C’est une évaluation objective, factuelle des résultats de cette association et des évolutions sociétales, économiques, politiques et autres que préconise Dr Zoubir Benleulmi, professeur en management de l’innovation, assurant, par ailleurs, des formations pour les cadres dirigeants et les enseignants-chercheurs de l’université.
L’ancien directeur Architecture & Standard design à Philips, titulaire d’un Executive MBA de l’Ecole des hautes études commerciales de Paris (HEC Paris), d’un doctorat en contrôle des systèmes de l’université de technologie de Compiègne et d’un diplôme d’études supérieures en physique de l’université Mentouri de Constantine. Le Dr Benleulmi est auteur d’une trilogie sur la gouvernance en Algérie : Conduite du changement dans l’université algérienne (2015), Paroles d’Algériens (2019) et Réflexions pour la Constitution algérienne (2019). Son dernier ouvrage, intitulé Al Eulmi. Algérie. 1800-1960 est disponible sur Amazon.
Propos recueillis par Naima Benouaret
Tout le monde s’accorde à dire que l’accord a été mal, très mal négocié. Pensez-vous sa conclusion, intervenue trois ans après l’arrivée au pouvoir de Bouteflika, obéissait-elle à des considérations beaucoup plus politiques ? Interrompues en 1997, la partie algérienne non satisfaite des propositions européennes d’alors, les négociations seront relancées début 2000 et en novembre 1999, une délégation de l’UE était en visite en Algérie pour féliciter l’ancien président.
Le côté politique a primé je pense. L’Algérie sortait de la décennie noire. Une décision hautement stratégique a été prise : atteler le pays à la locomotive européenne et solliciter l’accroissement des investissements européens (IDE) en Algérie. Parmi les éléments de la négociation, on trouve notamment la définition des domaines de coopération, la durée de la période de transition pour l’établissement de la zone de libre-échange, les délais pour l’entrée en vigueur de certaines dispositions, la nomenclature des produits et les réductions de droits de douane associés. La circulation des personnes a également été négociée. Concernant la période de transition pour l’établissement de la zone de libre-échange, elle a été fixée à douze ans à compter de la date d’entrée en vigueur de l’accord. On peut en déduire que la vision d’alors considérait que l’Algérie serait compétitive après ce délai. Une vision qui s’est révélée loin de la réalité. De ce fait, seule l’Union européenne a tiré profit de la réduction des droits de douane.
C’est en fait un pacte «taillé sur mesure» ou un «chèque à blanc» que nos officiels parapheront en avril 2002. Et «il serait bien qu’il y ait un peu de pédagogie pour expliquer au peuple algérien qui compte aujourd’hui des millions de l’enseignement supérieur, de quoi il s’agit. Quels sont les engagements pris en son nom et quels sont les bénéfices attendus ?», nous disiez-vous. A quoi ou à qui faites-vous allusion ?
L’étendue de cet accord stratégique pour l’Algérie est très large. Il comprend des dispositions sur le dialogue politique et de sécurité, la libéralisation de l’économie algérienne, le commerce et services, la libre circulation des marchandises, la circulation des capitaux et la coopération (économique, sociale et culturelle, financière, domaine de la justice et des affaires intérieurs). A ce titre, il est nécessaire que les Algériens connaissent ses détails, les engagements pris et les opportunités qu’il offre. En pratique, peu de personnes que j’ai rencontrées savent de quoi il s’agit. Certaines se demandent à quoi nous sommes associés, alors que d’autres, l’associent à l’économie de bazar. Il faut donc un peu de pédagogie pour expliquer au peuple algérien ce qu’il en est. Il est en mesure de comprendre dans le détail. Quant aux moyens de communication, ils ne manquent pas.
Au bout de près de 20 ans d’application, le décalage entre les engagements européens d’accompagner le processus de diversification économique et la réalité du terrain est énorme. Les réaménagements et ajustements à apporter, parviendraient-ils à abolir la bien longue frontière qui sépare les attentes de l’Algérie et les actes de Bruxelles ?
