Abdelghani Rahmani. Poète : «Un poète doit faire valoir son droit à la parole et à l’écriture»

27/03/2024 mis à jour: 17:36
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Dans l’entretien accordé à El Watan, Abdelghani Rahami parle avec des mots bien sentis de sa poésie. A l’occasion de la Journée mondiale de la poésie (21 mars), l’auteur de Fleurs de sagesse (Média Index) écrit un joli texte dont voici un extrait : «Belle Poésie, Bel Amour ! Transforme toi en un seul jour. Erige ton acte en orateur, Fais inspirer ton prosateur.»


 

Propos recueillis par Nadir Iddir

 

 

-Vos recueils de poèmes ont connu un succès certain. Les sujets sociétaux y sont omniprésents. Dans vos interventions publiques, vous parlez de cet oncle qui vous a «tracé le chemin». Comment vous êtes venu à la poésie ?
 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à vous présenter tous mes vifs remerciements ainsi qu’à votre équipe pour cet entretien. Et j’en suis très honoré. 

A l’instar de mes concitoyens, je suis un modeste père de famille qui vit de sa pension de retraite. Je m’intéresse de très près à tout ce qui me lie à l’environnement au sein duquel je vis. 

Élevé dans un milieu familial conservateur, j’ai la chance d’avoir un oncle paternel épris par la poésie religieuse ; il était un féru de la musique andalouse et chaâbi. De surcroît, un ami à El Hadj El Anka. Sans prétention aucune, je pourrais dire qu’il m’a ouvert la voie. Lui aussi a écrit quelques poèmes mystiques qu’il déclamait lors des cérémonies religieuses. C’est dans cette ambiance que mon esprit a épousé la forme poétique.
 

-Quelle définition donnez-vous à la poésie ?

Pour répondre, j’ose emprunter la définition qui a été donnée par Fabrice Midal, sociologue français : «La poésie est la parole singulière qui ne supporte pas d’explication.»
 

La poésie a un lien irrévocable avec la réalité, d’autant plus qu’il s’agit d’exprimer ses sentiments, ses émotions, ses sensation. J’irai un peu loin en vous disant : «Sans la poésie, il n’y a pas de vie».

Je m’explique : dans notre société, chaque étape de la vie, qu’on le veuille ou non, est accompagnée de poésie. Nous chantons la naissance de l’enfant, nous célébrons sa circoncision, nous accueillons le printemps, nous cueillons les olives en chantant. En hiver, nos grands-parents nous récitaient des contes, des légendes quelquefois rimés. Lorsqu’il y a un deuil, les femmes psalmodient des medh (ou poèmes décrivant la séparation de l’être cher).

Indubitablement de ce rapprochement d’aller écouter tous ces poèmes, en y laissant son cœur, fait que la poésie cherchera, à son tour de nous parler et de nous écouter. Il arrive que l’être humain ne sache pas ce qui lui est essentiel, aussi la poésie devient elle, par la force des choses, la parole à l’écoute de tout le monde. Par conséquent, elle aime écouter le silence. Ce qui lui facilite de dévoiler les différentes facettes de la réalité et de devenir l’intermédiaire entre la nature et l’homme.
 

-Dans notre société de l’oralité, la poésie orale a eu de tout temps une place de choix. Comment l’expliquez-vous ?
 

A l’instar de toute société, nous retrouvons chez nous que la littérature inhérente à la production de l’art poétique est née à partir d’un aphorisme, et ce, en rapport à la situation de la société dont elle est issue. Malgré toutes les difficultés rencontrées (guerre ; acculturation ; colonisation, dislocation des familles...) la poésie a été véhiculée de génération en génération. Elle vit jusqu’à l’heure actuelle. Dans les pays d’Afrique du Nord, elle est essentiellement exprimée dans les trois langues utilisées dans cette région : arabe, berbère, français. Des poètes se sont exprimés en d’autres langues et font la fierté d’Algérie. Certes, il est vrai qu’aujourd’hui peu de gens, si ce n’est les poètes eux-mêmes, s’intéressent à ce mode d’écriture. En dépit de l’absence de lectorat bien intentionné à l’égard de cette forme d’expression, la poésie a fait un grand cheminement à travers les diverses époques.

Ainsi ayant comme fonction primaire la construction de vers, elle s’est vu transformer en prose ou encore en calligramme. C’est dire que la poésie ne connaît pas de léthargie. Elle suit les mouvements de développement de la société dans laquelle est imprégnée dans le temps et dans l’espace. 
 

On ne peut comprendre le sens exact de la poésie, si l’on occulte les traces indélébiles qu’elle laisse derrière soi. Pour bien illustrer cette définition, permettez-moi de vous rapporter une belle anecdote : on raconte qu’au temps du choléra et de la peste noire qui a infecté l’Europe, les gens chargés de prodiguer des soins à la population avaient fait afficher aux portes des églises, ce qu’il fallait savoir sur la conduite à tenir aux fins de combattre ces fléaux. 

