au bloc Macron : «Le bloc national doit s’unir et se rassembler.»
Il en est cependant qui auront du mal à s’affirmer, ceux du camp de la droite républicaine de Valérie Pécresse (4,6% au premier tour) et ceux de la gauche socialiste (1,7%) au premier tour pour Hidalgo. Laminés en 2017 par un Macron conquérant et écrabouillés en 2022 par un Président qui ratisse large et appelle au rassemblement derrière lui, les partis qui ont gouverné alternativement la France depuis 1981 auront du mal à se relever.
Les prochaines semaines vont rapidement révéler les nouvelles plaques tectoniques d’une France toute remuée sur un plancher socio-politique qui n’a pas fini de trembler
Paris
De notre bureau Walid Mebarek