Le ballet diplomatique dans la capitale syrienne se poursuit. Après les chancelleries européennes, principalement le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, qui ont envoyé chacune, ces derniers jours, une délégation à Damas, c’est au tour des Américains de faire le pas vers les nouvelles autorités syriennes incarnées par Hayat Tahrir Al Sham (HTS) et son chef Ahmad Al Sharaa.
Il convient de noter que c’est la première fois que des officiels américains reviennent en Syrie depuis la fermeture de l’ambassade américaine à Damas en 2012. «Les premiers diplomates américains à se rendre en Syrie depuis l'éviction du président Bachar Al Assad au début du mois sont actuellement à Damas pour s'entretenir avec les nouveaux dirigeants du pays et rechercher des informations sur le lieu où se trouve le journaliste américain Austin Tice, porté disparu», rapporte Associated Press (AP).
S’agissant de la composition de cette délégation, le département d'Etat cité par AP a précisé : «La secrétaire d'Etat adjointe aux affaires du Proche-Orient, Barbara Leaf, l'ancien envoyé spécial pour la Syrie, Daniel Rubinstein, et l'envoyé principal de l'administration Biden pour les négociations avec les otages, Roger Carstens, ont fait le voyage pour s'entretenir avec les dirigeants intérimaires de la Syrie.»
Les membres de la délégation US «échangeront directement avec le peuple syrien, y compris les membres de la société civile, les activistes, les membres de différentes communautés et d'autres voix syriennes sur leur vision de l'avenir de leur pays et sur la façon dont les Etats-Unis peuvent les soutenir», a souligné le département d'Etat. «Ils mettront en avant les principes d'inclusion, de protection des minorités et de rejet du terrorisme et des armes chimiques qui, selon l'administration Biden, seront essentiels pour tout soutien américain à un nouveau gouvernement» souligne l’agence de presse américaine. Mais «la priorité de leur programme sera de fournir des informations sur M. Tice, qui a disparu en Syrie en 2012».
A noter qu’une conférence de presse de la délégation américaine à Damas, qui était prévue, a été annulée pour «raisons de sécurité», a annoncé Rana Hassan, une porte-parole américaine en Syrie.
2000 soldats américains en Syrie
Un haut cadre au sein de la nouvelle administration syrienne a qualifié de «positives» les discussions entre les diplomates états-uniens et Ahmad Al Sharaa, de son nom de guerre Abou Mohammad Al Joulani, le nouvel homme fort de la Syrie. «La rencontre a eu lieu et elle était positive. Et les résultats seront positifs Inch’Allah», a assuré ce responsable à l’AFP sous le sceau de l'anonymat.
Selon Al Jazeera, «les dirigeants syriens ont discuté avec la délégation américaine de la levée des sanctions imposées à la Syrie avant la chute du régime d’Al Assad». Par ailleurs, le Pentagone a annoncé que ces derniers mois, les Etats-Unis ont doublé leur présence militaire en Syrie, la portant à 2000 hommes. Officiellement, cette présence militaire sur le sol syrien a pour but de combattre Daech. «Washington, qui dit également avoir quelque 2500 soldats en Irak, affirmait depuis des années avoir quelque 900 militaires en Syrie dans le cadre de la coalition internationale contre le groupe djihadiste», note l’AFP.
L’agence relaie les déclarations d’un porte-parole du Pentagone, le général Pat Ryder, «qui a indiqué qu'il venait de recevoir ce chiffre actualisé». «Il y a maintenant environ 2000 soldats américains en Syrie, et ce, depuis au moins quelques mois», a-t-il précisé. «Ces effectifs supplémentaires (...) sont considérés comme des forces temporaires pour soutenir la mission (contre l'EI) et les forces qui sont déployées là-bas à plus long terme», a expliqué le général américain.
Profitant de la guerre civile en Syrie et de la déliquescence de l’Etat syrien, le groupe Etat islamique avait créé en 2014 un «califat» à Raqqa, au centre de la Syrie. L’organisation terroriste a sévi pendant cinq ans, avant d’être démantelée en 2019 par une coalition de forces internationales. Cependant, Daech continue à activer dans quelques poches du territoire syrien.
Et ce sont actuellement les forces kurdes soutenues par les Américains qui le combattent. «Les Américains ont intensifié leurs frappes depuis la chute du gouvernement de Bachar Al Assad au début du mois, visant des zones auparavant protégées par les défenses aériennes syriennes et russes», nous apprend l’AFP. Le 8 décembre, jour de la chute de Bachar Al Assad, les Etats-Unis «avaient mené des dizaines de frappes aériennes visant plus de 75 cibles de l'EI». Le Commandement central américain (Centcom) dit vouloir s'assurer que Daech «ne cherche pas à tirer profit de la situation pour se reconstituer dans le centre de la Syrie».
