Claire Billet, réalisatrice de «Algérie, sections armes spéciales» à Télérama : «Les témoignages poignants des victimes»

16/03/2025 mis à jour: 09:12
5329
«Il y a une forme d'urgence à s’intéresser à l’utilisation des armes chimiques par la France durant la guerre d’Algérie, en raison du grand âge des derniers témoins.»

Dans une rencontre avec Télérama, Claire Billet, réalisatrice du documentaire Algérie, sections armes spéciales, est revenue sur son engagement et les difficultés rencontrées lors de sa mission d’investigation sur l’usage des armes chimiques par l’armée française durant la guerre d’Algérie. 

Son propos, à la fois intime et politiquement engagé, se déploie autour de plusieurs axes essentiels. Dès le début de la rencontre, Claire Billet insiste sur l’urgence de s’intéresser à ce chapitre méconnu de l’histoire. «Il y avait une forme d’urgence à s’intéresser à l’utilisation des armes chimiques par la France en Algérie», déclare-t-elle, soulignant que ce sujet, bien que douloureux, devait être abordé pour faire la lumière sur des faits historiques encore occultés. 

Pour elle, l’accès aux archives, majoritairement classées «secret Défense», «est un droit citoyen indispensable afin de connaître ce qui a été fait en notre nom par l’armée française». L’idée de traiter ce sujet lui trottait dans la tête depuis longtemps. Inspirée par son intérêt pour la mémoire de la guerre de décolonisation, Claire Billet a d’ailleurs contacté l’historien Christophe Lafaye, dont la recherche sur les archives relatives aux armes chimiques en Algérie l’a convaincue de l’importance de matérialiser ces témoignages historiques. 

Le documentaire s’appuie ainsi sur des preuves irréfutables tirées d’archives et sur les témoignages poignants d’anciens combattants et de victimes. La réalisation de ce film n’a pas été sans obstacles. L’obtention de son visa pour se rendre en Algérie a pris du temps, retardant l’accès aux lieux mêmes où les armes chimiques avaient été utilisées, notamment dans les régions du Djurdjura et des Aurès. 

C’est grâce à l’expertise de l’historienne Saphia Arezki que la réalisatrice a pu repérer ces sites sensibles et authentiques. «Quand j’ai pu me rendre sur place, nous avons tourné dans des grottes où des victimes, dont beaucoup ont été traumatisées dès leur enfance, se souviennent encore des attaques.» Ces lieux, lourds de mémoire, témoignent de la brutalité des faits, mais aussi du courage des témoins qui ont accepté de raconter leur histoire malgré la douleur. 

Claire Billet évoque également les difficultés techniques rencontrées lors du tournage en France. Le Service historique de la Défense, qui conserve la plupart des archives administratives françaises, lui a refusé à deux reprises l’autorisation de filmer certains documents. Pour elle, cette entrave représente une barrière supplémentaire à la transparence historique et à la connaissance des faits. «L’accès aux archives est un droit fondamental pour le grand public, et il est essentiel que ces informations soient mises à disposition pour que la vérité puisse émerger.» 

Le déni de la société française

L’entretien souligne également la dimension de déni qui entoure cette période douloureuse. Tandis que les témoignages sur les tortures pendant la guerre d’Algérie ont trouvé une place dans le discours public, l’utilisation des armes chimiques reste largement ignorée et tuée par le silence. Claire Billet déplore ce manque de reconnaissance, affirmant que «les traumas de la guerre d’Algérie sont nombreux et profonds et il y a un véritable déni dans la société française à l’égard de ces violences coloniales». 

Pour elle, ce documentaire vise à combler cette lacune en vulgarisant des connaissances encore trop souvent réservées aux spécialistes. La réalisatrice ne se contente pas de rappeler les faits historiques : elle insiste sur l’importance de sortir de la politisation pour raconter ces événements tels qu’ils ont réellement eu lieu. «Mon objectif n’est pas de m’engager dans une polémique, mais de faire connaître une réalité historique. 

Les violences commises ne doivent pas rester taboues, elles doivent être reconnues et intégrées dans les livres d’histoire pour que le deuil collectif puisse être entamé et que la mémoire puisse servir de fondement à une réconciliation réelle.» Face à la douleur des témoignages et au silence qui entoure ces violences, Claire Billet exprime son émotion et sa détermination. 

Les anciens combattants et victimes, désormais âgés, se sont montrés nombreux à accepter de témoigner, même si cela ravive d’anciennes blessures. «Ils avaient peur que leur histoire ne soit pas écoutée ou qu’elle soit ignorée, mais aujourd’hui, ils espèrent que ce documentaire permettra enfin de faire la lumière sur ces faits.» 

Pour elle, il s’agit non seulement d’un devoir de mémoire, mais aussi d’une mission de justice historique, afin que la vérité, aussi douloureuse soit-elle, soit reconnue des deux côtés de la Méditerranée. En définitive, la rencontre de Claire Billet avec Télérama dresse un portrait poignant d’une réalisatrice engagée dans une quête de vérité contre vent  et marées. 

Son témoignage met en exergue les difficultés administratives, logistiques et émotionnelles qu’elle a dû surmonter pour mener à bien son projet. 

Elle appelle à un dégel des archives, à une transparence totale et à une révision honnête du passé colonial. Son documentaire, disponible sur France.tv, se présente comme une contribution essentielle à la compréhension des violences de la guerre d’Algérie et à la reconnaissance des crimes commis au nom de la souveraineté nationale. 

En somme, Claire Billet incarne la volonté de briser le silence historique sur l’usage des armes chimiques en Algérie. Par son travail, elle espère provoquer une prise de conscience collective et encourager un dialogue nécessaire pour guérir les blessures du passé. 

Son témoignage est un appel vibrant à la justice, à la mémoire et à la responsabilité de tous pour que ces événements tragiques ne soient jamais oubliés.

Copyright 2025 . All Rights Reserved.