L’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans, le samedi 16 novembre, dès son arrivée à Alger en provenance de France, continue de susciter moult réactions, notamment de la part de la classe politique française. L’agence officielle APS a confirmé, vendredi, son arrestation sans donner plus de détails.
«L’agitation d’une partie de la classe politique (française, ndlr) (…) est une preuve supplémentaire de l’existence d’un courant haineux contre l’Algérie», a écrit l’APS, ajoutant que ce «lobby ne rate pas une occasion pour remettre en cause la souveraineté algérienne». «L’arrestation de Boualem Sansal (…) a réveillé les professionnels de l’indignation», lit-on sur le site de l’agence.
De son côté, sa maison d’édition, Gallimard, a appelé vendredi à sa libération. La veille, jeudi, ce qui convient désormais d’appeler l’affaire Sansal a fait réagir l’Elysée. Le président français, Emmanuel Macron, s’était, en effet, dit «très préoccupé» de la «disparition» du Franco-Algérien, alors que son interpellation n’était pas encore confirmée.
Des personnalités de l’extrême droite française que l’APS a qualifiées de «pantins anti-algériens et accessoirement pro-sionistes de Paris» se sont engouffrées dans la brèche. Ils se sont également dits inquiets du sort de l’écrivain. Parmi eux, on peut citer Eric Zemmour, Marine Le Pen, Xavier Driencourt, Valérie Pécresse et bien d’autres. Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024, a dénoncé le fait que son «frère» soit «derrière les barreaux», tandis que Mohamed Moulessehoul (Yasmina Khadra) a dénoncé, auprès de l’AFP, une arrestation qui «l’insupporte».
Mais pour quelles raisons les autorités algériennes ont-elles procédé à l’arrestation de Boualem Sansal, Algérien naturalisé Français depuis 2024, né à Theniet El Had (Tissemsilt), d’un père d’origine marocaine ?
Selon le journal Le Monde, son arrestation peut être mise en lien avec des déclarations «polémiques» récentes faites au média français d’extrême droite Frontières. Il y reprenait à son compte la version marocaine d’un royaume amputé par la France coloniale du XIXe siècle d’une partie de ses territoires au bénéfice de ce qui devait devenir bien des décennies plus tard l’Algérie, indique la même source.
Du point de vue d’Alger, les déclarations de Sansal est la ligne qu’il ne fallait pas dépasser. Une ligne rouge qui pourrait lui valoir des accusations d’«atteinte à l’intégrité nationale» comme le stipule le code pénal algérien. Actuellement en garde à vue, Sansal devrait comparaître devant un juge dans les prochaines heures ou les prochains jours. Sur les réseaux sociaux, des internautes affirment que sa garde à vue s’inscrit dans le cadre d’une action judiciaire «liée à de récentes déclarations faites à un média français». «Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara.
Toute cette région faisait partie du royaume», a déclaré Boualem Sansal, non sans provoquer une vague de désapprobation au sein de l’opinion nationale. La France, expliquait-il, n’a pas colonisé le Maroc, «parce que c’est un grand Etat (…) C’est facile de coloniser des petits trucs qui n’ont pas d’histoire, mais coloniser un Etat, c’est très difficile», avait-il encore asséné.
Plus grave sans doute aux yeux des autorités algériennes fut la reprise du discours marocain sur la géographie supposément tronquée du royaume au profit de son rival maghrébin», commente Hosni Kitouni, chercheur en histoire.
Pour certains médias français, l’arrestation de Sansal survient alors que les relations diplomatiques sont particulièrement tendues entre la France et l’Algérie en ce moment, depuis que Paris s’est aligné en juillet sur les thèses marocaines portant sur le plan d’autonomie pour le Sahara occidental.
Pour l’enseignant-chercheur Ali Bensaâd, Boualem Sansal «est un écrivain et un intellectuel dont la fonction est de produire des idées». «C’est à la société d’en débattre. S’il faille vraiment les rejeter, cela ne peut se faire que par leur déconstruction, donc par le débat», a-t-il soutenu dans un post sur facebook. «Boualem Sansal est certes un écrivain talentueux, mais ses prises de positions et déclarations à maintes reprises sont des contre-vérités historiques et un travestissement volontaire des faits, mettant en cause directement l’Algérie à travers son histoire, son intégrité territoriale et ses institutions souveraines», note un autre internaute.
«Émettre des critiques, une opposition et des divergences contre un pouvoir politique est une démarche saine et cohérente, s’en prendre à longueur de plateaux parisiens à son pays de naissance devient pathologique pour Sansal et diffamatoire pour l’Algérie», estime-t-il.