Les républicains reviennent au pouvoir aux Etats-Unis et leur politique ne manquera pas d’affecter le reste du monde. En plus de l’élection du prochain président et de son vice-président, le scrutin de ce 5 novembre 2024 devait renouveler la totalité des membres du Congrès et 1/3 des membres du Sénat.
Il vient s’ajouter aux 75 autres scrutins qui sont prévus en 2024, y compris au niveau des dix pays les plus peuplés dans le monde, dont le Bangladesh, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, le Pakistan et la Russie. Même si les résultats ne sont pas encore définitifs, les républicains sont en train de revenir en force sur la scène politique après quatre années de présidence démocrate. Leur retour reflète le besoin pour une alternative politique face à des défis domestiques et internationaux complexes et nombreux.
Un contexte intérieur difficile : Le contexte économique et politique aux États-Unis en 2024 est marqué par des défis significatifs sur plusieurs fronts, ce qui a influencé directement les priorités des électeurs et le climat de l’élection présidentielle du 5 novembre 2024.
• Sur le plan économique, notons les défis suivants : En premier lieu une inflation persistante : bien que cette dernière ait diminué par rapport aux pics de 2022, elle n’en demeure pas moins une préoccupation pour de nombreux Américains, en particulier en matière de logement, de santé et d’alimentation.
La Réserve fédérale a augmenté les taux d’intérêt de manière agressive pour contrôler cette inflation, entraînant ainsi une augmentation des coûts d’emprunt, notamment pour les prêts hypothécaires et les crédits à la consommation. En second lieu, une croissance économique modérée : l’économie américaine a continué son expansion à un rythme plus lent, avec des risques de récession qui restent toujours présents. Les secteurs d’activité comme la technologie et la finance sont en phase de ralentissement alors que la santé et les énergies renouvelables continuent de se développer. En troisième lieu, un marché du travail solide mais fragile : le taux de chômage est resté relativement bas (4,1% en octobre 2024) alors que la création de nouveaux emplois a fortement ralenti, avec certains secteurs montrant des signes de faiblesse, notamment avec des vagues de licenciements dans la technologie. Cependant, les salaires ne suivent pas toujours l’inflation, ce qui pèse sur le pouvoir d’achat des ménages.
En dernier lieu, une dette publique et des déficits massifs : le niveau de la dette publique continue de croître (35 800 milliards de dollars en octobre 2024), ce qui suscite des préoccupations majeures quant à la viabilité des finances publiques américaines, surtout dans un contexte où le Congrès débat régulièrement des plafonds de la dette. Le déficit budgétaire demeure un sujet de tension politique, car les républicains et les démocrates divergent sur les coupes budgétaires et les dépenses sociales. Aucun des candidats n’a soulevé cette question.
• Le plan politique interne est marqué par plusieurs facteurs. Premièrement, une polarisation extrême : avec un fossé idéologique grandissant entre les républicains et les démocrates. La montée de groupes extrêmes dans les deux camps et l’intensification des discours polarisants alimentent cette division, qui se reflète aussi dans les médias et les réseaux sociaux. Deuxièmement, des défis institutionnels : la confiance vis-à-vis des institutions, comme le Congrès, la Cour suprême et même la présidence, est en déclin. Des décisions polarisantes de la Cour suprême, comme celles sur l’avortement et les droits des armes à feu, ont exacerbé la méfiance. De plus, les controverses autour de l’intégrité des élections et des réformes électorales continuent d’alimenter des débats tendus sur la démocratie américaine.
Troisièmement, une immigration massive accompagnée de problèmes de sécurité au niveau des frontières : l’immigration reste un sujet de débat majeur et divergent. Les pressions aux frontières, surtout du côté sud, continuent de croître, avec des migrants fuyant des situations difficiles en Amérique latine. Les républicains plaident pour des politiques plus restrictives, tandis que les démocrates tentent d’équilibrer sécurité et humanité dans leur approche. Quatrièmement, une politique étrangère et un rôle proactif des etats-Unis dans le monde : les etats-Unis sont impliqués dans plusieurs crises internationales, dont la guerre en Ukraine et des tensions accrues avec la Chine. L’opinion publique est divisée sur le niveau d’engagement que le pays doit maintenir, notamment en termes d’aide militaire et économique.
