Dessalement de l’eau de mer en Algérie : Entre réussites et défis futurs

01/03/2025 mis à jour: 23:55
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Photo : D. R.

Par Hamdi Boualem  
Professeur d’université

Les nouvelles stations de dessalement d’eau de mer, inaugurées par le Président de la République, constituent une avancée décisive pour la gestion des ressources hydriques en Algérie. Avec une capacité globale de 1,5 million de m³ par jour pour les cinq usines, elles renforcent considérablement le parc national de dessalement, portant la production totale à plus de 3,7 millions de m³ par jour.

Stratégiquement réparties le long du littoral, ces infrastructures assureront l’approvisionnement en eau potable de millions de citoyens, tout en soutenant les secteurs industriel et agricole. Réalisées en un temps record de 26 mois, elles illustrent la maîtrise technique et la capacité logistique du pays à répondre efficacement aux enjeux hydriques.

Intégrant des technologies de pointe, ces stations sont conçues pour limiter leur impact environnemental en optimisant la consommation énergétique et en adoptant une gestion responsable des rejets de saumure. Cette situation place l’Algérie à l’avant-garde du dessalement en Afrique, lui permettant de dépasser ses voisins maghrébins et d’atteindre la deuxième position dans le monde arabe, juste derrière l’Arabie saoudite.

Un exploit technologique et stratégique qui reflète une vision ambitieuse et durable visant à assurer la sécurité hydrique du pays face aux défis climatiques croissants et aux risques de pénurie d’eau. Avec les nouvelles stations de Cap Blanc-Oran, Fouka 2-Tipaza, Cap Djinet-Boumerdès, Tighremt-Béjaïa et Koudiet Eddraouche-El Tarf, l’Algérie renforce considérablement sa capacité à répondre aux besoins croissants en eau, notamment dans les régions côtières où la pression démographique et le développement économique sont les plus marqués.

Ces infrastructures de pointe transforment l’eau de mer en une ressource potable de haute qualité, contribuant ainsi durablement à la sécurité hydrique nationale. Toutefois, malgré ces avancées, plusieurs défis restent à relever pour optimiser et pérenniser cette réussite.

Parmi les axes prioritaires figurent le renforcement des compétences du personnel, l’optimisation du dimensionnement des futures stations en prenant en compte l’implantation stratégique des sites, ainsi que la valorisation des résidus issus de l’osmose inverse, notamment la saumure. L’anticipation de ces enjeux sera déterminante pour garantir une gestion durable et efficiente des ressources en eau du pays.

Besoins en compétences : rôle stratégique de l’École Nationale Supérieure des Sciences de la Mer et de l’Aménagement du Littoral (ENSSMAL)

Le manque de personnel qualifié dans les domaines du génie maritime, des procédés de dessalement et de la gestion des ressources en eau constitue un défi majeur pour les stations de dessalement d’eau de mer en Algérie.

Ce problème limite l’efficacité de ces infrastructures, d’autant plus que les formations universitaires actuelles ne répondent pas pleinement aux besoins du marché. L’absence du ministre de l’Enseignement supérieur ou de ses représentants lors de l’inauguration des premières stations de dessalement, comme celles d’Oran et de Fouka, illustre symboliquement le manque d’implication de l’université dans ce secteur stratégique.

Bien que des centaines de jeunes diplômés en ingénierie aient contribué à la phase de construction de ces stations, il existe un besoin urgent de spécialistes formés spécifiquement pour les procédés de dessalement et la gestion des infrastructures marines. Par exemple, des arrêts techniques prolongés surviennent souvent en raison d’une mauvaise programmation des systèmes de prise d’eau en mer, causée par une méconnaissance de la dynamique sédimentaire, de l’hydrodynamisme de l’eau ou de la biologie marine.

Ces problèmes pourraient être évités avec des ingénieurs spécialisés, capables de comprendre et d’anticiper les interactions complexes entre les infrastructures et le milieu marin. Actuellement, l’École Polytechnique d’Oran forme des ingénieurs en dessalement, mais ceux-ci manquent de connaissances approfondies sur le milieu marin, ce qui limite leur capacité à résoudre des problèmes liés à l’érosion, à la corrosion, à la dynamique sédimentaire ou à la présence d’espèces invasives.

