Amar Mohand-Amer. Historien et essayiste, CRASC : «Le chantier pour consolider la recherche historique devrait être lancé»

06/11/2024 mis à jour: 03:14
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Photo : D. R.

Dans cet entretien, Amar Mohand-Amer évoque les évolutions du camp indépendantiste. Pour lui, pendant toute la durée de la guerre et même avant le 1er Novembre 1954, les «tensions, clivages et oppositions sont légion». «Ce furent des confrontations objectives imposées par la guerre et ses nombreux enjeux et défis», souligne-t-il. Le jeune historien, qui est l’un des plus persévérant de sa génération, a une appréhension : «Le risque ou le danger est que notre histoire nationale ne soit plus à l’avenir du ressort de nos jeunes collègues.»

  • Nous venons de célébrer le 70e anniversaire du déclenchement de la Guerre de Libération. Certains de ses initiateurs sont morts, d’autres ont été emprisonnés jusqu’à l’indépendance du pays. Les acteurs, issus de l’OS, ont-ils gardé pendant la durée de la guerre cet esprit de corps qui unit ce groupe ?

Pas formellement dans le sens où la guerre, sa durée et sa complexité ont fondamentalement et progressivement changé la donne. Des neuf et du groupe à l’origine en novembre 1954, le FLN va passer à une organisation complètement différente et qualitative. Un exécutif, le CCE puis le GPRA, un parlement le CNRS, qui a remarquablement, malgré les nombreuses crises, tenu jusqu’à juin 1962, des institutions, des corporations multiples, etc.
Toutes ces recompositions ont fait que la direction du FLN et de L’ALN n’est plus devenue l’apanage des seuls membres de l’OS ou plus globalement des novembristes.

Cependant, nous nous retrouvons en 1962, notamment après la signature des Accords d’Evian le 18 mars et la libération des chefs historiques, dans une nouvelle logique où l’idée d’arbitrage ou de légitimité vont constituer des éléments primordiaux pour apurer les passifs que la guerre avaient mis sous le boisseau et évité au FLN historique d’imploser.

Donc, il n’est pas étonnant que les deux principaux personnages et acteurs de cette période soient Ahmed Ben Bella et Mohamed Boudiaf, le premier est le dernier chef de l’OS et le second, le catalyseur qui va permettre aux activistes de l’Organisation spéciale de se regrouper, rompre avec la praxis ambiante et recourir aux armes.

In fine, nous pouvons dire que l’esprit de corps est, en l’espèce,  consubstantiellement lié, à la fois, à la recherche d’un compromis au sein du FLN/ALN et de réintroduire la prééminence du politique.

  • Une intense rivalité a marqué les relations entre certains «historiques» et des membres d’autres organisations qui ont rejoint le FLN (centralistes, Oulémas, communistes). Comment expliquez-vous la prégnance de ces tensions ?

Pendant toute la durée de la guerre et même avant le 1er Novembre 1954 (retrait du groupe de Constantine), les tensions, clivages et oppositions sont légion. Ce furent des confrontations objectives imposées par la guerre et ses nombreux enjeux et défis. Aussi, nous ne pouvons pas affirmer qu’il y avait le groupe des historiques et le reste. Les alliances, dés-alliances et retournements que va connaître le FLN 1962 (crise de l’été) montrent clairement qu’au sein même du groupe, des divisions ont pu exister, que ce soit au sein des anciens de l’OS ou des wilayas par exemple.

  • A lire votre essai, on déduit que ce qui est appelé communément le groupe d’Oujda, qui se serait constitué avant la fin de la guerre, n’existe pas vraiment. Ce groupe politico-militaire ne serait-il donc qu’un mythe ?

En 1962, aucune trace de ce groupe. Je ne l’évoque pas dans mon ouvrage sur la crise de 1962 pour la simple raison que je ne le trouve ni dans les archives ni dans la presse de l’époque, et plus important encore, aucun des acteurs que j’avais interviewés n’en font cas.

Il y a une confusion avec le groupe de Tlemcen. On trouve ce qualificatif pour un groupe, celui d’Oujda en 1965 après le 19 juin 1965, dans un rapport aux archives de Nantes. Il s’agit d’une catégorisation qu’a réalisé une chancellerie, française en l’occurrence, sur les différents pôles de pouvoir en Algérie post coup d’Etat. Maintenant, il est sans conteste que dans l’imaginaire collectif c’est le groupe d’Oujda qui est prégnant et utilisé. Toute explication qui contredirait scientifiquement et objectivement ce lieu commun provoque une levée de boucliers...

  • La période que vous avez étudiée est marquée par la rareté de sources (témoignages, archives). Le culte du secret qui remonte à la période de la Spéciale explique-t-il le silence d’acteurs importants ? Comment aviez-vous pu surmonter cet obstacle ?

J’ai eu la chance ou la baraka d’avoir pu consulter les archives du GPRA et du CNRA à Alger, ce qui m’a permis d’explorer les tréfonds du FLN et de l’ALN, en particulier de 1959 à 1962. Les acteurs de la Révolution algérienne que j’ai rencontrés se sont livrés sans aucune retenue, que ce soit à El Bayadh, Alger, Constantine ou ailleurs. 
Le problème est la fermeture des archives nationales durant plus d’une décennie, la privatisation des archives familiales ou celles des fondations. Sinon, les militants, dirigeants ou citoyens ordinaires rédigent leurs mémoires. Nous en avons des centaines, sinon des milliers. Ce tableau positif ne doit pas masquer une triste réalité : la discipline (Histoire) est le parent pauvre de la recherche.

Nos jeunes historiens butent sur des montagnes de problèmes, sachant par exemple que des kilomètres de fonds d’archives sur notre passé sont à l’étranger. Le risque ou le danger est que notre histoire nationale ne soit plus à l’avenir du ressort de nos jeunes collègues. Le chantier de consolider la recherche historique et lui donner les moyens devrait être lancé si nous voulons avoir un capital de travaux solides et très bien documentés.

BIO-EXPRESS

Amar Mohand-Amer, docteur en histoire (Paris 7), est directeur de la Division «Socio-anthropologie de l’histoire et de la mémoire (HistMém)» et directeur-adjoint du comité de rédaction de la revue Insaniyat, au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle, CRASC, d’Oran. Il travaille sur les processus de transition (1962), les trajectoires individuelles et de groupes, la violence en temps de guerre (colonisation), ainsi que sur les questions mémorielles. Il est l’auteur de La crise du FLN de l’été 1962, indépendance nationale et enjeux de pouvoir(s) (Frantz Fanon). L’ouvrage est préfacé et postfacé par les historiens Omar Carlier et Mohammed Harbi. 

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