Boukhari Hebbal. Metteur en scène : «Il faut garder les fenêtres ouvertes sur le théâtre qui se fait ailleurs dans le monde»

08/02/2024 mis à jour: 06:19
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La pièce Halaq Ichbilia (Le barbier de Séville), produite par le Théâtre régional Azzeddine Medjoubi d’Annaba, a décroché le prix du jury au 16e Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP) qui s’est déroulé du 22 au 31 décembre dernier au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi d’Alger (TNA).

 La présentation de la pièce au FNTP était une générale. La pièce sera présentée, ce 10 février, au Théâtre régional d’Annaba. El Boukhari Habbel, metteur en scène et scénographe, revient sur cette représentation et sur l’art théâtral pratiqué actuellement en Algérie.

 

 

Propos recueillis par Fayçal Métaoui

 

-Vous avez toujours voulu monter l’opéra-comique Le barbier de Séville du dramaturge français Beaumarchais. Pourquoi ?
 

C’est lié à ma conception de la vie. Dans Le barbier de Séville, il y a des choses que je souhaite dans la vraie existence. Les jeunes doivent trouver leurs places au sein de la société algérienne où une certaine génération continue de dominer. Il va falloir céder la place aux jeunes. Il faut peut-être aussi célébrer l’amour, la joie de vivre. Dans la pièce Le barbier de Séville, il y a de l’intrigue et de la comédie. Des éléments qui m’ont motivé à choisir de monter cette pièce. J’ai proposé ce projet à plusieurs théâtres régionaux, comme ceux d’Annaba, de Mostaganem et de Tizi Ouzou. Finalement, le projet a été pris par le Théâtre régional d’Annaba. A l’époque, Sonia Mekkiou était directrice de ce théâtre. Elle n’a pas voulu prendre mon projet parce que les gens disaient que j’étais proche d’elle. A l’époque d’Ali Braoui, au même théâtre, la commission artistique n’a pas voulu prendre mon texte.
 

-Ne veut-on plus du théâtre classique  ?

Oui, il y a une certaine crainte par rapport au théâtre classique, alors qu’il faut bien passer par-là, jouer ce théâtre. Tous les étudiants en arts dramatiques doivent passer par l’école du théâtre classique.
 

-Qu’en est-il de la distribution pour Halaq Ichbilia ?

Au départ, je voulais faire appel à des têtes d’affiche pour mon spectacle et pour des rôles importants comme ceux de Figaro. Après, je me suis dit qu’il faut ouvrir la voie aux jeunes surtout que j’adore le défi. Je fais appel à des jeunes, même des débutants. C’est une manière de les former aussi. Et il n’y a pas mieux que de commencer le théâtre par le classique. C’est une base nécessaire. Quand on passe par le classique, on peut tout faire au théâtre après.
 

-Avez-vous fait un casting à Annaba  ?

J’ai fait un casting pendant deux jours. Nous avons reçu 92 candidats, peu de filles, à peine une dizaine. Je n’ai pas trouvé beaucoup de danseurs, parce que la plupart, ceux habitant Annaba, étaient pris dans la préparation d’un spectacle, une opérette, à Alger. L’autre défi était de monter le spectacle en un temps record. Pour le théâtre classique, il faut au moins trois mois. Halaq ichbilia a été monté en 28 jours. Nous avons donné la générale au FNTP. J’avais un peu peur surtout pour des comédiens qui se présentaient pour la première fois devant le public dans une grande scène.
 

-C’est un spectacle destiné aux familles aussi…

Oui. C’est une pièce qu’on peut voir en famille. Il y a du divertissement et de la performance.
Comment avez-vous travaillé avec les jeunes comédiens, ceux qui sont montés pour la première fois sur scène, comme Oussama Djerourou qui a interprété le rôle du comte Almaviva ?
 

Évidemment, ce n’était pas facile. A chaque metteur en scène sa méthode. Oussama Djerourou est d’abord un chanteur.  Je lui ai donné un espace pour qu’il puisse chanter sur scène en l’orientant dans la manière d’interpréter son rôle théâtralement. Au fur et à mesure, Oussama a découvert l’univers du théâtre. Je pense que nous avons gagné un comédien. Il a une certaine présence sur scène. Il va s’améliorer au fil des spectacles.
 

 

-Pensez-vous que les théâtres régionaux doivent adopter cette méthode pour former des jeunes aux métiers de scène ?

La formation doit être portée dans les cahiers des charges. Il faut aussi veiller à monter sur scène des textes du théâtre classique universel comme cela existait auparavant. Cette habitude a été abandonnée. On privilégie le texte algérien, c’est bien, mais il faut garder les fenêtres ouvertes sur le théâtre qui se fait ailleurs dans le monde. Il est bénéfique de revenir aux sources parfois comme pour le théâtre grec ou shakespearien. Dans les festivals organisés dans les pays arabes, comme en Tunisie, à Carthage, il y a toujours un spectacle adapté d’un texte classique.
 

-Dans Halaq Ichbilia, les costumes sont bien présents donnant une allure aux comédiens. Des costumes avec des couleurs différentes, éclatantes parfois. Pourquoi ce choix esthétique ?

La conception des costumes est ma vocation première. Sonia me considérait comme «le seul et unique» costumier du théâtre en Algérie. J’ai acquis une certaine expérience dans la conception des costumes pour des films ou pour des pièces de théâtre. Je suis le disciple de la scénographe Lilliane Hachemi (diplômée de l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger et des arts appliqués de Berlin ; Lilliane Hachemi a réalisé les costumes et les décors pour les ballets algériens, pour le cinéma et pour la télévision, et a conçu les affiches de plusieurs pièces de théâtre en Algérie, ndlr). Liliane Hachemi fut mon encadreur pour mon mémoire de fin d’étude à l’Institut supérieur d’art dramatique et chorégraphique (INADC, ISMAS actuellement). Elle m’a encouragé à monter une pièce de Shakespeare.
 