Par ailleurs, l’École nationale supérieure des sciences de la mer (ENSSMAL), dont le rôle devrait être central dans ce domaine, forme principalement des ingénieurs en halieutique et en biodiversité marine, des spécialités déjà couvertes par l’Institut Supérieur de la Pêche et de l’Aquaculture relevant du ministère de la Pêche.

Cette inadéquation des formations actuelles ne répond pas aux besoins stratégiques du pays en matière de dessalement et de génie maritime. L’ENSSMAL, dont l’effectif enseignant est majoritairement composé de biologistes et de spécialistes des sciences fondamentales, n’est pas en mesure de proposer ou d’encadrer de nouvelles spécialités adaptées aux défis actuels.

Pour remédier à cette situation, une restructuration profonde de l’ENSSMAL est nécessaire. Cette transformation doit s’articuler autour de plusieurs axes : la création de nouvelles spécialités en ingénierie des procédés de dessalement, en génie maritime, en technologies et techniques marines, et en techniques d’exploitation offshore, dont la formation de base est axée sur les sciences marines appliquées (biologie marine, physique marine, chimie marine, géologie marine).

Ces formations doivent être conçues en étroite collaboration avec les gestionnaires des stations de dessalement et les acteurs industriels, afin de garantir leur adéquation aux besoins du marché. Parallèlement, il est essentiel de mettre en place des infrastructures de recherche dédiées, telles qu’un centre spécialisé en membranes et procédés membranaires, des laboratoires de dessalement et un hall technologique pour la simulation et l’expérimentation. Ces outils permettront non seulement de former des ingénieurs compétents, mais aussi de développer des technologies innovantes et de réduire les coûts opérationnels des stations de dessalement.

En outre, l’ENSSMAL doit renforcer ses partenariats avec le réseau thématique de dessalement, l’Agence Nationale de Dessalement d’Eau de Mer et surtout avec les stations de dessalement à travers des contrats de formation, des stages et des projets de recherche appliquée. Cela permettra aux étudiants d’acquérir une expérience pratique tout en contribuant à résoudre les problèmes techniques rencontrés sur le terrain. Pour soutenir cette transformation, un effort doit être fait pour recruter des enseignants seniors en génie maritime et en procédés de dessalement, et pour former les enseignants actuels aux nouvelles spécialités.

Enfin, cette restructuration doit s’inscrire dans une stratégie nationale alignée sur les objectifs de développement des ressources en eau et de l’économie bleue, en coordination avec les ministères concernés. Malheureusement, la vision actuelle est loin de cette trajectoire. En résumé, la restructuration de l’École nationale supérieure des sciences de la mer représente une opportunité stratégique pour l’Algérie de relever les défis du dessalement et de renforcer son autonomie en matière de gestion des ressources en eau.

En formant des ingénieurs spécialisés dans les procédés de dessalement et les technologies marines, et en développant des infrastructures de recherche de pointe, l’Algérie pourra optimiser ses stations de dessalement existantes et se positionner comme un leader régional dans ce domaine. Cette transformation nécessite une volonté politique forte, un investissement dans les infrastructures et une collaboration étroite entre l’université, les entreprises et les institutions publiques.

Dessalement Modulaire : une alternative aux méga-stations

Si la construction de méga-stations de dessalement visait à produire de grandes quantités d’eau pour répondre aux besoins des grandes villes et des régions densément peuplées comme Oran et Alger, l’expérience a montré que leur gestion est complexe et que les arrêts techniques fréquents entraînent des coûts élevés. L’exemple le plus frappant est la station de dessalement de Magtaa (Oran), d’une capacité de 500 000 m³/j, qui fonctionne actuellement à un rendement ne dépassant pas 50 % en raison de multiples problèmes : défauts de prétraitement, variations de la qualité de l’eau de mer, colmatage prématuré des membranes d’osmose inverse, défaillances mécaniques et électriques, problèmes de corrosion et de maintenance.

