Élection présidentielle en France : Des représentants de candidats face aux Français issus de l’immigration

05/04/2022 mis à jour: 03:59
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L’immigration reste le thème principal de nombreux candidats à l’élection présidentielle française

Yannick Jadot (Europe Ecologie Les Verts), Fabien Roussel (Parti communiste), Jean Luc Mélenchon (La France Insoumise) , Anne Hidalgo (Parti socialiste), Emmanuel Macron (La République en Marche) et Valérie Pécresse (Les Républicains) étaient représentés à haut niveau à la rencontre-débat du 29 mars «Les Candidats face aux Français issus de l’immigration.» Les six autres candidats n’ont pas répondu à l’invitation de la France Ensemble, collectif associatif nouvellement créé.

Paris
De notre bureau  Nadjia Bouzeghrane

Nous avons des questions, des préoccupations, des attentes», a annoncé la modératrice de la rencontre, la journaliste Nadia Bey. Rencontre qui a enregistré l’acte de naissance d’un mouvement citoyen dont les composantes qui, lasses que les Français issus de l’immigration et de la colonisation soient exclus, stigmatisés, non entendus, ont appelé La France ensemble. «La France qui n’oublie personne sur le bord de la route», a précisé la modératrice. 

Les représentants de candidats - Rachel Khan, relais citoyenneté pour Emmanuel Macron ; Eric Coquerel, député pour Jean-Luc Mélenchon ; Anne-Claire Boux, adjointe à la maire de Paris en charge de la politique de la ville pour Yannick Jadot ; Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de la Maison Triolet-Aragon, professeur d’histoire et directeur de la revue Cause commune pour Fabien Roussel ; Robin Reda, député pour Valérie Pécresse ; Lamia El Aaraje pour Anne Hidalgo - n’ont pas été ménagés sur le programme de leur candidat, pressés par des organisateurs et animateurs de tables-rondes exigeants de décliner des mesures concrètes et de ne pas se contenter de déclarations ou de principes généraux. 

Le PDG de Beur FM, Nasser Kettane plante le décor : «Nous posons des questions parce que nous venons d’une histoire que nous portons», faisant référence, entre autres, à la marche nationale pour l’égalité de 1983. «Le grand remplacement, nous l’avons vécu il y a quarante ans, la rémigration, nous l’avons également vécue avec le ‘million Stoléru’ (du nom du secrétaire d’Etat chargé des Travailleurs manuels et immigré, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, Lionel Stoléru, qui avait créé, en 1977, une prime au retour des travailleurs immigrés d’un montant de 10 000 francs). «Les enfants de l’exil sont la démocratie dans la République», a ajouté Nasser Kettane, puis s’adressant aux candidats, via leurs représentants : «Etes-vous prêts à défendre cette République ? A inscrire dans la Constitution européenne le droit au regroupement familial ? Que proposez-vous aux jeunes générations pour construire une citoyenneté apaisée ? Etes-vous prêts à vous asseoir à nos côtés ?»

Farid Yaker, président du «Forum France-Algérie», co-organisateur de la rencontre, a présenté un tableau comparatif des propositions des candidats représentés sur les thématiques retenues par les trois tables-rondes de la soirée. Et pour finir, il a rappelé qu’une première rencontre de ce type a été organisée en 2017, souhaitant que soit pérennisé le collectif «La France ensemble», levier d’un «pouvoir d’influence et d’action». 

Égalité des chances et lutte contre les discriminations

A la première table-ronde «Egalité des chances et lutte contre les discriminations», animée par le Dr Madjid Si Hocine, président de l’association «L’Egalité d’abord» et Thiaba Bruni, porte-parole du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) - comme ce sera le cas pour les deux suivantes – les échanges avec les représentants de candidats à l’élection présidentielle furent très vifs, notamment sur le «contrôle au faciès» qui a fait l’objet d’abus. 

A la représentante d’Emmanuel Macron qui a préconisé le «développement d’un pôle citoyenneté doté de moyens», Thiaba Bruni a répliqué que «cela reste vague». Le député LR, Robin Reda, représentant de Valérie s’est contenté de répondre : «Nous faisons confiance à la police et nous voulons une justice efficace qui sanctionne rapidement». 

