Docteur Ahmed Hamid Brahimi. Spécialiste en nutrition, diététique clinique et thérapeutique : «En matière de nutrition, il est plus facile d’éduquer un enfant que de rééduquer un adulte»

29/08/2023 mis à jour: 04:56
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Docteur Ahmed Hamid Brahimi - Photo : D. R.

- L’obésité est devenue un problème de santé publique majeur dans le monde entier, y compris en Algérie. Selon vous, pourquoi souffre-t-on d’obésité ?

L’obésité est principalement due à une alimentation trop riche et une activité physique faible. C’est le cas dans 90% des obésités. Dans 10% des cas, on peut retrouver de nombreux autres facteurs que j’ai énumérés de façon non exhaustive dans mon livre, L’essentiel de ce que vous devez savoir sur l’excès de poids, tels les facteurs génétiques, les facteurs hormonaux (œstrogènes, cortisol…), le métabolisme de base, le rôle des adipocytes, la sensibilité aux glucides, la balance calorique excédentaire, l’inactivité, la nature de l’alimentation, le stress, certains médicaments, la grossesse, l’âge, le travail de nuit, la privation importante de l’alimentation.

Il faut savoir que le fait de faire des régimes stricts aura pour conséquence ultérieure non seulement l’augmentation de stockage du corps mais aussi un phénomène d’adaptation lié en grande partie à la fonte musculaire qui s’en suit. Il faut surtout retenir que dans la plupart des cas d’obésité rencontrés en Algérie, la cause déterminante est le régime alimentaire riche en gras et en sucre conjugué à un niveau d’activité physique faible. L’alimentation de plus en plus courante dans les fast-foods fait des ravages sur la santé des jeunes principalement.

Connaissez-vous une seule localité en Algérie où il n’y aurait pas de fast-food ? On est en plein dans la «démocratisation de la malbouffe !» Rappelons également que les aliments qui font le plus grossir sont ceux constitués de «mauvaises graisses» et les moins chers, ce qui explique que les couches sociales défavorisées soient les plus touchées. Par ailleurs, j’ai souvent rencontré dans mes consultations des parents qui, devant la cherté des fruits, n’offraient à leurs enfants qu’une bouteille de soda sucré en guise de dessert. De ce que je retiens après plus de 30 ans d’exercice consacré en grande partie au traitement des obésités, la mauvaise alimentation en est la première cause.

- Si le régime alimentaire y est pour beaucoup, qu’en est-il de l’activité physique ?

La prise de poids est également corrélée au manque d’activité physique quotidienne ainsi qu’une sédentarité excessive. L’activité physique a un rôle tout aussi important et essentiel que l’alimentation. Si vous ne bougez pas assez dans la journée pour brûler les calories ingérées, ces dernières vont être stockées sous forme de graisse qui est une réserve de calories non utilisées.

Pour différentes raisons, les gens marchent moins. Ils préfèrent aller au travail assis confortablement dans leur voiture même pour des distances courtes ne nécessitant que quelques dizaines de minutes de marche. Il faut reconnaître aussi à leur décharge que le manque d’infrastructures favorables (larges trottoirs bien entretenus facilitant la marche à pied, parcs, etc.) n’encourage pas toujours à la marche en milieu urbain. Idéalement, 30 minutes de marche rapide tous les jours ou bien une heure, un jour sur deux, peut être considérée comme une activité physique acceptable.

- L’obésité est associée à de nombreux problèmes de santé. Quels sont les soucis de santé les plus récurrents que vous avez observés ?

Je tiens d’abord à signaler que parmi les 10 premières causes de décès, 5 d’entre elles peuvent être aggravées par une surcharge pondérale. Dans ma pratique quotidienne, au vu des milliers de cas d’obésité grave (IMC supérieur à 35), observés dans ma consultation et dans la quasi-totalité des cas, j’ai observé une insulinorésistance, autrement dit, un diabète de type 2 d’autant plus prononcé que le poids était important. La glycémie était améliorée systématiquement suite à la perte de poids.