Sur le plan énergétique, cette station consomme environ 3,5 à 4 kWh par m³ d’eau produite. À pleine capacité, cela représente une consommation quotidienne de 1 750 000 à 2 000 000 kWh, soit l’équivalent d’environ 1000 barils de pétrole par jour. Cette énergie pourrait suffire à éclairer entre 2 et 3,3 millions de foyers, selon l’efficacité de l’éclairage et les habitudes de consommation.

Face à ces défis, il serait pertinent d’orienter les futurs investissements vers des stations de dessalement de taille intermédiaire, d’une capacité de 20 000 à 30 000 m³/j. Plus faciles à gérer, elles présentent moins de risques d’arrêt prolongé et offrent une plus grande flexibilité en termes d’emplacement et d’adaptation aux besoins locaux. Installées à proximité des zones de consommation, elles permettent de réduire les coûts de transport de l’eau et peuvent être optimisées pour une consommation énergétique maîtrisée, avec une meilleure intégration des énergies renouvelables.

Où implanter un projet ? Les défis d’un choix déterminant

L’implantation des stations de dessalement en Algérie a montré que le choix des sites est un facteur clé pour garantir leur succès. Les problèmes liés aux charges élevées en matières en suspension, aux variations de la qualité de l’eau, à la dispersion de la saumure et à la dynamique sédimentaire soulignent l’importance de réaliser des études détaillées avant l’implantation des usines. Le cas des anciennes stations de dessalement de Fouka et de Cap Djinet, situées non loin des embouchures d’oueds à forte activité sédimentaire, provoque des arrêts techniques.

Le cas de la nouvelle station de dessalement de Tighremt (Béjaïa), implantée dans une région à géologie particulière, en est un autre exemple. En tenant compte des paramètres biogéochimiques, des conditions hydrodynamiques marines et des dynamiques sédimentaires, combinés aux paramètres socio-économiques et hydromorphologiques, l’Algérie peut optimiser l’implantation de ses futures usines de dessalement, réduire les arrêts techniques et minimiser l’impact environnemental. Une approche basée sur des études à long terme et une collaboration étroite avec les universités et les centres de recherche est essentielle pour garantir le succès et la durabilité du dessalement en Algérie.

Défis du colmatage prématuré des membranes d’osmose inverse

Le colmatage précoce des membranes d’osmose inverse, souvent dû à un prétraitement insuffisant, est un défi majeur dans les environnements marins où l’eau est fortement chargée en matières en suspension. Avec 3,7 millions de m³/j, chaque année, les stations de dessalement auront à changer environ 150 000 membranes si la durée moyenne est de 2 ans, entraînant des coûts moyens de l’ordre de 40 millions de dollars pour les gestionnaires des stations de dessalement. Face à ces coûts élevés et à l’impact environnemental lié à la production et à l’élimination de ces membranes, il devient impératif de valoriser au mieux ces matériaux en fin de vie, après  des études approfondies d’autopsie.

Des solutions de recyclage et de réutilisation dans d’autres applications, telles que la filtration secondaire ou l’utilisation dans des processus industriels moins exigeants, pourraient non seulement réduire les coûts, mais aussi minimiser l’empreinte écologique de ces technologies. Ainsi, la recherche et le développement de méthodes de valorisation des membranes usagées constituent une priorité pour assurer la durabilité économique et environnementale des systèmes de traitement de l’eau.

Saumure et impact environnemental : vers des solutions de valorisation

Un des défis environnementaux majeurs des stations de dessalement est la gestion et la valorisation de la saumure, un sous-produit hautement concentré en sel et en produits chimiques résiduels. Son rejet direct dans le milieu marin peut perturber les écosystèmes côtiers en modifiant la salinité et en affectant la faune et la flore aquatiques.

Pour limiter cet impact, des solutions innovantes doivent être mises en place, telles que l’extraction de sels et de minéraux précieux comme le lithium et le bore, utilisés dans l’industrie et l’agriculture, ou encore l’exploitation de la saumure dans des procédés de production d’énergie. Transformer cette contrainte en opportunité permettrait de rendre le dessalement plus durable et respectueux de l’environnement. H. B.
 

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