Le député «Insoumis», Eric Coquerel, représentant de Jean-Luc Mélenchon, faisant le constat de l’inefficacité du «contrôle au faciès» a avancé la proposition de son candidat d’instaurer un récépissé de contrôle, «ce qui permettra aux policiers de réfléchir avant d’agir et d’apaiser les rapports entre la police et la population visée par ces contrôles». Et de se prononcer pour une «police de proximité», des «gardiens de la paix». 

Pour la représentante du candidat écologiste Yannick Jadot, «la ligne est claire», rappelant que «la France a été condamnée pour discrimination». «Il faut généraliser le récépissé, 80% des contrôles ne donnent pas de suite, il n’y a pas de sanction en cas de violence policière, non plus». Une autre préconisation d’Europe Ecologie Les Verts est le «rétablissement du droit à l’image». 

Guillaume Roubaud-Quashie, le représentant du candidat communiste Fabien Roussel a relevé que «le problème dépasse le récépissé». Lui aussi, préconisant une «refondation de la police», en appelle à «une police formée à la proximité et au dialogue avec les habitants des quartiers». 

Lamia El Aareje, pour la candidate socialiste Anne Hidalgo, avance que la question des discrimination est liée à différentes problématiques, et sur la question du contrôle au faciès, elle invoque la formation des policiers, le développement des caméras, une commission de suivi des réseaux sociaux.

Madjid Si Hocine interroge les représentants des candidats sur le plafond de verre sur lequel butent les compétences et les réussites issues de l’immigration. Quelle mesure phare pour améliorer la représentativité des Français issus de l’immigration maghrébine et sub-saharienne ? leur demande-t-il ? Une des mesures d’Emmanuel Macron est de s’appuyer sur l’audiovisuel pour ce faire. Pour le représentant de Valérie Pécresse, il s’agit d’ «encourager la méritocratie en mettant le paquet sur l’école qui s’est dégradée sous Hollande et Macron à partir de parcours qui permettent la réussite tout au long de la scolarité». «Ma question concerne les gens qui ont déjà réussi», relance le Dr Si Hocine. «Ils existent», reprend la salle. «Si vous n’avez pas ce vivier on peut vous fournir un fichier exhaustif et précis», réplique Nadia Bey. Le député LR : «On a l’impression que vous voulez glisser vers des statistiques ethniques». Nadia Bey : «Les statistiques, vous les utilisez quand vous voulez. Vous les avez utilisées pour les prisons». 

Le député LR : «Je crois à la méritocratie, la représentativité progresse, nous sommes dans un modèle universaliste». Ne rentrons pas dans un système bureaucratique de la représentativité. Il y a besoin de mettre de la méritocratie dans les partis politiques. Eric Coquerel relève qu’ «au nom du modèle universaliste, -ce n’est pas la pratique aujourd’hui- on nie que des gens sont victimes de racisme et de le dénoncer. 

A l’Assemblée nationale on peut compter les députés d’origine ouvrière ou non européenne. On vient de vivre le quinquennat le plus inégalitaire , qui a produit une loi sur le séparatisme. La représentante du candidat écologiste affirme que «les discriminations sont cumulées». «Nous sommes pour les discriminations positives, pour la suppression des aides publiques aux entreprises qui font de la discrimination à l’embauche ». Sur les discriminations « on est d’accord sur le diagnostic, on n’en est plus au testing», souligne Guillaume Roubaud-Quashie. «La question des quotas me pose problème, le sujet est plus global», indique-t-il. 

Immigration et traitement des questions mémorielles

La deuxième table-ronde, «Immigration et traitement des questions mémorielles», a été animée par Naïma Yahi, historienne, et Pierre Henri, ancien président de France, terre d’asile.

Les représentants des candidats ont, dans un premier temps, été interrogés sur le droit de vote des étrangers extra-communautaires, une vieille promesse socialiste non tenue et sur les questions mémorielles,.

