En décidant d’interrompre toute aide financière à Pretoria et en proposant un programme de réinstallation pour les Afrikaners, le président américain Donald Trump a ainsi porté la crise à un niveau inégalé depuis la période des sanctions imposées au régime de l’apartheid en 1986.
Pretoria et Washington traversent une crise inédite depuis la fin de l’apartheid. En dénonçant une supposée discrimination à l’encontre des fermiers blancs sud-africains, le président américain Donald Trump a attisé à la fois les tensions internes en Afrique du Sud et le bras de fer diplomatique entre les deux pays. Mais derrière le prétexte de la défense des Blancs africains se cache, en réalité, une crise latente depuis la plainte déposée contre Israël à la Cour internationale de justice ainsi qu’un supposé rapprochement entre l’Afrique du Sud et l’Iran.
En décidant d’interrompre toute aide financière à Pretoria et en proposant un programme de réinstallation pour les Afrikaners, le président américain Donald Trump a ainsi porté la crise à un niveau inégalé depuis la période des sanctions imposées au régime de l’apartheid en 1986. Le président américain, voulant défendre les Blancs sud-africains, s’est ainsi directement immiscé dans une controverse interne autour d’une loi d’expropriation des terres, promulguée par le président sud-africain Cyril Ramaphosa.
Donald Trump a suspendu l’aide américaine à Pretoria en raison de cette loi foncière qu’il juge discriminatoire envers la minorité blanche, interrompant officiellement toute assistance économique et humanitaire à l’Afrique du Sud. Selon lui, cette loi violerait les droits de l’homme. Il n’a pas hésité à demander à son cabinet d’élaborer un programme de réinstallation pour les Afrikaners, un groupe ethnique descendant principalement des colons néerlandais, affirmant qu’ils sont victimes d’une «discrimination raciale injuste».
Ces déclarations ont été renforcées par Elon Musk, milliardaire d’origine sud-africaine, qui a évoqué un «génocide des fermiers blancs», bien que les statistiques montrent que les meurtres de fermiers, bien que très réels, ne constituent pas une extermination organisée. Des experts, comme Gregory Stanton de Genocide Watch, ont confirmé qu’il s’agissait de crimes liés à l’insécurité plutôt que d’une politique d’éradication ciblée. Le lendemain des premières déclarations de Trump, lorsque le président sud-africain Cyril Ramaphosa a défendu la loi foncière sur X, Musk, allié de Trump, a réagi : «Pourquoi avez-vous des lois ouvertement racistes ?»
Le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio a embrayé à son tour, annonçant sur X qu’il «n’assistera pas au Sommet du G20 à Johannesburg. L’Afrique du Sud fait de très mauvaises choses. Elle exproprie des propriétés privées». L’Afrique du Sud, qui assure la présidence tournante du G20, accueillera une réunion des ministres des Affaires étrangères du groupe les 20 et 21 février.
Dans les faits, la réforme foncière sud-africaine, au cœur de cette polémique, vise à corriger les inégalités historiques en matière de répartition des terres, un héritage direct de l’apartheid. Aujourd’hui encore, 70% des terres agricoles restent entre les mains de la minorité blanche, qui représente 7% de la population.
La nouvelle loi, promulguée fin janvier par Cyril Ramaphosa, prévoit l’expropriation dans certaines conditions : terres en friche, propriétés illégalement acquises ou appartenant déjà à l’Etat. Les terres ne peuvent être expropriées que pour des intérêts publics – comme la construction d’écoles, d’hôpitaux ou d’autoroutes ou pour l’intérêt général, ce qui inclut la réforme agraire.
La raison de ce bras de fer
Face à Trump, Ramaphosa a immédiatement répliqué : «Il n’existe aucun groupe qui soit persécuté en Afrique du Sud. Nous sommes une nation résiliente et nous ne céderons pas aux intimidations.» Ramaphosa a affirmé que son gouvernement était disposé à discuter avec Washington, afin de clarifier les objectifs de cette réforme.
Gwede Mantashe, ministre des Ressources minières et figure influente du parti, a proposé de «cesser d’exporter des minerais aux Etats-Unis» en guise de rétorsion. «S’ils ne nous donnent pas d’argent, ne leur donnons pas de minerais», a-t-il déclaré lors du forum Mining Indaba au Cap. Il faut dire que m’initiative de Trump a été refusée par les Afrikaners eux-mêmes. «Nous pouvons avoir des désaccords avec l’ANC, mais nous aimons notre pays», a déclaré le Solidarity Movement, un groupe représentant 600 000 familles d’Afrikaners.
Cependant, l’impact concret des mesures américaines pourrait être important pour l’Afrique du Sud. Le gel du programme Pepfar, qui finance une partie du traitement du VIH/Sida, menace directement la prise en charge de millions de patients sud-africains, mettant en péril un acquis de santé publique. Par ailleurs, l’Afrique du Sud demeure un partenaire commercial majeur des Etats-Unis en Afrique, avec des échanges dépassant les 11 milliards de dollars en 2022.
Au total, environ 600 entreprises américaines y opèrent. L’Afrique du Sud bénéficie également de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), une loi américaine de 2000 qui offre à certains pays africains un accès en franchise de droits aux marchés américains pour 1800 produits. En 2022, les exportations sud-africaines vers les Etats-Unis représentaient près de 11 milliards de dollars. Aujourd’hui, Pretoria est menacée d’être exclue de l’AGOA, alors que Trump remet en question les accords commerciaux qu’il juge défavorables aux Etats-Unis.
La véritable raison de ce bras de fer ne serait pas le dossier, mais la position de l’Afrique du Sud sur la guerre menée par Israël à Ghaza. Pretoria a accusé Israël de génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ), une démarche qui a attisé la colère de Washington. L’Exécutif américain a dénoncé cette posture comme une preuve d’hostilité envers les alliés occidentaux, d’autant plus que l’Afrique du Sud a simultanément renforcé ses liens commerciaux et militaires avec l’Iran.
La CIJ n’a pas encore rendu son verdict final, mais certains membres du Congrès américain estiment que l’Afrique du Sud doit en payer le prix. Le US-South Africa Bilateral Relations Review Act, introduit au Congrès le 6 février 2024, accuse l’Afrique du Sud de «s’aligner sur des acteurs malveillants, y compris le Hamas, une organisation terroriste étrangère désignée par les ÉEats-Unis, et un proxy du régime iranien». Le projet américain de loi de 2024 accuse également Pretoria de vouloir «resserrer ses liens avec la République populaire de Chine et la Fédération de Russie».
Il est à rappeler, à ce propos, qu’en mai 2023, l’ambassadeur américain en Afrique du Sud a accusé le pays d’avoir secrètement fourni des armes à la Russie pour sa guerre en Ukraine via un cargo ayant accosté dans une base navale près du Cap. Cependant, une enquête sud-africaine a conclu en septembre 2023 qu’«aucune preuve» ne confirmait ces allégations. Ramaphosa a déclaré que cette accusation avait «gravement affecté notre monnaie, notre économie et notre image sur la scène internationale». Plus tôt en février 2023, l’Afrique du Sud avait organisé des exercices militaires conjoints avec la Russie et la Chine dans l’océan Indien, suscitant l’inquiétude des Etats-Unis.