Les grands obèses présentaient presque toujours une arthrose des genoux et des lombaires. Il faut savoir que l’excès de poids va multiplier par 2 ou par 3 le risque d’arthrose des articulations portantes comme les genoux et les lombaires ainsi que les chevilles. Toutefois, cette pathologie est nettement améliorée par l’amaigrissement. Les signes respiratoires (ronflement, apnée du sommeil et essoufflement à l’effort) sont également très présents dans les cas d’obésités graves consultées. Il y a aussi les maladies cardiovasculaires (près de 70% des sujets souffrant d’une affection cardio-vasculaire sont en surpoids ou obèses), ou encore certains types de cancers.

Les effets psychologiques et sociaux sont également présents. En effet, certains obèses n’aiment pas leur corps et cela peut les entraîner dans des dépressions d’autant plus qu’on a fait de «minceur et beauté» un couple indissociable. L’obèse ne trouve pas facilement de quoi s’habiller et certains postes de travail lui sont fermés. L’obésité entraîne aussi un risque de stérilité. Il faut savoir que les femmes obèses ont plus de risque de présenter une stérilité. Un Indice de masse corporelle (IMC) à 27 multiplie par 3 le risque d’infertilité anovulatoire.

- Les autorités algériennes ont pourtant pris des mesures pour lutter contre l’obésité à travers des initiatives telles que le Plan national de nutrition et de santé. Où se situe donc le problème ?

Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’obésité est devenue la première épidémie non contagieuse de l’histoire de l’humanité. Elle progresse dans beaucoup de pays et commence à peine à être contrôlée dans quelques rares pays avancés. Si celle-ci ne cesse de progresser et devient de plus en plus massive en touchant les jeunes à un âge de plus en plus précoce, cela signifie que le travail de prévention en amont reste insuffisant.

Malheureusement, l’environnement médiatique ne délivre presque pas de message de prévention et d’éducation nutritionnelle. Bien au contraire, les médias véhiculent plutôt des messages publicitaires de l’industrie agroalimentaire qui vantent les «bienfaits» des boissons sucrées et autres friandises en direction de nos enfants et même des adultes. Des publicités tendant à influer négativement sur les bonnes habitudes alimentaires de nos enfants sont diffusées aux heures de grande écoute sur tel ou tel produit, invitant à consommer encore plus et en venir à les considérer presque comme une récompense à mériter aux yeux des enfants.

C’est pourquoi, le gros travail de prévention doit se faire en direction des enfants. Il est plus facile d’éduquer un enfant que de rééduquer un adulte en matière de nutrition. Cela peut commencer à l’école, par exemple privilégier des yaourts nature à la place des sucrés dans les cantines scolaires. Malheureusement, il est parfois difficile de trouver des yaourts sans sucre chez les commerçants à l’intérieur du pays. La raison : ce type de produits est tellement peu demandé que les fabricants ne le produisent presque plus.

Personnellement, je suis d’avis pour que les yaourts sucrés soient taxés plus que les yaourts nature. Cela fera du bien et pour la santé des gens et pour les frais de production des fabricants qui utiliseront moins de sucre dans leurs produits. Il n’est pas compliqué non plus pour qu’un médecin scolaire puisse avoir un droit de regard sur les menus des cantines scolaires. Il est aussi important de faire la promotion des habitudes alimentaires saines et encourager les activités en plein air des enfants en leur limitant les temps d’exposition devant les écrans et consoles de jeux.

- De plus en plus de personnes en surpoids se dirigent vers des opérations de chirurgie pour perdre les kilos superflus. Pourtant, ces opérations peuvent constituer un réel danger…

La chirurgie digestive de l’obésité appelée également chirurgie bariatrique peut se justifier en cas d’obésité sévère quand les multiples tentatives d’amaigrissement avec les méthodes classiques ont échoué. La chirurgie sera réservée aux seuls cas d’obésité grave mettant en danger le patient qui n’arrive plus à maigrir. L’objectif de ce traitement chirurgical consiste à obtenir une réduction des quantités d’aliments absorbés ou bien une diminution de l’assimilation des aliments ingérés.