La représentante de la candidate socialiste commence par énoncer des principes généraux en affirmant que «faire France c’est aussi pouvoir choisir ses représentants locaux. L’histoire de la France est multiple et diverse». Sa candidate, Anne Hidalgo, propose d’intégrer un parcours mémoriel à l’école. Pour le représentant du candidat communiste «on a besoin d’une politique mémorielle qui passe par l’ouverture de toutes les archives, et pas seulement par des discours» ; Fabien Roussel propose que soit confiée à de l’audiovisuel une mission de service public sur la question mémorielle. 

«Le droit de vote des étrangers extra-communautaires aux élections locales est toujours au programme de la France insoumise ainsi que le droit du sol fortement dégradé», a indiqué le représentant de Jean-Luc Mélenchon. «Sur les questions mémorielles, tout ce qui y concourt est une bonne chose». 

C’est toute l’histoire du pays qui doit être enseignée à l’école», a-t-il ajouté. Valérie Pécresse veut «renforcer les programmes et les heures d’enseignement de l’histoire en abordant ces questions de manière méthodique, sereine et pacifiée», avance son représentant. 

George Tin, un des fondateurs du CRAN, interpellant les représentants des candidats a relevé que «les commémorations c’est bien, la réparation c’est mieux. M. Macron a commencé un processus de restitution de biens mal acquis par la France, c’est une question d’équité, de souveraineté pour les pays spoliés ; sur la réparation, il faut que les candidats prennent position. Une réparation générale, je ne l’entends pas dans les discours des candidats. On a entendu des principes généraux et peu de mesures». 

Le président de Banlieues Plus, Nadir Kahia, a rappelé que son association a fait condamner l’Etat français en 2016 sur le «contrôle au faciès» et pour les banlieues, il faut un véritable programme. 

Sur la question de l’immigration, Pierre Henri, ancien directeur de France terre d’asile, co-animateur de la deuxième table-ronde, a rappelé que «depuis 1981, une loi a été votée tous les 16 ou 17 mois. Et 270 000 titres de séjour sont délivrés annuellement dont 15 000 pour regroupement familial. Qu’est-ce que vous changez dans cette politique ? Qu’est-ce que vous maintenez ? Quelle politique d’éloignement ? Que ferez-vous des personnes déboutées mais qu’on ne peut éloigner ? Etes-vous favorable à une harmonisation du droit d’asile à l’échelle européenne ? 

Directement interpellé, le député LR, Robin Reda, affirme, sans surprise : «Nous mettrons fin à l’immigration incontrôlée pour mieux nous occuper de ceux qui sont en situation régulière. L’immigration zéro, c’est de la démagogie. Nous reprendrons le contrôle des frontières. Nous adopterons des quotas par type de migration et par pays. L’obligation de quitter le territoire sera effectuée par réciprocité. On fera ce que font toute les grandes démocraties : réguler notre immigration, soit des visas contre la reprise des irréguliers. 

Autrement dit «une politique ferme, réaliste et respectueuse des personnes qui arrivent en France régulièrement. En matière de droit d’asile, nous avons besoin d’un examen simplifié dans nos ambassades et d’un traitement accéléré en France». LR préconise par ailleurs une «présomption de majorité pour les mineurs qui requièrent des tests osseux et refusent de s’y soumettre». Selon Eric Coquerel «on est face à une situation où, le rapport est disproportionné dans le débat public et la situation réelle. On n’est pas débordés par les flux migratoires. 

Les déplacements contraints ne se font pas par plaisir. Le dérèglement climatique va amplifier ces déplacements. Et nous avons une responsabilité». «Qu’on arrête de considérer l’immigration comme un problème. 270 000 titres régularisations annuellement et 120 000 départs ; Arrêtons les fantasmes !» Le parti de Jean-Luc Melenchon propose une carte de séjour unique et préconise que l’OFPRA soit reliée aux Affaires étrangères et non à l’Intérieur. Le représentant de Fabien Roussel estime qu’ «il faut créer des conditions d’accueil acceptables». Il dénonce «l’explosion des frais d’inscription à l’université, ce qui a pour effet d’engendrer une sélection par l’argent. Quant aux travailleurs sans papiers, ils créent de la richesse, ils doivent donc être régularisés. 

