La résistance aux antibiotiques constitue une menace importante pour la santé publique. Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle est même devenue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement.
Pis encore, les infections résistantes sont actuellement associées à cinq millions de décès par an dans le monde. Mais pour bien comprendre le phénomène, il est important de connaitre le mécanisme par lequel se développe cette résistante. Pour faire simple : la résistance survient lorsque les bactéries évoluent en réponse à l’utilisation des antibiotiques.
D’ailleurs, le Professeur Mohamed Yacine Achouri, chef de service de pharmacie du CHU Hussein Dey, estime important de rappeler que les bactéries ont longtemps été responsables de nombreuses maladies infectieuses, parfois graves, voire mortelles. «Cela a duré jusqu'à la découverte majeure de la pénicilline en 1928 par Alexander Fleming, le tout premier antibiotique identifié», rappelle-t-il.
Cette avancée a, selon lui, véritablement révolutionné la prise en charge des infections bactériennes et sauvé des millions de vies à travers le monde. «Cependant, ces bactéries, qui sont des êtres vivants capables d’évoluer, ont progressivement développé des stratégies pour se défendre contre les antibiotiques», explique-t-il.
Et à terme, lorsqu'une bactérie devient capable de résister à l'action d'un antibiotique, on parle d’antibiorésistance. Autrement dit : l’antibiotique ne fonctionne plus et devient donc inefficace face à ces bactéries résistantes.
Par conséquent : «Les patients infectés restent alors malades plus longtemps, développent des formes plus graves de la maladie et, dans certains cas, peuvent malheureusement décéder, notamment, si l’infection est causée par une bactérie multirésistante, c’est-à-dire résistante à plusieurs antibiotiques différents», explique le Pr. Yacine Achouri. Et comme le notifie l’OMS, l’antibiorésistance peut toucher toute personne, à n’importe quel âge et dans n’importe quel pays.
En effet, le Pr. Achouri assure que l’antibiorésistance ne concerne pas uniquement le milieu médical ou hospitalier mais est un problème global qui engage l’ensemble de la société. Selon lui, si les patients sont en première ligne car toute personne exposée à un traitement antibiotique peut, directement ou indirectement, contribuer à la sélection de bactéries résistantes, surtout lorsque les prescriptions sont inadaptées ou que les traitements sont interrompus prématurément, le risque est encore plus marqué chez les patients hospitalisés, notamment ceux en réanimation, où les infections dues à des bactéries multirésistantes sont devenues un défi quotidien.
Mobilisation collective
C’est pourquoi, le spécialiste estime que les professionnels de santé ont un rôle-clé à jouer. Ils ont la responsabilité, selon le Pr. Achouri, d’assurer une prescription raisonnée des antibiotiques, en s’appuyant sur les données microbiologiques et les recommandations scientifiques.
Cela concerne, selon lui, aussi bien les médecins que les pharmaciens et les infirmiers. «J’insiste particulièrement sur le rôle essentiel des pharmaciens hospitaliers, garants de la bonne gestion des antibiotiques à l’échelle des établissements, notamment à travers les programmes de bon usage et les stratégies d’antibiothérapie», précise-t-il.
De plus, le spécialiste estime que les microbiologistes sont des acteurs majeurs dans cette lutte. Pour M. Achouri, ce sont eux qui identifient les bactéries résistantes et orientent les cliniciens vers les thérapeutiques les plus appropriées grâce à un suivi microbiologique rigoureux.
«Il convient donc de saluer l'engagement des acteurs de la surveillance, comme le réseau algérien de surveillance de la résistance des bactéries aux antibiotiques, qui effectue un travail remarquable pour suivre l’évolution des résistances et de la consommation des antibiotiques dans notre pays», confie-t-il.
Saluant au passage les initiatives nationales qui viennent appuyer ces efforts, à l’exemple de l’Institut national de santé publique, qui a récemment lancé une enquête sur la consommation des antibiotiques au sein des CHU d’Alger. Mais au-delà du milieu hospitalier, le Pr. Achouri rappelle le rôle central du pharmacien d’officine, qui est souvent le premier interlocuteur des patients.
Selon lui, son implication est essentielle pour lutter contre l’automédication, rappeler les règles d’usage appropriées des antibiotiques, et orienter les patients vers une prise en charge médicale adaptée lorsque cela est nécessaire. Les vétérinaires sont également concernés.
En effet, selon le Pr. Achour, la gestion des antibiotiques chez l’animal a un impact direct sur la santé humaine. Par ailleurs, le spécialiste regrette que l’usage intensif d’antibiotiques dans certains élevages a largement contribué à la diffusion de bactéries résistantes, qui peuvent ensuite se retrouver dans la chaîne alimentaire et atteindre l’homme. «Enfin, l’environnement constitue un réservoir silencieux de résistance», prévient le Pr. Achouri.
C’est pourquoi, il estime que la lutte contre l’antibiorésistance nécessite une mobilisation collective, à l’échelle nationale comme internationale, car la propagation des bactéries résistantes ignore totalement les frontières.
Dossier réalisé par Sofia Ouahib
Stratégies des bactéries
Pour rendre les antibiotiques inefficaces, les bactéries ont recours à différentes stratégies :
- Le «camouflage»
Pour agir, un antibiotique doit se fixer sur une cible précise située au niveau de la bactérie.
«Si cette cible change d’apparence à la suite d'une mutation, l’antibiotique ne parvient plus à s’y fixer et devient donc inefficace». Cette mutation est alors inscrite dans les gènes de la bactérie et se transmet à sa descendance au fil des multiplications.
- Le «brouillage»
Pour se défendre, le Pr. Achouri explique que certaines bactéries produisent des enzymes capables de modifier la structure des antibiotiques, qui deviennent alors inactifs.
- Le «blindage»
Pour se faire, le Pr. Achouri affirme que certaines bactéries ferment les pores par lesquels les antibiotiques devraient pénétrer dans la cellule, ou bien elles développent des systèmes de pompes qui rejettent directement l’antibiotique vers l’extérieur. Dans ces conditions, l’antibiotique ne parvient plus à atteindre sa cible et perd toute efficacité.
- Certaines bactéries s’organisent en communauté entourée d'une matrice protectrice appelée biofilm, ce qui limite la pénétration des antibiotiques et favorise les échanges de gènes de résistance. S. O.