Toutefois, il existe bien évidemment des complications consécutives à cette chirurgie, car, comme tout acte chirurgical, le risque zéro n’existe pas et le pourcentage de complications oscille entre 2 et 10%. C’est pourquoi, la chirurgie bariatrique doit rester la solution ultime au vu des inconvénients qu’elle va engendrer et qui sont pour la plupart définitifs. Elle a des indications bien précises. L’IMC doit être supérieur à 
40 ou 35 avec des comorbidités (maladies importantes aggravées par l’obésité). La décision chirurgicale ne doit être prise qu’après avoir tenté une dernière fois un traitement diététique bien conduit par un nutritionniste confirmé, pendant une année.

Le patient doit être averti de tout ce qui adviendra dans les suites opératoires. On doit bien lui expliquer qu’après l’intervention, le petit volume d’estomac qui lui sera laissé ne lui permettra plus de manger comme avant. Il devra se contenter de petites prises alimentaires 6 à 8 fois par jour car il ne pourra plus faire un repas normal. Il ne pourra pas observer le jeûne durant le Ramadhan. Tous ces bouleversements post-opératoires liés à la manière de s’alimenter sont définitifs et le patient doit être suffisamment averti de ces inconvénients.

- A quoi est lié le trouble d’anorexie ?

Il faut savoir que la maigreur, soit elle est constitutionnelle, soit elle est en rapport avec une malabsorption intestinale. Le patient finit par s’habituer à s’alimenter très peu, perdre l’envie de manger et sauter des repas. Le traitement est diététique. Il faut essayer d’augmenter son appétit et lui prescrire un programme alimentaire hypercalorique. Le sport d’endurance n’est pas conseillé pour lui. Il faut privilégier plutôt le sport en anaérobie tel que la musculation. Dans ce cas précis, le patient cherche à prendre du poids et consulte pour cela. Par contre, si l’amaigrissement est lié à une anorexie mentale, le problème est tout autre.

Le patient a peur de grossir et ne veut donc pas s’alimenter. Il va jusqu’à se faire vomir après le repas. Généralement, il ne vient pas seul consulter mais est accompagné par un proche. Le trouble est d’origine mentale et la prise en charge est complexe. La collaboration d’un psychologue devient nécessaire. Les cas d’anorexie sont beaucoup plus rares, ils relèvent d’une altération du mental et non d’un simple déséquilibre alimentaire comme c’est le cas dans le surpoids.

- Selon vous, est-il impératif de mettre en place une stratégie nationale pour réduire les effets néfastes de cette maladie ?

L’obésité est un fléau aux causes multifactorielles. Elle nécessite une stratégie multisectorielle pour limiter ses risques sur la santé dont la prise en charge reste très coûteuse. Il est évident que pour réduire les effets néfastes de l’obésité sur la santé de l’individu, il faudrait mettre en place une stratégie nationale multisectorielle englobant d’abord le secteur de la santé et cela via des campagnes de prévention au niveau de la médecine scolaire,  dans la médecine du travail, dans les services de prévention et de médecine sociale.

Il faut aussi impliquer le secteur du commerce en contrôlant davantage les teneurs en sucres des produits mis sur le marché, l’étiquetage obligatoire des composants de tout produit alimentaire commercialisé.

Les collectivités locales doivent aussi être impliquées. Celles-ci assureront le maximum d’espaces pour les activités physiques et sportives. Les médias, surtout audiovisuels, ne sont pas en reste de tout ça. Ils doivent véhiculer les bons messages et encourager à adopter une bonne hygiène de vie, et les écoles où doit commencer la véritable éducation nutritionnelle. 

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