La socialiste Lamia El Aareje estime qu’ «on fait de l’immigration un épouvantail alors que c’est une richesse économique, culturelle, scientifique. Nous sommes pour une immigration humaine, correcte. Les quotas ne sont pas constitutionnels». 

Vivre ensemble et laïcité

Pour la candidate Anne Hidalgo, selon sa représente Lamia El Aaradj, la laïcité est un cadre inclusif et représente la meilleure protection pour chacun. «A chaque fois qu’on parle de laïcité on fait un amalgame avec musulmans. Le problème n’est pas le culte musulman, ni les musulmans. La question est comment on est en capacité de défendre ce cadre républicain qui passe par l’école». 

Pour le communiste Fabien Roussel, son représentant observe que «ces batailles sont du côté de la gauche, objet d’un rapt par l’extrême-droite qui en a fait une machine de guerre contre les musulmans». Il préconise d’interdire les écoles hors contrat. 

Le député Insoumis Eric Coquerel se dit «opposé à toute utilisation de la laïcité comme arme de guerre contre les musulmans au motif de lutter contre le terrorisme». Il dénonce la loi sur le séparatisme. 

Et il estime qu’il ne faut «rien céder sur ce qui laisserait croire qu’il y a un ennemi intérieur en fonction de sa religion. Si on doit parler de séparatisme, alors luttons contre tous les séparatismes». Le candidat Jean-Luc Melenchon se prononce pour «la suppression des écoles hors contrat ; 95% des écoles hors contrat sont catholiques». «La laïcité de la loi de 1905 n’est pas une loi anti-cléricale». 

Invité comme témoin Tarek Oubrou, recteur de la Mosquée de Bordeaux, estime que «le problème est des deux côtés, soit un problème intrinsèque au culte musulman qui ne répond pas à la modernité, un autre problème, la laïcité n’est pas achevée, elle est relative aux pratiques catholiques, les pratiques musulmanes sont lues à l’aune des pratiques catholiques. Il y a une différence entre la théologie et l’idéologie», explique-t-il. Puis d’observer que l’«on est dans un pays plus égalitaire que libertaire. C’est la République qui est laïque, pas les citoyens, l’espace public n’est pas laïc. Le problème est plus culturel, il est dans le changement de mœurs que dans la laïcité».

Le représentant de la candidate de droite soutient que «l’islamisme nourrit le terrorisme». «On fait la différence entre l’islam et l’islamisme», prend-il soin d’ajouter. «La laïcité à la française protège fondamentalement les musulmans». 
«Nous voulons redonner leur juste place aux musulmans dans leurs pratiques. Par contre, nous sommes intransigeants avec le discours radical».

Le représentant de Macron considère la laïcité comme «un principe d’organisation de notre vie en commun, de liberté (de croire ou pas) et de protection. Ce principe est parfois mal perçu, mal compris, mal transmis, il implique la neutralité de l’Etat, des services publics mais pas de la société. Quand on stigmatise un citoyen pour ce qu’il est, on est hors-la-loi et on n’est pas dans le débat public. Bien sûr, on ne peut pas confondre l’islam et l’islamisme, une religion avec une idéologie qui est dans une stratégie de conquête». 

Un vivre ensemble a-t-il encore du sens ? demande la modératrice Nadia Bey à Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam de France à qui il est revenu de conclure cette soirée d’échanges avec des représentants de candidats. «Je vois ici des citoyens appartenant à une association politique. Ce ne sont pas des Français issus de l’immigration, ce sont des Français tout court, il n’y a pas des ‘nous’ et ‘eux’. Je ne sais pas quand commence la souche. La question de la sémantique et de la rigueur est de la plus haute importance». 

Quant à la fondation de France, son président a souligné que c’est «une création laïque d’utilité publique . Lors du discours des Mureaux (le 2 octobre 2020) le président Macron avait déclaré qu’il allait libérer 10 millions d’euros à la FIF. Nous les attendons toujours. L’inertie de l’Etat est sidérante. Il n’est pas de la vocation de la FIF de vivre sur les deniers publics mais pour les missions régaliennes dont elle est dotée, elle a besoin d’une aide. La loi prime toujours la foi». 

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