Abdelkader Ould Makhloufi nous quitte à 80 ans : L’empreinte d’un grand champion

08/01/2025 mis à jour: 23:34
4605

Il est parti notre champion. Sur la pointe des pieds, loin des clameurs  de la salle Harcha, des rings d’ici et d’ailleurs et du brouhaha de la vie. Il avait bouclé ses quatre-vingts ans, mais il paraissait nettement moins arborant fièrement, au moins la soixantaine, bon pied bon œil. 

Avec  son visage angélique  de  gentil bambin éveillé, Kader est parti en silence, emportant sa gloire mais aussi ses secrets. 

C’est un ami de plus d’un demi-siècle, depuis qu’il présidait aux destinées du sport au sein de l’Amicale des Algériens en Europe, dont il était un membre actif au sein du bureau exécutif. Une longue amitié nous liait, qui s’est affermie à de la fin des années 1980, lorsque tous deux nous fûmes élus au sein de la Fédération algérienne de boxe, où il occupa le poste de sélectionneur national. 

C’était à l’époque des premières élections libres en Algérie, soit en 1989, suite aux émeutes qui avaient émaillé Octobre 1988. On appelait cela l’ouverture démocratique, avec la création d’une multitude de partis politiques.


Une rare pépite

Pépite du noble art algérien, Abdelkader a eu une enfance heureuse à Boufarik, son terroir où il a entamé sa carrière pugilistique en amateur, où il a gravi studieusement les échelons en s’imposant comme un futur champion d’Algérie et d’Afrique arrachés haut la main. Comme le costume lui était étroit, il décida d’embrasser une carrière pro. Pourquoi pas, du moment qu’il possédait le talent requis et une ambition justifiée de défier les étoiles. 

Alors fort de ses convictions, Abdelkader affine son désir de percer dans le monde fabuleux de la boxe de haut niveau, qu’il sait difficile, en raison de l’intrusion de bookmakers et autres marchands de muscles, sans foi ni loi. Qu’à cela ne tienne, il fait ses bagages pour intégrer le Ring de Montreuil, un club pugilistique de renom, au sein duquel il a disputé 58 combats, dont 49 victoires un nul et 8 défaites, ce qui lui ouvrit les portes de la reconnaissance des grands managers, il est désigné challenger du champion du monde de boxe japonais, Kuniaki Shibata en 1975. Si la rencontre prestigieuse a de quoi faire miroiter tant de lendemains qui chantent, il en est autrement du soutien des autorités concernées. 

Cet état de fait avait fait bondir notre champion déçu et désappointé, qui avait condamné cette passivité, en épargnant cependant notre ambassadeur à Tokyo qui s’était bien démené, pour assurer le meilleur séjour en terre nipponne à notre challenger qui perd aux points dans la catégorie des légers. 

Cette situation avait fait le lit d’une inévitable et douloureuse désillusion. D’autant que Abdelkader avait maille à partir avec une certaine presse, qui l’avait présenté comme bénéficiaire d’une fantomatique naturalisation, alors qu’il avait refusé catégoriquement la nationalité française, «en raison des souffrances endurées par mes compatriotes, et tout ce que j’ai vu pendant la guerre d’Algérie».

                                      (Abdelkader Ouled Mekhloufi avec notre collègue Hamid Tahri  --- Photo : El Watan )

 

UNE MARGINALISATION INACCEPTABLE

Après sa retraite, Abdelkader n’est pas resté les bras croisés. Il a intégré la fédération, où ses analyses d’expert ont constitué indéniablement un plus. Il reconnaît, objectivement, que la boxe algérienne connaît une régression, faute de stratégie et un programme de développement de cette discipline qui a besoin d’un travail en profondeur et surtout de compétitions. La faiblesse des subventions accordées‚ souligne-t-il, est aussi un handicap, il ne faut pas s’étonner des maigres résultats depuis des années. Abdelkader est convaincu que la formation des techniciens est la clef de la réussite. Et puis, ajoute-t-il, pour entraîner un boxeur il faut impérativement avoir été boxeur, car la boxe est un échange de coups pas de la théorie.


Actuellement, il n’y a pas de stages de boxe en Algérie. Pourquoi ?