Poutine : «Je n’ai pas encore vu le président Al Assad»
Hayat Tahrir Al Sham est toujours classée officiellement comme une organisation terroriste par les Etats-Unis, l’ONU et de nombreux pays européens. Aussi, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a-t-il appelé HTS à faire preuve de modération et à ne pas marcher sur les pas des talibans. «Les talibans ont montré un visage plus modéré, ou du moins ont tenté de le faire, lorsqu'ils ont pris le contrôle de l'Afghanistan, puis leur vrai visage est apparu. Le résultat est qu'ils restent largement isolés dans le monde», a affirmé le chef de la diplomatie américaine lors d'une intervention, mercredi, devant le Council on Foreign Relations à New York.
De son côté, Vladimir Poutine a déclaré, lors d’un échange avec la presse jeudi, à Moscou, qu’il n’avait pas encore rencontré le président syrien à qui son pays a accordé l’asile politique de même qu’à sa famille. «Je n'ai pas encore vu le président Assad depuis son arrivée à Moscou, mais j'ai l'intention de le faire. Je lui parlerai certainement», a-t-il déclaré lors de sa grande conférence de presse annuelle, en réponse à une question d'un journaliste américain, indique l’AFP. Durant cet imposant show médiatique, le dirigeant russe a tenu à souligner que la chute de son allié Bachar Al Assad ne constitue pas une «défaite» pour Moscou. «On essaie de présenter ce qui s'est passé en Syrie comme une défaite pour la Russie. Je vous assure que ce n'est pas le cas», a-t-il insisté au cours de ce même échange avec la presse. «Nous sommes allés en Syrie il y a dix ans pour éviter qu'une enclave terroriste n'y soit créée, comme en Afghanistan. Dans l'ensemble, nous avons atteint notre objectif», a-t-il martelé selon des propos repris par l’AFP. Il a admis toutefois que la situation est «difficile».
Concernant le sort des bases russes en Syrie, principalement la base navale de Tartous et la base aérienne de Hmeimim (d’où Al Assad a été exfiltré vers Moscou), Poutine a affirmé : «Nous avons proposé à nos partenaires (...) d'utiliser la base aérienne de Hmeimim pour acheminer l'aide humanitaire.» «Cette proposition est acceptée avec compréhension. Il en va de même pour la base navale de Tartous.» A l’en croire, «l'écrasante majorité (des pays de la région, ndlr) se dit intéressée par le maintien de nos bases militaires». Vladimir Poutine a révélé dans la foulée que l'armée russe avait «sorti 4000 combattants iraniens» de Syrie, à la demande de l'Iran.
L’OIM appelle à «réévaluer les sanctions» imposées à la Syrie
La directrice générale de l’OIM, l’agence de l’ONU pour les migrations, Amy Pope, a appelé dans une conférence de presse, organisée hier à Genève, à «réévaluer les sanctions» imposées à la Syrie du temps d’Al Assad, maintenant que son régime est tombé. «Nous aurons besoin d'exemptions de sanctions pour soutenir les efforts de développement et de reconstruction», a déclaré la responsable onusienne au retour d’une visite à Damas, rapporte l’AFP. D’après elle, la population syrienne «dépend beaucoup de l'argent liquide». «Il y a un marché où les biens sont échangés. Les salaires que les gens reçoivent pour leur travail sont extrêmement bas et souvent insuffisants pour répondre à leurs besoins les plus élémentaires», a-t-elle expliqué. «On peut donc constater que les sanctions ont eu un impact considérable sur l'ensemble du pays, en particulier sur les populations vulnérables», souligne-t-elle. Pour améliorer la situation, il est nécessaire, préconise-t-elle, de «réévaluer ces sanctions», qui visent aussi certains membres du gouvernement de transition. «Nous parlons de toutes les sanctions, celles des Nations unies, celles des Etats-Unis, et d'autres encore», a-t-elle précisé. Par ailleurs, la directrice générale de l’OIM a mis l’accent sur l’importance d’accorder un rôle prépondérant aux femmes dans la reconstruction de la Syrie, exhortant les dirigeants islamistes au pouvoir à Damas à «leur donner leur place dans la nouvelle société». «Avec nos autres partenaires des Nations unies, nous demandons instamment au gouvernement intérimaire de continuer à renforcer le pouvoir d'action des femmes, car elles joueront un rôle absolument indispensable dans la reconstruction du pays», a-t-elle plaidé. Amy Pope ne cache pas ses appréhensions face à certaines factions islamistes. En Syrie, argue-t-elle, «nous avons besoin que tout le monde œuvre en faveur de la stabilité, que tout le monde fasse partie de la solution, et les femmes seront un élément essentiel de cette solution: il est donc important qu'elles aient les moyens de le faire», a-t-elle insisté.