Élection présidentielle de 2022, vers une tripartition de la vie politique française

28/04/2022 mis à jour: 03:15
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Virginie Tisserant / Photo : D. R.

Dimanche 24 avril 2022, à l’issue du second tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron (La République en marche) est réélu président de la République française avec 58,54% des suffrages exprimés pour un second mandat.

Face à lui, comme en 2017, Marine Le Pen (Rassemblement national) totalise 41,46% des voix. L’abstention inaugure un nouveau record pour le second tour de l’élection présidentielle, score le plus élevé depuis 1969 : 28,01% des inscrits qui ne se sont pas rendus aux urnes.

Si le second tour a connu un autre record d’abstention, c’est dans les résultats du premier tour de ces élections que l’on voit poindre de nouvelles dynamiques structurantes pour la vie politique française.

Au premier tour, Jean-Luc Mélenchon est arrivé en troisième position avec 21,95% des voix. Par son recours aux théories du grand remplacement et à la guerre culturelle, ainsi que par l’absence de programme économique, le candidat Eric Zemmour a, quant à lui, cristallisé la partie la plus radicale de l’électorat nationaliste.

L’ancien journaliste a donc été l’artisan du dernier échelon de la stratégie de dédiabolisation du Rassemblement national puisque Marine Le Pen gagne 2,5 millions de voix par rapport au second tour de l’élection de 2017 alors qu’Emmanuel Macron en perd 2 millions.

Le candidat EELV, Yannick Jadot, ne dépasse pas les 5% des suffrages exprimés, nécessaires au remboursement de la campagne électorale, alors que le parti avait été la grande surprise des dernières élections européennes atteignant les 13,5%. Le PS s’effondre avec 1,26% des voix et le parti LR culmine à 4,78%.

Après avoir siphonné le Parti socialiste en 2017, qui n’a obtenu que 6,36% lors de l’élections présidentielle, le parti présidentiel, La République en marche, donne le coup de grâce aux Républicains. Les principaux cadres du parti de droite se sont directement ralliés au nouveau parti Horizons de l’ancien Premier ministre, Edouard Philippe, qui a apporté son soutien au Président sortant. La candidate LR, Valérie Pécresse, qui avait remporté les primaires de la droite, arrive en cinquième position et n’obtient que 4,78% des voix.

Duel politique avec de multiples inconnues

Même si ce duel politique était annoncé, les pays européens ont tous suivi avec attention cette élection, en partie du fait de la présidence française au Conseil de l’Union européenne, tout comme la volonté affichée de Marine Le Pen de mettre en place la préférence nationale, laissant poindre un nouveau pas vers un régime post-démocratique identitaire.

Les pays limitrophes de la France, comme l’Espagne et l’Italie, regardaient avec attention cette élection dont les débats entre les candidats ont été traduits et très suivis de chaque côté. En Italie, la Ligue du Nord gouverne avec le M5S depuis 2018.

Le parti entretient déjà d’étroites relations avec Marion Maréchal Le Pen, la nièce de Marine. En Espagne, la percée du parti d’extrême droite, Vox, d’abord au Parlement andalou puis aux Cortès, a également envoyé un signal fort sur l’évolution de l’extrême droite en Europe.

Mercredi 20 avril, jour du débat de l’entre-deux tours, fort de ces 21,95% réalisés au premier tour, Jean-Luc Mélenchon repart directement en campagne pour les élections législatives et demande à «être élu Premier ministre».

Le Premier ministre n’étant pas élu, il est nommé par le chef de l’Etat, même en cas de cohabitation. Depuis le référendum constitutionnel de 2000, qui a raccourci le mandat présidentiel de sept à cinq ans, les élections législatives donnent la majorité au président de la République.

Si le Président se refusait à nommer un Premier ministre issu de la majorité parlementaire, il s’exposerait au blocage parlementaire pour les projets de loi. La promesse d’un troisième tour en juin 2022 et d’une cohabitation pourraient donc complexifier ce nouveau quinquennat, qui va devoir payer le solde de la crise de la Covid, l’inflation économique annoncée de +4,4% à ce printemps 2022, tout comme la réforme du système de retraites.