Les républicains, et en particulier Trump, prônent une approche «America First», tandis que les démocrates soutiennent un engagement international plus actif. Cinquièmement, des défis liés à la sécurité intérieure : la montée des violences armées, les tensions raciales et les préoccupations croissantes en matière de sécurité intérieure sont des points majeurs. Les États-Unis sont confrontés à une vague de crimes violents, de fusillades de masse et de tensions sociales, alimentant un débat sur la réglementation des armes à feu et la réforme de la police.
Dans ces conditions, les enjeux électoraux étaient considérables et n’ont pas manqué de peser fortement sur l’élection présidentielle et sanctionner les élus en place. En effet, les électeurs américains privilégient leurs perspectives économiques, leur sécurité et les valeurs fondamentales de la démocratie américaine. Dans un climat aussi divisé, l’élection s’est jouée sur la capacité des candidats à privilégier les questions domestiques face aux inquiétudes quotidiennes des Américains tout en abordant les questions de long terme sur le rôle des États-Unis dans le monde (qui viennent en second plan) et les défis démocratiques internes.
Un contexte international est également non moins préoccupant. Les élections américaines sont intervenues dans un contexte international dominé par de nombreux défis mondiaux déstabilisateurs, y compris les guerres meurtrières en Ukraine, à Ghaza et au Liban, l’intensification de la concurrence stratégique avec la Chine et des transitions numériques et vertes complexes. La prochaine administration américaine devra affronter ces défis et bien d’autres encore. Plus globalement, l’approche américaine du monde (en particulier son engagement avec ses alliés et partenaires) ne manquera pas d’influencer les règles et normes du système international devant assurer la sécurité des Etats-Unis et des progrès en matière de paix et de prospérité au niveau mondial.
Les élections présidentielles américaines sont de nature systémique. Elles affectent certes en premier lieu les Etats-Unis mais également et de façon incontestable le reste du monde, ce pays étant la première puissance économique, financière et militaire au monde. Plus particulièrement, ces élections ne manqueront pas d’avoir des retombées sur : (1) les politiques macroéconomiques à travers le monde (politiques budgétaires, monétaires, de change et de commerce) et des sujets-clés comme l’investissement, l’emploi et l’endettement international ; (2) le contexte géostratégique à travers les politiques qui seront mises en œuvre vis-à-vis de la Chine, de la Russie, du Moyen-Orient, de l’Afrique, de l’Océanie, de l’Europe et de l’Asie ; et (3) la paix dans le monde, y compris en Ukraine et Palestine ainsi que la stabilité au niveau de nombreuses poches de conflit dans le monde.
Les axes principaux du programme des républicains :
• Politique intérieure : mise en place de tarifs douaniers pour encourager la relocalisation des investissements américains, notamment en Europe, pour soutenir l’emploi ; contrôles plus stricts sur l’immigration ; des réformes ciblées dans l’éducation et la santé ; renforcement des pouvoirs de la police ; et assouplissement des normes ESG, un ensemble de critères utilisés par les investisseurs pour évaluer les pratiques environnementales, sociales et de gouvernance d’une entreprise.
• Impôts et tarifs douaniers : Les républicains prônent de nouveaux droits de douane pour la Chine (jusqu’à 60 %) et pour d’autres pays (10 %). De plus, ils veulent rendre permanentes les baisses d’impôts de 2017 et envisagent d’autres réductions, financées par la hausse des droits de douane.
• Taux d’intérêt, dépenses et inflation : Les républicains envisagent aussi une légère hausse mais souhaitent réduire certaines dépenses publiques.
• Géopolitique : Les républicains penchent pour un retrait diplomatique, avec moins de soutien pour l’Ukraine et Taïwan. Ils comptent renforcer le soutien à Israël et accélérer le rapatriement des investissements américains d’Europe. Ils comptent également remettre en question le rôle futur de l’OTAN.