Personne ne lisait ces circulaires d’information tristes. Un jour vint à un vieux libraire l’idée de les écrire en vers. Du coup, on les apprit, on les chante partout. Et le malheur fut moins rude. Sachez que pour ces gens, la poésie était le plus haut bien du monde. Elle pouvait effrayer la mort. 

Les grands poètes n’ont jamais prétexté que la poésie leur est un acquis propre. On se rend compte que chez eux la parole n’a jamais tari. De tout cela, nous remarquons que les mots, les paroles, les cris et les chants se suivent de façon interminable. Ensuite, ils se rencontrent, se croisent, se heurtent, se confondent. Tout cela forme de belles images censées nous mener à travers nos chimères à voyager dans le monde dans une merveilleuse ambiance. Ainsi naît spontanément une complicité entre les mots et l’homme. La poésie est une œuvre littéraire qui se caractérise par sa forme courte et singulière.

Lorsque aime quelque chose, on a tendance à avoir un penchant envers les prédécesseurs qui nous ont ouvert le chemin. Nous essaierons toujours d’être fidèles à leur mémoire. Et c’est grâce à eux que nous sommes arrivés là où nous sommes à l’heure actuelle. Dans ce contexte, la sociologue et anthropologue Tassadit Yacine avait écrit : «On eut dit aussi que l’état intellectuel et moral ainsi que le degré de civilisation d’un peuple sont toujours reflétés dans sa littérature.» Dans ma poésie, l’épilogue de tout poème donne une clairvoyance. Presque tous les poètes ont bercé ma jeunesse, c’est à partir de ces instants que je me suis mis moi aussi à écrire quelques poèmes. 
 

-Vos poèmes ne s’éloignent pas de la vie de tous les jours et de ses soucis. Quelles ont été vos influences ?

Dans mes écrits poétiques, j’exprime mes joies, mes émotions ressenties au cours d’un événement, d’une rencontre, d’un regard. Mes colères, mes doutes, mes regrets, mes remords et mes peurs ont été rimés. Et dans tout cela, il m’arrive de me mettre à la place de l’autre pour faire ressentir ce qu’il ne peut exprimer. D’autres thèmes, non moins importants, ont fait l’objet d’un écrit : la trahison, la maladie, le narcissisme - Je demeure optimiste à toute épreuve puisque dans la vie toute chose est éphémère. J’ai confiance en la bonté, la gentillesse et en l’humanité, comme l’exprime si bien notre grand écrivain Salah Stétié poète libanais, ambassadeur de l’Unesco : «Je ne crois plus à grand-chose mais je garde espoir en l’humanité par la poésie.» ou encore : «La poésie ne s’invente pas, c’est elle qui nous a inventés.» Rien n’est toujours sombre ou clair, chaque chose a son revers. Et dans tout malheur, il y a une lueur qui jaillit. Même si la personne est triste, il y a toujours une pointe d’espoir. Dans ma poésie, l’épilogue de tout poème donne une clairvoyance. Avec internet, je participe à des recueils collectifs. Cela nous donne l’occasion d’échanger sur notre passion, la poésie et les mots. 

Un poète doit faire valoir son droit à la parole et à l’écriture. Les réseaux sociaux sont une aubaine pour les poètes, cela leur permet d’échanger mais aussi et surtout de partager sa parole avec le monde entier. Son rôle prépondérant est de faire avec ses textes, montrer aux citoyens que la nature est belle, il faut la préserver et la protéger. Faire sourire un enfant est grandement important que de s’occuper à des futilités qui ne mènent à rien. 

Parallèlement, il doit faire prendre conscience aux autres en les prévenant sur les méfaits et autres fléaux qui guettent notre société. Généralement, l’enfance, la frange la plus exposée et la plus vulnérable, car nous vivons une époque où l’échelle des valeurs est renversée. Avec des mots simples qui composent la poésie, le poète doit faire revivre tant bien que mal nos repères désorientés. Le poète étant l’interprète de la société, il traduit ce que l’homme vit et ressent. 

La plupart de mes poèmes ont trait à la défense des valeurs morales, la famille, l’amitié, le respect, le pardon, les parents. Le dernier thème que j’ai évoqué est celui de la Beauté. Je lui ai consacré tout un recueil. Je tiens à vous dire que le poète n’est pas seulement un artisan de mots comme on aime le prétendre mais celui qui devance son temps et la société avec laquelle il partage sa vie. En somme, en tant que visionnaire, sa tâche primordiale est d’éclairer et guider les autres dans la voie du bien.

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