L’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour la Libye, Abdoulaye Bathily, a multiplié les rencontres, ces dernières 72 heures, avec les divers acteurs de la scène libyenne.
Il s’est entretenu avec les présidents du Parlement, Aguila Salah, du Conseil supérieur de l’Etat, Mohamed Takala, de l’Instance des élections Imed Essayah, l’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar, du président du Conseil présidentiel Mohamed Younes El Menfi, ainsi qu’avec les membres de la Commission militaire des 5+5, unique structure sécuritaire à être actuellement soutenue par les belligérants libyens.
Avant cela, Bathily a présenté, la semaine dernière, un rapport au Conseil de sécurité à New York sur la situation dans le pays. Tous les protagonistes de la scène libyenne, locaux et étrangers, s’accordent sur la nécessité de tenir des élections pour une sortie de crise.
Mais des doutes persistent concernant la possibilité de tenir un scrutin honnête et indépendant, alors que le pays est toujours divisé au niveau sécuritaire. Les urnes ne seront pas protégées par une force centrale indépendante.
«Ainsi, ce n’est pas garanti que les résultats des scrutins soient acceptés par les candidats opposés et je m’interroge si la situation libyenne va s’améliorer après pareil scrutin», se demande le juge libyen Jamel Bennour. Il ajoute que dans l’état actuel des choses, «rien ne pourrait empêcher un milicien de surgir dans un bureau et de suspendre l’opération de vote. Nous ne sommes pas encore un Etat à proprement parler. C’est toujours la révolution, surtout à l’Ouest».
L’inquiétant dans ce dossier explosif, c’est que personne ne soulève pareils différends qui fâchent et qui sont de caractère purement sécuritaire. Les réserves ne portent, dans les débats de la commission dite des 6+6, d’un côté comme de l’autre, que sur des questions en rapport avec les lois électorales élaborées. Il y a d’abord des réserves sur la question de la nationalité unique.
La réponse trouvée, c’est que le candidat se débarrasse de sa deuxième nationalité, une fois élu. Il y a ensuite la réserve sur la non-candidature aux élections des membres du gouvernement. Là, la question est importante puisqu’il s’agit d’éviter l’influence du pouvoir exécutif sur le scrutin. Le troisième différend porte sur le déroulement des trois scrutins, présidentiel, législatif et sénatorial.
Beaucoup s’interrogent, par ailleurs, sur l’utilité de les tenir simultanément. Certaines voix disent que la simultanéité risque d’ouvrir la voie à la fraude.
Ces différends sont, certes, légitimes et il faudrait leur trouver des réponses adéquates, selon tous les observateurs. Mais «le plus important, c’est de garantir l’acceptation des résultats des scrutins et la légitimité des élus. Il s’agit d’éviter le scénario de juin 2014 quand le camp islamiste avait refusé la défaite de ses candidats», insiste le politologue Kamel Al Maraach pour qui «la situation de division actuelle introduit un sérieux doute».
Etat des lieux
L’actuelle situation libyenne rappelle étrangement celle de 2021, lorsque les élections étaient annoncées à l’issue de l’accord de Novembre 2020 par toutes les parties libyennes à Genève pour le 24 décembre 2021.
Lequel accord avait installé Abdelhamid Dbeiba à la tête du gouvernement et Mohamed Younes El Menfi au Conseil présidentiel. Toutefois, et malgré l’accord apparent de tous et l’appel à voter lancé dans les temps réglementaires par l’Instance supérieure des élections présidentielles, les grosses pointures n’ont pas fait de campagne électorale et le scrutin n’a finalement pas eu lieu, cela sans que l’instance des élections ne le reporte officiellement.
Le politologue libyen Ezzeddine Aguil résume cette situation en ces termes : «Il y a, d’un côté, le peuple libyen qui est fatigué et qui veut absolument que les élections aient lieu pour amorcer un nouveau départ. De l’autre, il y a des opportunistes qui sont dans toutes les instances et qui sont grassement payés pour leurs prétendus services et qui ne veulent pas que les choses changent car risquant de perdre leurs privilèges».
Selon ce dernier, «rien n’a changé depuis 2021 et rien n’indique que les choses ont évolué et que l’on va vers des élections. Qui de Haftar, d’Aguila, de Dbeiba ou de Takala est prêt à abandonner ses intérêts et aller vers l’inconnu ?». Difficile à dire.
Aujourd’hui encore, les tractations battent leur plein. Dans l’absolu, tout le monde veut que la situation évolue. Mais dans les faits, rien n’est encore tranché. Le blocage se vérifie lorsqu’il s’agit par exemple de nommer des responsables (civils) à la tête des institutions sécuritaires. Chaque camp tire la couverture de son côté et prétend être le seul habilité à avoir cette prérogative.
Il est donc clair que les belligérants libyens esquivent les véritables problèmes pour garder un semblant d’équilibre et, surtout, pour sauvegarder leurs intérêts. «Des élections ne peuvent pas être tenues dans cet environnement flou», conclut le juge libyen Jamel Bennour.