Alors que le conflit entame sa troisième semaine : Russie-Ukraine, la guerre des images

12/03/2022 mis à jour: 07:15
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La fluidité et la rapidité avec lesquelles les événements se déroulent entraînent le partage d’un grand nombre de fake news

On le sait : dans toute guerre, les affrontements ne se passent pas que sur le champ de bataille mais aussi sur le terrain médiatique. Sur celui de la communication. On voit ainsi très rapidement se mettre en place, plus qu’une communication de crise, une communication de guerre, faisant la part belle à la propagande. 

Et, depuis toujours, sur ce terrain, les images photographiques et filmées ont joué un rôle primordial dans la «bataille de l’opinion publique». C’est que «le choc des images», pour paraphraser la fameuse devise de Paris-Match («Le poids des mots, le choc des photos»), touche immédiatement le public, frappe les esprits, surfe sur l’émotion. Les images servent, en outre, le récit des belligérants. Elles montrent l’un ou l’autre des protagonistes sous son meilleur jour, elles l’humanisent, tandis que l’ennemi est diabolisé au possible. 

Les images ont, d’un autre côté, le mérite de donner un visage aux populations civiles qui sont, le plus souvent, les premières et principales victimes de tout conflit. Dans le cas de la guerre en Ukraine, le confit, qui a éclaté le 24 février dernier, en est déjà à sa troisième semaine. Et encore une fois, la désinformation est au cœur des combats. Glissez sur n’importe quel moteur de recherche «Russie, Ukraine, fake news» et vous avez un florilège d’articles qui préviennent de la manipulation médiatique outrancière à laquelle s’adonnent les supporters de chaque camp. 

De nombreux titres de la presse internationale se sont ainsi penchés sur le sujet, avec, à la clé, un gros travail de «fact-checking». C’est le cas, par exemple, de la BBC, qui a publié il y a quelques jours sur son site web un article intitulé : «Guerre Russie-Ukraine : comment savoir si ce que vous voyez sur le conflit est vrai ou faux». L’article est illustré par la photo d’une femme au visage ensanglanté, présentant un pansement au front et une grosse compresse sur la joue droite. La photographie est assortie de cette légende : «Une femme blessée par un bombardement russe est devenue le sujet de théories du complot et de fausses affirmations sur internet». 

Et de noter : «La fluidité et la rapidité avec lesquelles les événements se déroulent entraînent le partage d'un grand nombre de fake news. Par exemple, de vieilles vidéos ou photos qui sont présentées comme actuelles, mais aussi le contraire : de fausses affirmations selon lesquelles des images comme celle qui figure en haut de cet article sont vieilles ou que la femme représentée est une actrice (et non, elle ne l'est pas).» La rubrique «Les Décodeurs» du quotidien Le Monde s’est vouée justement à faire le tri dans un fatras chaotique d’images et de news. 

Ses animateurs relèvent : «Ce contexte incertain, anxiogène et effrayant, d’une guerre actuellement menée en Europe est propice à la diffusion de fausses informations. Particularité de ce conflit : celles-ci sont principalement visuelles. Aux premières heures de la guerre, les vidéos décontextualisées ou truquées de bombardements de l’armée russe sur Kiev ont pullulé en ligne.» Récemment, une image de l’activiste palestinienne Ahed Tamimi tenant tête à un soldat israélien a beaucoup circulé sur la Toile. L’image est présentée comme celle d’une Ukrainienne affrontant un militaire russe. «Une ancienne vidéo de Ahed Tamimi, une activiste palestinienne arrêtée en 2017 par Israël, a été largement partagée en ligne et faussement présentée comme des images d’une jeune Ukrainienne tenant tête à un soldat russe», écrit le site d’information britannique Middle East Eye. 

