Conférence sur «Les historiens et la révélation des crimes coloniaux» au SILA : «Il n’y a pas assez de données chiffrées sur les crimes coloniaux»

10/11/2024 mis à jour: 07:09
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Conférence au Sila : Malika Rahal et Hosni Kitouni ont dénoncé les crimes coloniaux (Photo : b. souhil)

Dans le cadre de la tenue du 27e Salon international du livre d’Alger (SILA), deux spécialistes de l’histoire coloniale française, à savoir Malika Rahal et Hosni Kitouni, ont animé, dans l’après-midi de samedi dernier, une conférence  ayant pour thème «Les historiens et la révélation des crimes coloniaux».

 Dans un brillant argumentaire, l’historienne Malika Rahal a plaidé pour l’écriture de notre histoire coloniale, et ce, notamment à travers des récits recueillis auprès de témoins ou encore des familles de disparus. L’oratrice a évoqué la disparition forcée d’individus  durant la guerre d’indépendance, en général et en particulier autour du film La Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo, sorti en 1966. Un long-métrage précieux qui donne son nom et des images, connus de cette douloureuse période. Malika Rahal a entrepris un travail de recherche intéressant avec son collègue français Fabrice Riceputi, spécialiste des questions coloniales et post-coloniales en France. Dans les archives françaises, ils ont découvert un document important et pratiquement jamais exploité. 

Le document en question se décline sous forme d’un fichier, rempli par les familles des disparues enlevées par  les parachutistes français. La plupart des familles signalaient les disparitions de leurs proches au niveau de la préfecture. «Ce sont souvent les femmes qui font ce travail. Beaucoup d’entre elles se sont rendues à la préfecture où le préfet lui-même s’est inquiété de cette panique dans la ville d’Alger. Les familles ont souvent donné des informations précises qui ont formé autant de fiches dont nous avons retrouvé un millier d’exemplaires. Sur ces fiches, nous avons retrouvé des renseignements d’usage avec le nom, le prénom, l’adresse, la profession et le jour de l’enlèvement du disparu.» Après avoir collecté cet ensemble de documents de référence, les deux historiens décident de lancer, via le Net, un appel à témoins en direction des familles de disparus. 

Le retour est immédiat. Des centaines de lettres sont reçues. Malika Rahal et Fabrice Riceputi commencent progressivement à correspondre avec les intéressés. Les informations données par ces familles sont mises à jour sur la plateforme numérique. Ils créent, ainsi, l’archive qui n’existe pas dans les archives. En effet, ils créent, à eux deux, le dossier individuel, permettant de raconter l’histoire de la personne. 

«A partir de ces dossiers individuels que nous avons rassemblés, petit à petit, nous avons commencé à pouvoir faire de l’histoire pour apprendre des choses sur la façon dont s’est déroulée cette Bataille d’Alger et cette période de la guerre d’indépendance», dit-elle. Pour Malika Rahal, il est plus qu’urgent de collecter des témoignages sur les crimes commis durant l’occupation française de l’Algérie, car «il n’y a pas  assez de données chiffrées sur tous les crimes coloniaux, les tortures, les déportations et les enlèvements». 

De son côté, le chercheur en histoire et auteur Hosni Kitouni estime que nous donnons une lecture du passé à travers le biais des crimes, ne permettant pas de rendre compte véritablement de ce qu’a été la colonisation. L’historien indique que le génocide n’est pas une tuerie ou la description d’un ensemble d’actes. Le concept de génocide est plutôt un concept juridique qui a été défini par la convention internationale. 

 «Dans le concept de génocide, il y a l’intentionnalité  et  la  description exhaustive de ce crime. Or, pour la convention internationale, tout ce qui s’est passé avant n’est pas pris en charge par la ladite convention. Vous ne pouvez pas traiter de la colonisation, alors que la colonisation est venue avant la définition du concept de génocide. D’une part, la rétroactivité du concept de génocide n’est pas applicable.» Hosni Kitouni est radical : «Les universitaires et les historiens doivent définir quelle a été la colonisation pour nous et comment devons-nous définir nos exigences par rapport à la France coloniale. 

Et demander ce qu’il y a comme réparation.» Toujours selon notre intervenant, il ne faut  pas  incriminer la colonisation,  mais incriminer un Etat colonial.  L’ampleur de la destruction durant la colonisation a touché la dépossession des paysans, le déplacement des populations, les prises d’otages, le transfert d’enfants  à l’étranger et les viols. Ces ensembles d’actes ne peuvent pas être définis par un seul massacre. «Le massacre, précise-t-il, c’est la destruction d’un ensemble d’individus. Or, la colonisation a détruit l’identité algérienne, l’être algérien, les sous-brasements culturels et économiques de la société.» Autre point soulevé par l’académicien Hosni Kitouni, celui de la documentation des archives coloniale.

 Il a eu à analyser un ensemble de  thèses soutenues au niveau des universités algériennes en 2007. Il a même consulté des articles dans des revues académiques et des ouvrages traitant des crimes coloniaux. Il est arrivé à la conclusion finale que malgré les efforts déployés, on n’est pas parvenu à documenter, de manière fiable, les crimes dont on aborde. Et à établir une chronologie, à évaluer leur conséquence et leurs effets sur la population, et enfin à cerner les responsabilités. 

De l’avis de Kitouni, ces chercheurs croient trouver la vérité exclusivement dans la  documentation  française, oubliant que  l’histoire de l’Algérie intéresse toute l’humanité. «Il y a, aujourd’hui, des publications anglophones d’un intérêt exceptionnel sur l’Algérie qu’on ne consulte pas», conclut-il.
 

Alger
De notre envoyé spécial Nacima Chabani
 

 

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