Dos au mur

21/04/2022 mis à jour: 07:03
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C’est par de violents spasmes que la presse écrite sombre dans l’agonie, prélude à une fin désastreuse. A peine liquidé par l’homme d’affaires Issad Rebrab que le quotidien Liberté voit sa paternité revendiquée par un de ses anciens propriétaires, le patron du journal L’expression, fort d’une toute récente décision de justice. 

Cela augure une grande bataille juridique, chacun déterminé à récupérer la dénomination prestigieuse du journal. Mais ce qui s’apparente à une bataille d’ego n’est vraisemblablement pas porteuse d’un projet de retour à l’ancienne formule de Liberté, qui ne peut se concevoir qu’avec le retour de l’équipe historique avec sa ligne éditoriale, ce qui est loin d’être l’intention des deux fondateurs du quotidien, du moins pour Issad Rebrab qui l’a annoncé officiellement. Quant à Ahmed Fattani, aura-t-il l’audace de diriger un journal dont le contenu serait à l’opposé de celui qu’il possède déjà, L’Expression ? 

Affaire à suivre donc, comme celle qui préoccupe actuellement le quotidien El Watan, titre aussi ancien et prestigieux que Liberté, mené à l’impasse par ses déboires financiers : deux années de distribution chaotique du journal en raison de la Covid, sans ressources pérennes du fait de la rupture par l’ANEP du contrat publicitaire qui le lie à l’agence, affaibli par un retrait du lectorat traditionnel au bénéfice d’internet et enfin astreint aux lourdes exigences de ses créanciers (banque, sécurité sociale, impôts). El Watan est aujourd’hui dos au mur, avec en prime une lourde facture financière à venir en matière d’impression du journal, la guerre entre la Russie et l’Ukraine ayant fait flamber le coût du papier journal. 

Et comme il faut assurer les salaires des travailleurs, El Watan a comme solutions la cession de ce qui reste de ses actifs et les ressources générées par ses ventes, encore faut-il que l’étau de ses créanciers se desserre, ce qui est sa préoccupation actuelle. Les contraintes pesant sur El Watan sont partagées par tous les autres journaux, ne s’en sortent que ceux dont l’ANEP honore les contrats et leur procure l’argent de la survie, quelques-uns en font bon usage, mais beaucoup le transforment en une rente dont l’importance varie selon le degré de proximité avec les cercles du pouvoir. 

C’est un véritable scandale, toujours étouffé. Cela se passe comme ça depuis le milieu des années 1990, lorsqu’un des gouvernements décida d’octroyer le monopole de la publicité étatique à l’ANEP, et ce, pour contrôler la presse indépendante naissante, bouillonnante et un peu trop critique envers les dirigeants politiques. L’abondance de la publicité privée de la décennie 2000 réduisît l’impact de cette mesure mais, depuis 2014, début de la crise économique mondiale, c’est le retour de manivelle, l’ANEP a repris son rôle de «gendarme» des médias. 

Un rôle soumis à la discrétion des autorités, Bouteflika bloqua un projet de loi sur la publicité qui tentait de mettre un peu d’ordre, moraliser cette activité et l’insérer dans un cadre plus large, celui de l’aide étatique à la presse. Un tel dispositif courant dans les pays développés est un des garants de la pluralité de l’information et donc de la démocratie. Outre l’accès à la publicité, il est susceptible d’intégrer plusieurs autres aides en direction des divers médias, dont des subventions du papier journal. Une telle aide étatique formalisée par une loi et bien pensée n’a jamais existé dans notre pays.

 C’est bien le moment pour nos dirigeants d’y penser, en étroite collaboration avec les professionnels. Cela mettra fin à toutes les dérives du passé et en même temps évitera que l’agonie actuelle de la presse ne se transforme en une mort affreuse.

 L’Algérie ne mérite pas de perdre le meilleur acquis de son printemps démocratique de la fin des années 1980, elle en a bien besoin maintenant et rapidement pour se reconstruire et rebondir vers un meilleur futur. 

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