Les raisons d’une victoire marquante des républicains
La victoire de Donald Trump lors de l’élection de 2024 (et la reprise du contrôle du Senat et probablement de celui du Congres) pourrait effectivement être en partie dû à une certaine lassitude vis-à-vis de l’administration Biden (que représente bien sur Kamala Harris en tant que vice-présidente en dépit de ses efforts pour marquer une distance). Les critiques à l’égard de l’administration Biden ont porté sur l’inflation et les erreurs perçues en politique étrangère. Certains électeurs ont vu en Trump un retour à un style plus familier et affirmé, malgré les multiples controverses entourant son précédent mandat et son style.
De plus, la campagne présidentielle de Kamala Harris rencontre des difficultés pour plusieurs raisons clés, notamment ses liens avec l’administration Biden, sa gestion des crises nationales, comme les catastrophes naturelles (ses efforts n’ont pas toujours été bien compris par les électeurs) et est perçue comme une figure trop libérale de la côte ouest du pays. Ce manque d’attrait vis-à-vis de Kamala Harris et le sentiment de «fatigue» à l’égard de Biden ont certainement influencé les électeurs indécis, en particulier ceux qui accordent la priorité aux questions économiques (un élément clé des élections présidentielles américaines) ou qui souhaitent simplement un changement d’approche.
Le vote des citoyens d’origine latino-américaine et des «swing states» ont été significatifs à cet égard. Trump a attiré aussi par ses promesses de politiques «America First», séduisant ceux qui sont frustrés par l’approche globaliste de Biden et par sa gestion des conflits internationaux, notamment en Ukraine. Bien que la lassitude vis-à-vis de Biden a joué un rôle, l’influence de Trump a elle-même évolué. Ses positions populistes ont élargi son attrait auprès d’une base qui se sent déconnectée des politiques de l’administration actuelle, suggérant un mélange complexe de raisons pour lesquelles certains électeurs se sont tournés vers Trump ce 5 novembre 2024.
Les risques liés au second mandat de Donald Trump : sont de nature économique et politique. Trump a promis d’adopter des mesures drastiques, notamment des déportations massives d’immigres illégaux, des restrictions commerciales massive et même des interventions militaires contre ce qu’il considère comme des menaces domestiques. Contrairement à son premier mandat, ce second verrait probablement Trump entouré de collaborateurs plus expérimentés et loyaux, ce qui renforcerait sa capacité à mettre en œuvre des politiques radicales.
• Impact économique : Trump envisage des hausses des droits de douane et des allégements fiscaux, ce qui pourrait provoquer une hausse de l’inflation et risquer de plonger l’économie dans une récession. Ces mesures pourraient freiner la croissance et fragiliser l’économie américaine, menaçant des secteurs clés dépendants de la main-d’œuvre immigrée. De plus, sa volonté de limiter l’indépendance de la Réserve fédérale pourrait créer une grande incertitude sur les marchés financiers, déstabilisant ainsi l’économie et le dollar.
• Politique étrangère : La politique de Trump pourrait fragiliser les alliances internationales, créant un climat d’imprévisibilité concernant des enjeux cruciaux comme l’OTAN, l’Ukraine et Taïwan. Cela risquerait d’accroître les tensions et de déstabiliser ces régions stratégiques, tout en renforçant l’influence de régimes autoritaires comme celui de Vladimir Poutine.
• Politique intérieure : Trump pourrait porter atteinte aux institutions démocratiques en se donnant une large immunité, en annulant les poursuites judiciaires à son encontre, en pardonnant les émeutiers du 6 janvier, et en réduisant l’indépendance du ministère de la Justice. Cela soulève des inquiétudes quant à l’utilisation des institutions de l’État pour intimider l’opposition et éliminer toute forme de contestation. Un tel renforcement du pouvoir exécutif pourrait compromettre les valeurs fondamentales de la démocratie américaine.Certains analystes sont d’avis que les institutions américaines pourraient limiter ses excès. Toutefois, il ne faut pas exclure la possibilité que les dommages causés aux normes juridiques et politiques des Etats-Unis pourraient avoir des répercussions durables, engendrant un climat de polarisation et d’incertitude, et décourageant ainsi les investissements étrangers.