-Quelle pièce ?

Le songe d’une nuit d’été (comédie écrite à partir de 1594). C’était en 1985. Je fais partie de la première promotion de scénographes en Algérie. J’étais le seul étudiant à avoir été admis par Liliane Hachemi (pour l’encadrement). Quand j’étais en troisième année, les deux sœurs Hamida et Fouzia Aït El Hadj ont invité Liliane à visiter une exposition de scénographes. Elle s’est intéressée à mes costumes. Elle m’a pris alors comme assistant pour le long métrage Leila, ma raison du réalisateur tunisien Taïeb Louhichi (sorti en 1989).  Le tournage s’est déroulé à Oued Souf. J’étais émerveillé par l’idée de passer au monde professionnel alors que j’étais qu’à la troisième année d’études. J’ai compris qu’il existait une différence entre la formation et le terrain. Ce que j’ai appris avec Liliane Hachemi était plus dense que ce que j’avais étudié pendant cinq ans sur la scénographie. Elle m’a bien orientée à faire les bons choix, à faire attention à la qualité du travail.
 

-Pensez-vous qu’on donne de l’importance aux costumes dans le théâtre produit actuellement en Algérie ?

Malheureusement non. Je n’ai pas l’impression qu’on accorde un grand intérêt aux costumes. Sur le terrain, je ne me sens pas concurrencé. Le metteur en scène doit faire très attention aux costumes de ses comédiens. Il doit veiller à suivre les petits détails. Il faut aussi connaître la matière, éviter les tissus qui peuvent mettre les comédiens dans la gêne. En tant que metteur en scène, je chouchoute mes comédiens. Dans la pièce Halaq Ichbilia, j’ai pris du velours pour les costumes.
 

-Et pour les couleurs ?

Par exemple, j’ai choisi le bleu pour le costume de Bartholo (Mohamed Chérif Oudini) pour rappeler la France. Pour Almaviva, j’ai choisi le vert pistache, c’est un pur algérien ! Almaviva est sorti gagnant du récit. Il y a du sous-texte dans le choix des couleurs. Ce n’est jamais gratuit. Les personnages protagonistes comme Bartholo, Don Bazile (Nizar Sahnoun), les costumes rappelaient le XVIIIe siècle français. A Séville, Figaro (Attef Karim), Rosine (Hadjer Guermit) et Almaviva étaient habillés par des costumes du XVIIIe siècle espagnol. Dans sa pièce, Beaumarchais évoquait la société française de l’époque. Critiqué, le dramaturge avait revu sa première pièce La Précaution inutile pour souligner que l’histoire se passait à Séville. J’ai voulu également exprimer cette idée à travers le choix des costumes.
 

-Avez-vous tout gardé du texte de Beaumarchais ?

J’ai gardé l’essentiel. C’est une pièce longue de quatre actes. J’ai supprimé certaines scènes comme celle du Figaro sans toucher à la continuité de l’histoire.
 

-Votre pièce est également musicale. Comment s’est fait le choix des compositions avec Kamel Benani ?

C’est la première expérience de Kamel Benani au théâtre. Au début, il n’a pas bien compris ce que je voulais faire dans la pièce. La musique du théâtre n’est pas celle des galas. Elle est différente.  Parfois, dans certaines scènes, seules la guitare et les castagnettes suffisent, pas besoin de percussions. Nous avons fait des recherches ensemble sur le patrimoine du malouf annabi. Ghosn el habib (la branche de l’amant) est une chanson traditionnelle populaire de la médina d’Annaba (interprétée par Rosine dans la pièce).
 

-Et que pensez-vous des scénographies qui sont produites actuellement  ?

Sans porter de jugement, je constate certaines faiblesses. On ne se casse pas la tête. Il y a parfois un manque de finition, de cohérence entre les costumes et les décors. La scénographie, c’est un tout. 
Dans un festival comme le FNTP, il faut peut-être créer le prix de la meilleure conception des costumes. Dans certains spectacles, les costumes sont mieux conçus que les décors...
 

-Boukhari Hebbal est surtout connu pour être un scénographe, pourquoi le passage à la mise en scène ?

Ma première pièce fut Cri d’artistes, d’après un texte de Boubakeur Mekhoukh, inspiré du Chant de cygne de Tchékov, en 1992. La générale a été donnée au palais de la culture Moufdi Zakaria à Alger. La pièce a eu un succès, c’était l’époque du début du terrorisme en Algérie. Après, à la fin des années 1990, j’ai mis en scène le monologue Le nez de Nicolas Gogol qui a décroché un prix. J’ai mis en scène aussi des pièces pour enfants comme Ladhi youminou bi sahiret (celui qui croit aux sorcières). J’ai travaillé avec Sonia pour la pièce Hada ya hada. Sonia voulait que je mette en scène cette pièce.  J’ai dénudé la scène avec un fond noir, avec Hada marchant vers sa fin... Sonia est un tout pour moi. C’était la sœur, l’artiste. Quand je travaillais avec elle, je la mettais toujours à l’aise. 

A chaque fois, elle m’envoyait pour lecture un texte avant la mise en scène pour avoir mon avis. Cette confiance était importante pour moi. Je discute beaucoup avec elle sur les spectacles. Elle adorait mes idées de scénographies. Il y avait une certaine complémentarité, voire complicité artistique entre nous. Aucun de nous ne voulait imposer ses visions, ses idées dans les spectacles que nous avons fait ensemble. Je reprends une idée de Hamida Aït El Hadj : il n’y a pas de recette pour la mise en scène au théâtre, il faut d’abord aimer le faire...  

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