Parce que la fédération ne se distingue pas par ses exploits, mais par son instabilité, alors que la tutelle est soumise à des changements fréquents. Selon Abdelkader, il faut revoir aussi les textes et la composition des assemblées, où les compétences ne sont pas admises. «Moi, j’ai toujours voulu mettre mes compétences et mon expérience au service des jeunes. Mais ils nous ont fermé les portes au nez .Vous vous rendez compte, je ne suis même pas membre de l’Assemblée générale !!!!» 

Cela veut tout dire. Ces dernières années,  il vivait chez lui à Tixeraïne,  où  il avait aménagé une salle de boxe au rez-de-chaussée de son domicile. Je  lui rendais  des  visites sporadiques. Un jour, je l’ai vu le visage fermé plein de mélancolie et de tristesse. Il pleurait de l’intérieur, son fils qui a terminé  tragiquement son voyage en Turquie par un accident mortel. Kader s’en est difficilement remis .Il a été également profondément affecté par la «disparition» de son ami et son cadet Loucif Hamani. Les deux hommes se vouaient un respect mutuel.

Pour pérenniser son parcours, Kader a édité une autobiographie qui résume son cheminement exceptionnel de 1958 à 2004. Un livre de 370 pages comportant de nombreuses photos et de stations phares qui ont fait son prestige. Ces derniers mois, Kader a été hospitalisé à deux reprises à Rouiba et à Boufarik,  après quoi il avait retrouvé son équilibre et semblait en forme.


58 combats, presque tous victorieux

«Mes 58 combats dans les rangs professionnels m’ont conduit dans les salles les plus prestigieuses de France et d’ailleurs. La boxe m’a permis, moi le petit Boufarikois, de devenir un homme public, de voyager énormément à travers le monde, d’être reçu par d’illustres personnalités, à leur tête le défunt président Houari Boumediene.» 

Ces pages glorieuses ont été  parasitées à la fin de carrière du célèbre boxeur qui écrit : «N’ayant plus à faire mes preuves au plan personnel et professionnel, je ne saurais tolérer pareil traitement  qui porte préjudice  à ma réputation et à ‘‘mon intégrité’’. Si je dois partir, c’est non poussé par des individus en mal de publicité et dont l’incompétence n’a d’égale que leur soif de pouvoir.» 

Appuyé, en prélude à son livre, cette sentence d’André Gide : «La crainte de ne pas être sincère me tourmente et m’empêche d’écrire.» Heureusement le pas a été franchi au grand bonheur des amateurs de lecture, notamment les férus de boxe.

Kader est décédé à Toulouse chez ses enfants. A sa famille et à ses proches nos condoléances et notre compassion. Sa dépouille sera rapatriée, ce jour ou demain. Ses proches aviseront du lieu et de l’heure de son inhumation.

Repose en paix Kader.  Qu’Allah t’accueille en Son Vaste Paradis et comble ton attachante famille de patience. 
«A Allah nous appartenons et à Lui nous 
retournons.» 

Par Hamid Tahri
 

 

 

 

Le président de la République présente ses condoléances

Le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, a adressé, mardi, ses sincères condoléances à la famille de la légende de la boxe algérienne, Abdelkader Ould Makhloufi, décédé à l’âge de 80 ans.
«Allah Tout-Puissant a rappelé auprès de Lui le regretté boxeur Ould Makhloufi Abdelkader, qui a inscrit son nom dans les annales du sport algérien comme d’un immense champion aux multiples titres nationaux et continentaux, en tant que boxeur qui s’est illustré par ses performances dans les compétitions internationales, mais aussi comme entraîneur à la tête de la sélection nationale de boxe», lit-on dans le message de condoléances. 
«En cette douloureuse épreuve, où nous faisons nos adieux, avec émotion et tristesse, à une légende du noble art au grand palmarès, je vous adresse, ainsi qu’aux sportifs algériens, mes sincères condoléances, vous assurant de ma profonde compassion et priant Allah Tout-Puissant d’accorder au défunt Sa Sainte Miséricorde et de l’accueillir en Son Vaste Paradis. «A Allah nous appartenons et à Lui nous retournons», a ajouté le président de la République.  (APS)

Copyright 2025 . All Rights Reserved.