Mais qui a tué le populisme ?

Alors qu’il était revendiqué en 2017 par tous les candidats, le populisme, qu’il soit stratégique ou idéologique, semble avoir été oublié lors de cette élection présidentielle 2022. A sa place, dans un contexte de crise économique post-Covid, d’inflation et de guerre en Ukraine, l’on observe une radicalisation de l’hyper-présidentialisation du régime autour de la fonction du candidat à la présidence de la République française.

Par exemple, avant le second tour, Emmanuel Macron n’a accordé aucun débat, se plaçant au-dessus des échanges qui l’auraient contraint et attaqué sur le bilan de son mandat. Dans son programme pour l’élection de 2017 figuraient les promesses de diminution du nombre de députés à l’Assemblée nationale ou encore l’instauration d’une dose de proportionnelle qui permettrait de se défaire de la logique du vote utile qui n’a pas profité aux partis politiques, comme par exemple EELV.

Lors de ce premier tour de l’élection présidentielle, trois candidats dépassent chacun les 20% : Jean-Luc Mélenchon pour l’Union populaire, Marine Le Pen pour le Rassemblement national et Emmanuel Macron qui ne s’est pas affiché ouvertement pour La République en marche (LRem). Avec l’effondrement des partis traditionnels et l’émergence de trois blocs bien distincts, cette élection de 2022 marque une tripartition de la vie politique française.

Vers une tripartition de la vie politique française

Alors que l’élection 2017 sonnait le retour des partis politiques avec l’apparition de deux nouveaux qu’étaient La France insoumise et La République en marche, tous deux créés en 2016, en 2022, trois blocs apparaissent désormais bien distinctement pour les élections législatives.

Une union des droites, appelée désormais Union nationale, théorisée lors de la Convention des droites en 2019 (et appelée par Eric Zemmour le soir du second tour), un centre progressiste allant du centre à la droite libérale, et une gauche radicale (qui refuse la présence du Parti socialiste).

A eux trois, ces blocs totalisent ensemble 72,95% des suffrages exprimés au premier tour. Les autres candidats ne dépassent pas les 10%. Pour rappel, l’Assemblée nationale se compose de 577 députés et la majorité est à 289 sièges.

Pour les élections législatives, l’annonce de la composition du gouvernement donne une première tonalité sur la capacité de rassemblement du Président sortant réélu. Car le véritable socle électoral du président Macron n’est pas plus large que son score du premier tour. Il semblerait même que près de 42% des suffrages exprimés pour Emmanuel Macron au second tour, le seraient dans une logique de barrage à Marine Le Pen uniquement.

Si le barrage républicain a encore fonctionné, néanmoins la progression du Rassemblement national ne présuppose pas forcément d’une adhésion non plus à l’idéologie du bloc nationaliste. Cette nouvelle tripartition de la vie politique française, ainsi que cette victoire à défaut d’Emmanuel Macron rebattent les cartes pour les élections législatives de juin 2022. C’est une première depuis l’inversion du calendrier électoral (2002).

Malgré le scrutin uninominal à deux tours par circonscription, historiquement favorable au président élu, Emmanuel Macron n’est, à ce jour, pas sûr de parvenir à obtenir une majorité à l’Assemblée nationale.

En 2020 déjà, plusieurs élus avaient quitté le groupe parlementaire de La République en marche qui avait alors perdu sa majorité, passant de 295 à 285 députés. En 2022, le groupe termine le mandat avec 267 députés, dont 4 apparentés, s’éloignant encore plus de la majorité. La droitisation du parti comme le ralliement d’anciens LR pourraient ne pas suffire pour l’heure à assurer une majorité parlementaire au parti de gouvernement faisant basculer la France dans une instabilité notoire. 

Virginie Tisserant

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