Le quotidien belge Le Soir a publié de son côté, dans son édition en ligne, un papier daté du 8 mars sous le titre : «Les cinq fake news qui circulent sur la guerre en Ukraine». Parmi les fake news rapportées, cette «infox» faisant état d’un «mystérieux pilote ukrainien (qui) aurait abattu à lui seul six avions russes au premier jour de l’invasion». «La fausse info, poursuit l’article, a notamment été relayée par l’ancien président ukrainien, Petro Porochenko, et par l’armée ukrainienne.» Le média belge nous apprend qu’après vérification, il s’est avéré que les images dont il est question représentent un duel aérien, et qu’en vérité, «il s’agit d’une vidéo tirée du jeu Digital Combat Simulator (DCS), un simulateur de combat aérien. Le studio Eagle Dynamics a confirmé être à l’origine de cette vidéo».

Un jeu vidéo présenté comme un duel aérien

Le même média assure qu’une fausse une du Time montrant un Poutine flanqué d’une moustache à la Hitler a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Seulement, le célèbre magazine américain n’a jamais publié cette une. C’est un détournement que l’on doit à un «graphiste gallois, Patrick Mulder, qui l’a diffusée sur son compte Twitter sans penser qu’elle puisse être prise pour vraie». 

Dans le camp opposé, une photo du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, posant «avec un maillot de football flanqué d’une croix gammée» est devenue virale. «Le cliché a été partagé des milliers de fois dans le camp pro-russe», indique le journal belge. Et de préciser que ce n’est qu’un «vulgaire photomontage». «La photo a été publiée sur les réseaux sociaux par M. Zelensky lui-même le 8 juin 2021. 

Le maillot de football ne comportait aucune croix gammée.» 

Il faut noter, par ailleurs, que toutes les images ne sont pas des photomontages ou des archives bidonnées. Parmi celles qui ont suscité une vive émotion : celles du bombardement, mercredi dernier, par l’armée russe, d’une maternité à Marioupol, qui a fait trois morts, dont une fillette. Des photos de l’hôpital pédiatrique en ruines ont été diffusées par les forces armées ukrainiennes pour accabler Poutine. «Le bombardement par la Russie d'un hôpital comprenant une maternité est un crime de guerre odieux. Les attaques aériennes contre des quartiers résidentiels et le blocage des convois d'aide par les forces russes doivent cesser immédiatement», a réagi le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, sur Twitter. Sergueï Lavrov a justifié cet acte en déclarant jeudi, depuis Antalya, en Turquie, qui abrite des pourparlers avec la partie ukrainienne. «Cette maternité a été reprise depuis longtemps par le bataillon Azov et d’autres radicaux, et toutes les femmes en couches, toutes les infirmières et tout le personnel de soutien ont été mis à la porte», rapporte l’AFP. Il y a lieu de citer aussi la place qu’occupent dans cette «guerre sémantique» par images interposées les caricatures et le dessin de presse. Il ne vous aura sans doute pas échappé que nombre de ces œuvres graphiques n’hésitent pas à dénoncer le «deux poids deux mesures» des dirigeants occidentaux et leur armada médiatique, en insistant notamment sur les violations que subit le peuple palestinien dans l’indifférence de la «communauté internationale». 

Même attitude envers ce qui se passe au Yémen, en Irak ou en Afghanistan. Parmi ces caricatures, un dessin partagé sur les réseaux sociaux montrant deux cocktails Molotov, l’un aux couleurs de l’Ukraine, l’autre aux couleurs de la Palestine. Le premier est accompagné de l’inscription «Heroes», tandis que le deuxième est affublé de l’étiquette «Terrorists». Une internaute sur Twitter a relayé une caricature qui a beaucoup circulé aussi : on y voit une femme dressée sur un tas de décombres dont un pan de mur lézardé, sur lequel il est écrit «Yémen». 

Cette rescapée, pour se faire entendre, agite le drapeau ukrainien. Et la twitto de dénoncer : «Le monde qui a été impliqué dans des guerres en Palestine, en Afghanistan, en Irak, au Yémen, etc. pendant des années, a soudainement pris la couleur du drapeau bleu et jaune de l'Ukraine. Est-ce une question de race ou bien d'humanité ?!»

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