Diversification des échanges commerciaux extérieurs et refondation du modèle économique de l’Algérie (1re partie)

10/03/2024 mis à jour: 03:14
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Des politiques commerciales ouvertes, stables et transparentes demeurent essentielles à la croissance économique et à la résilience, pour peu que les règles des échanges internationaux soient modernisées pour assurer un partage des gains. 

Au cours des dernières décennies, le commerce international, élément essentiel des politiques publiques à travers le monde, a permis de soutenir la croissance économique, d’extraire de la pauvreté et améliorer le niveau de vie de millions de personnes et de favoriser une certaine résilience macroéconomique dans de nombreux pays, comme il a été démontré au cours de la pandémie de la Covid-19. 

Cependant, au cours de ces dernières années, le commerce international a montré toutes ses limites pour des raisons diverses, dont la plus saillante est le partage inégal des dividendes de ce dernier. 

En termes de perspectives sur le moyen et long termes, et en présence d’un nouveau cadre de gestion équitable du commerce international et de politiques nationales allant dans ce sens, ce dernier ne manquera pas de reprendre sa dynamique (au vu notamment des vastes opportunités liées à l’économie climatique), de stimuler une croissance équilibrée et de soutenir la coopération sur d’autres priorités mondiales (changement climatique, sécurité alimentaire et sanitaire et réduction de la pauvreté). 

Pour ce qui est de l’Algérie, son modèle de commerce extérieur reste extraverti avec un statut de mono exportateur d’un produit de base et d’importateur de biens divers pour faire fonctionner l’économie du pays. 

Un tel modèle, miroir d’une structure économique peu diversifiée et d’un secteur externe qui participe faiblement à la formation de la valeur ajoutée, est insoutenable. Nonobstant un contexte international contraignant et incertain, l’enjeu stratégique est donc de construire un nouveau modèle en termes d’échanges internationaux s’inscrivant dans une stratégie à long terme de mise en place d’une structure de production diversifiée, y compris une gamme élargie de biens échangeables. Discutons de ces questions importantes. 
 

Le commerce mondial est en phase de ralentissement mais continue de progresser plus vite que la croissance économique mondiale. Trois points à souligner : 

1- Les échanges internationaux occupent une place importante dans l’économie mondiale: Celle-ci mesure à l’aune de deux indicateurs : (1) le volume dont la progression est passée de 4 % entre 1990-2019 (contre 2,9 % pour la croissance économique mondiale) suivie d’un recul de 4,7% en 2020 (-3% pour la croissance économique) et d’une reprise à un taux moyen de 3,5% entre 2021-2023 (3,2% pour la croissance économique mondiale) ; et (2) le ratio commerce international/PIB qui est passé de 15,3% en 1990 à 18,9% en 2000 et 23,5% en 2022.

2- Les échanges internationaux sont dans une phase de ralentissement après une hausse continue pendant des décennies : Cette hausse s‘explique par une variété de retombées positives (contribution à la croissance économique, amélioration du climat des affaires, attrait des investissements directs étrangers, diffusion de technologie, réduction de la pauvreté de 40% et renforcement de la résilience macroéconomique). 

Toutefois, au cours de ces dernières années, les échanges internationaux ont continué de progresser mais à un rythme moins marqué en raison de plusieurs facteurs, dont : (1) la faible évolution de la demande mondiale ; (2) une pause dans les réformes commerciales dans un contexte de réorganisation des chaînes de valeur mondiales qui ont montré leurs vulnérabilités lors de la pandémie de la Covid-19 ; (3) la montée des barrières commerciales (près de 3000 ont été imposées en 2023 selon le FMI) et les distorsions causées par la hausse des subventions encourageant des politiques industrielles ; (4) les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis et les guerres en Ukraine et en Palestine ; (5) la fragmentation géoéconomique ; et (6) les effets du changement climatique. Ces facteurs sont le reflet d’une méfiance croissante vis-à-vis du libre-échange et de la mondialisation dans de nombreux pays avancés, ainsi que d’un sentiment de peur et d’incertitude déclenché par : (1) des chocs à répétition (dont une pandémie mortelle dont nous n’avons pas encore mesuré tous les dégâts) ; (2) la détérioration des conditions économiques mondiales; (3) les inégalités croissantes de revenus entretenues par des pertes d’emplois, des bas salaires, l’interférence politique et les pressions sur les mécanismes de protection sociale ; et (4) l’instrumentalisation de ces difficultés par des politiciens d’extrême droite pour des raisons électorales.

