Le journaliste et écrivain algérien, Salah Badis, et l’écrivain suisse et tchadien, Noël Nétonon Ndjékéry, ont mis en avant, dimanche, lors d’une conférence organisée dans le cadre de la 27e édition du Salon international du livre d’Alger (SILA), la question des langues.
Lors d’une conférence organisée dans l’espace des éditions algériennes Barzak, sous l’intitulé «Un regard croisé sur l’écriture et les langues», ces deux écrivains de référence ont permis au lecteur d’en savoir un peu sur le mécanisme de leur écriture et du choix de la langue utilisée. L’écrivain Noël Nétonon Ndjékéry est né avant l’indépendance du Tchad et a grandi à l’école avec une langue française imposée par la colonisation française. Il écrit en langue française de la même manière que Salah Badis qui appartient à une génération, a grandi avec la langue «el derdja», les dessins animés et le rap. Dans son dernier recueil de nouvelles intitulé «Des choses qui arrivent», publié par les éditions Barzakh en 2023, il présente une galerie de personnages confrontés à la difficulté de vivre et d’aimer en Algérie, le tout saupoudré d’un dialecte aux sonorités éparses.
Il se plaît à malaxer les langues avec une facilité déconcertante. Preuve en est, il utilise, entre autres, l’arabe dialectal, l’arabe très populaire de la rue et l’arabe classique. Son écriture contemporaine spontanée a ce pouvoir de superposer des registres d’écriture avec plusieurs langues dans la langue. Salah Badis explique qu’il écrit en langue arabe en utilisant très souvent l’arabe dialectal. Avec tous ces matériaux, il essaye de produire quelque chose. «C’est comme un tapis où il y a plusieurs couleurs et plusieurs formes. On essaye de faire un sens», dit-il. Salah Badis écrit en derdja ses textes et également en inter-actions sociales.
Il affirme qu’il a appris l’arabe et le Coran à l’âge de 5 ans. Il regardait les dessins animés sur le petit écran en langue arabe classique. A cette époque, il voyait les choses autrement. «Je ne voyais pas une autre langue contre ma langue maternelle qui était el derdj, qui se complétait. Je m’amusais à trouver des racines de cette langue.»
L’écriture de Noël Nétonnon Ndjékéry est un voyage de la mémoire avec ce lourd poids de l’histoire. Il a grandi dans une dimension orale très forte. Son dernier roman imposant, Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis, Hélice Hélas, livre une tradition d’écriture africaine ou encore sud-américaine. Sa narration est très chorale dans laquelle il navigue dans des registres de narration à la première et à la deuxième personne, mettant en question le texte.
A la question de savoir si l’écrivain tchadien appartient à une seule langue qui n’est pas la sienne ou appartient à plusieurs langues qui sont siennes, il répond en disant qu’on lit le monde en fonction des mots dont nous disposons. De ce fait, il a deux principales grilles de lecture. Il a sa langue maternelle, dont le lexique compte 60 000 mots. Un nombre dont on arrive à exprimer tous les sentiments, les événements qui sont survenus dans notre vie. Sa deuxième grille de lecture du monde, c’est le français. Il reconnaît d’ailleurs que c’est la seule langue dont il sache écrire. Le français lui a apporté un lexique de plus de 100 000 mots. Quand il se lance dans le processus d’écriture, il essaye de concilier ces deux mondes en même temps. «Il y a une langue avec 6000 mots qui procède beaucoup par métaphores.
C’est ce qu’on appelle dans ma langue maternelle des paroles mères, c’est-à-dire des paroles qui en contiennent d’autres, qui vous permettent d’exprimer les sentiments, les événements. Et puis, il y a le français avec toute sa richesse et son histoire. J’essaye de puiser dans deux grilles de lecture différentes. C’est ce qui m’intéresse pour créer et partager ce que je ressens», explique-t-il avec passion. Nétonon Noël Ndjékéry, lauréat du Grand Prix littéraire national du Tchad en 2017 pour l’ensemble de son œuvre, révèle comme tous les Subsahariens, parle plus que ces deux langues. Il rappelle que pour survivre en Afrique, il faut parler au moins trois langues. Il considère, ainsi, qu’il est riche de toutes ces langues, mais ses deux principales grilles de lecture du monde, c’est sa langue maternelle et le français. Notre orateur atteste qu’il suit de près, depuis des années déjà, ce débat sur la langue d’écriture.
De son avis, c’est un débat qui a été introduit depuis quelques années par les écrivains anglophones du Kenya. Revenant sur cette question de langue, l’intervenant avoue qu’il ne sait pas écrire dans sa langue maternelle et qu’il est dans l’impossibilité d’écrire sa graphie. Il ajoute en disant que peut-être qu’en transposant certaines idées de sa langue maternelle en français, il continuera à enrichir la langue française. Il compte d’ailleurs recourir à un traducteur pour la traduction de ses livres dans sa langue maternelle. L’écrivain Nétonon Noël Ndjékéry se félicite de cette diversité des langues qui arrivent à atteindre le lecteur.
«C’est une chance pour nous, Africains, que ce niveau de langue unique est en voie d’être brisé. C’est un mouvement qui a commencé depuis des années avec Céline et Frederic Darc qui pouvaient à la fois écrire des livres classés dans le genre argot. Et puis, il y a toute une bibliographie de livres écrits en bon français. C’est quelque chose qui m’a beaucoup inspiré. J’utilise comme technique de récit et de narration la technique des griots.
Ces derniers n’ont pas cette différence de langues que les monarchies occidentales ont créées. Je me sens totalement libre de raconter les choses en convoquant tous les mots que je juge utiles», conclut-il.