Le préalable pour abolir la frontière est le dialogue franc sur les attentes de chacun. Il faut à mon avis engager ce dialogue avec les européens et parler le langage des chiffres pour équilibrer la balance entre les apports et bénéfices de chaque partie. A l’ère du numérique, il est possible de faire un chiffrage de chaque poste. Non pas uniquement les montants des exonérations de droits de douane, mais également les coûts des prestations d’accompagnement assurées par l’UE, les apports découlant des IDE, etc. Un tableau de bord partagé donnera de la visibilité et permettra de faire les ajustements nécessaires. Ce qui créera une bonne entente. Pour mener ce dialogue, l’Algérie gagnerait à mener une campagne de sensibilisation en direction de chaque pays de l’UE pour expliquer ses défis, ses démarches de transformation, sa propre évaluation de l’accord actuel et prendre le stylo pour écrire la nouvelle mouture qui lui semble convenir et en faire une proposition à discuter et enrichir. Vu la sophistication des textes de tels accords, il est recommandé d’avoir une équipe multidisciplinaire et d’intégrer des spécialistes dans le traitement détaillé des scénarii complexes, à l’image de ce que font les spécialistes européens. Concernant le contenu, les prestations d’accompagnement ne doivent plus porter, à mon avis, sur la mise à niveau mais à former en nombre suffisants des Algériens pour qu’ils puissent assurer par eux-mêmes la mise à niveau. Il faut passer à l’autonomie managériale. Sinon, dans 50 ans, on sera encore dans la mise à niveau. Il faut également prévoir des procédures de révision pour modifier, élargir ou supprimer certaines parties de l’accord. En termes de vision, il faut des projets porteurs : pourquoi ne pas envisager l’association de l’Algérie à des projets d’envergure, comme celui des nouveaux Airbus ? Comme sous-traitant d’une partie, même modeste. C’est par l’association à des projets communs que les frontières s’estomperont.
Vous pouvez en dire davantage sur l’apport de tels projets ?
J’ai cité l’exemple Airbus comme exemple d’avenir souhaitable pour cette association entre l’EU et l’Algérie. Aujourd’hui, plusieurs pays européens sont associés à la construction aéronautique. L’avion ne peut voler que si chacun des pays (Espagne, France, Allemagne…) livre la part qui lui incombe selon des exigences très pointues. Ils s’entraident pour que toutes équipes soient à un niveau d’excellence. C’est ce type d’association que je souhaite à l’Algérie. Quelle partie pourrait-elle prendre en charge. C’est un point à discuter. Pourquoi par le système audio-visuel à bord, les pneus ou les tests de certaines parties avant leur intégration.
L’UE a choisi de s’adresser aux instances arbitrales en engageant une procédure de règlement des différends contre l’Algérie, l’accusant d’avoir violé certaines dispositions de l’accord d’association. Notre pays, bien que fortement lésé, a préféré la révision de cet accord dans la sérénité et loin de tout conflit. Quelle lecture en faites-vous ?
Nous sommes dans la partie désaccord de l’accord ! Voilà que l’Union européenne, une des plus grandes puissances mondiales, composée de vingt-sept pays, qui considère l’Algérie comme son associé si l’on en croit cet accord et qu’elle accompagne depuis une vingtaine d’années, est en désaccord avec des décisions prises par l’Algérie pour mieux organiser son économie, réguler le commerce, promouvoir l’entrepreneuriat de ses nationaux, lutter contre la corruption et la saignée des ressources en devises. On aurait pu s’attendre à un soutien à ces efforts de réforme, d’ajustement au plan économique et de développement social, comme stipulé dans l’accord, ou au moins une attitude conciliatrice pour sa révision comme le souhaite l’Algérie, malheureusement ce n’est pas le cas. La Commission européenne juge que «les autorités de l’Algérie ont imposé certaines entraves aux exportations et aux investissements de l’Union européenne en Algérie» et a choisi de recourir à l’arbitrage.
Par ce recours à l’arbitrage portant sur des mesures d’organisation de l’économie algérienne, l’UE peut être perçue comme un frein aux transformations en Algérie, dès lors qu’elles touchent ses intérêts immédiats. Le texte de l’accord, conclu ad vitam aeternam, est quant à lui très sophistiqué. Ses auteurs, probablement spécialistes dans l’ingénierie des contrats avec une grande expérience de terrain, ont défini les actions à prendre pour une multitude de situations. Les modifications, pour invoquer par exemple une mesure de sauvegarde ou de graves difficultés en matière de balance des paiements, sont très encadrées. En gros, l’Algérie doit lever la main pour chaque situation où elle veut déroger à certaines dispositions du texte.