3- La phase de ralentissement des échanges internationaux est porteuse de risques : Vu l’importance du commerce international dans la formation de la valeur ajoutée des pays, cette faible progression du commerce international a déjà compromis la prospérité des différents pays concernés ; contribué à redessiner la carte des investissements directs étrangers (retenus désormais sur la base de préférences géopolitiques) ; accentué les politiques tournées vers l’intérieur et aligné des choix économiques sur des alliances entre pays (un vecteur d’inefficacité et de tensions croissantes).  

Les perspectives à moyen et long termes des échanges internationaux sont favorables pour peu que des réformes en profondeur soient entreprises au niveau des différents groupes de pays et de l’OMC pour un partage équitable des dividendes. Une plus grande ouverture commerciale reste incontournable car elle facilitera l’ajustement intérieur et permettra de mieux partager les bénéfices du commerce, tout en protégeant les populations les plus vulnérables. 

De ce fait et selon le FMI : (1) Pour les économies avancées, les priorités consistent notamment à : (i) éviter la fragmentation des échanges ; (ii)  ouvrir davantage leurs marchés aux produits en provenance des pays en développement à faible revenu ; et (iii) réduire les obstacles au commerce des services ; (2) Pour les pays émergents, les priorités demeurent une plus grande libéralisation des marchés de biens et de services, y compris pour les produits présentant un intérêt à l’exportation pour les pays à faible revenu et une meilleure intégration de la politique commerciale dans les programmes de réformes structurelles ; et (3) Pour les pays à faible revenu, la priorité est de mettre en place un package de mesures en faveur d’une plus grande ouverture commerciale, un renforcement de l’infrastructure commerciale, de meilleures institutions économiques et un accès accru aux marchés régionaux et mondiaux, notamment grâce à la mise en œuvre de l’Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges. 

En filigrane de ces actions, une réforme de l’OMC elle-même doit être entreprise pour refléter les nouvelles réalités géopolitiques en révisant ses fonctions essentielles, le processus de règlement des différends et mettre en place une capacité de réponse aux défis mondiaux urgents. 

L’Algérie, un modèle extraverti en matière d’échanges internationaux, source de vulnérabilité aux chocs externes. Les données statistiques récentes pour 2023 font ressortir ce qui suit :  
 

1- La prééminence des exportations de pétrole qui ont atteint $49,9 milliards (91,8% du montant total de $54,7 milliards ; 90% en 2022 et 50% en 1963). Les exportations totales étaient de $60,3 milliards en 2022 et $39,3 milliards en 2021. Les autres exportations (engrais, produits chimiques et en fer, etc.)  n’ont atteint que $3,8 milliards. L’Italie est le premier partenaire avec $15,7 milliards. 

2- Des importations totales ($44,3 milliards) de divers produits pour faire fonctionner l’économie nationale, y compris des produits alimentaires représentant 23,4% (dont 42% des céréales) contre 27% en 2022 et 23 % en 1963), des biens d’équipements dont la part est de 27,2% (contre 22,4% en 2022, 43,2% en 2021 et 32,6% en 2019) et des biens de consommation non alimentaires (15 % du total).  La Chine est le premier fournisseur avec $8,7 milliards.

3- Des exportations nettes qui contribuent à hauteur de 12% au PIB (8% en 1970). Une faible part dans la formation de la valeur ajoutée du pays. 
 

4- Une répartition géographique des échanges extérieurs dépendante de deux continents, avec la prédominance de l’Europe (40,9% des importations et 68,7 % des exportations), suivie de l’Asie (36,6% des importations et 16,7% des exportations), des Amériques (16,1% des importations et 8,5% des exportations), de l’Afrique (4,4% du total des importations et 4,9% des exportations) et de l’Océanie, partenaire mineur (1,9% pour les importations de 1,9% et 0,0001% pour les exportations). 

5- In fine, un modèle extraverti (exportation d’une ressource naturelle et importation de divers biens et autres produits manufacturés à des prix élevés), source de pertes de réserves de change, de vulnérabilité à des chocs récurrents en raison de termes de l’échange défavorables et de pressions soutenues sur la balance des paiements. 

De plus, un tel modèle n’est pas viable et ne peut être pour le moment amarré à l’extérieur vu la prédominance des chaînes de valeur mondiales qui font circuler des biens intermédiaires et manufacturés à contenu technologique croissant. Ce modèle explique la faiblesse du commerce extérieur de l’Algérie par rapport au commerce mondial (0,1%).   (A suivre)

 

Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international en macroéconomie


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