Au-delà de leur capacité supérieure de s’accrocher au parcours scolaire, en plus d’être disciplinées et plus résistantes aux longues études et aussi d’être des multi-tâches, les chercheurs donnent une explication sociologique sur le fait que les femmes sont de plus en plus diplômées. Ce sont autant d’éléments déclencheurs de nouvelles mutations familiales algériennes. Détails...
Les filles restent dans le parcours éducatif plus longtemps, poursuivent des études plus longues. Le nombre de femmes diplômées est plus important que celui des hommes. Elles figurent moins dans l’échec scolaire, particulièrement dans l’examen du baccalauréat.
A l’université, plus de 67% des bancs universitaires sont occupés par des filles. Elles sont plus présentes en post-graduation et les listes des résultats de concours de doctorat qui viennent d’être rendues publiques en sont une preuve.
Un constat qui n’est pas contredit par les chercheurs universitaires. Nabila Hamedi Siad, enseignante à la faculté de biologie à l’Université de Tizi Ouzou, se pose la question sur l’absence des garçons dans les promotions qu’elle enseigne. «Je me retrouve, témoigne-t-elle, avec un seul garçon ou aucun parfois dans les différentes promotions de la spécialité écologie et environnement.» Cependant, les femmes sont moins présentes sur le marché du travail. Elles ne représentaient en 2019 que 17%, un taux passé à 20,1/% en 2019.
Les récentes statistiques de l’Office national des statistiques (ONS) viennent confirmer cette tendance. On enregistre plus de filles que de garçons dans les trois paliers scolaires. Contrairement aux idées reçues, la tendance s’accentue dans les villes du Sud ! Tindouf et Ouargla viennent en pole position. Les données chiffrées de l’ONS pour l’année scolaire 2022-2023, au primaire, les deux sexes sont égalitaires même si dans certaines wilayas, comme Ilizi, Djelfa, Oum El Bougui, Sidi Bel- Abbès, il y a plus de filles que de garçons aux écoles primaires. Plus on avance dans le niveau, moins les garçons s’accrochent. Au total, le taux de féminisation des scolarisés est de 47,4%. Cette proportion varie selon le cycle. Au secondaire justement, les filles représentent 58% des scolarisés.
A Beni Abbès, le taux de 62%, suivie de Boumerdès, puis Tindouf. A El Meniaâ et Ouargla, la barre ne descend pas moins de 59%. Cette tendance de féminisation des scolarisés au même titre que le personnel encadrant (particulièrement les enseignants) est observée depuis des années. Les statistiques des années 2000 font état d’un début de féminisation.
Un ticket pour une autonomie
En dehors de la volonté de l’Etat d’élargir, de démocratiser l’école et de la rendre accessibles à tous (enseignement obligatoire et gratuit), une interprétation sociologique de ces chiffres révèle un autre état d’esprit.
Il ne s’agit certainement pas de capacités intellectuelles, mais simplement d’une volonté de se construire et de bâtir un statut et d’exister dans l’espace public, selon les chercheurs. Les avis de filles que nous avons rencontrées à l’Université Alger 3 se résument à «l’autonomie», «l’ouverture», «l’indépendance financière» et surtout une «réponse aux garçons qui, traditionnellement, se permettent beaucoup de choses».
Poursuivre ses études puis être au travail, si travail il y a, est le visa de la femme pour accéder à «l’espace public». C’est-à-dire, selon la sociologue Fatma Oussedik, que face à cette offre scolaire, les réactions varient historiquement. Au lendemain de l’indépendance, être diplômé garantissait systématiquement un emploi. Or, aujourd’hui, les plus grands nombres des chômeurs sont les diplômés. Raison pour laquelle plusieurs jeunes universitaires abandonnent tôt leurs études pour se consacrer au commerce et au business (informel généralement), selon des explications de certains chercheurs en éducation que nous avons rencontrés à l’Institut nationale de recherche en éducation (INRE). L’Institut ayant quatre sections de recherche (l’école et son environnement, la didactique et la gouvernance en éducation) n’a pas effectué une recherche dans ce sens, mais les chercheurs évoquent des résultats de l’échec scolaire, plus élevé chez les garçons.
Ces derniers se sentent aussitôt responsables donc obligés de travailler et de gagner de l’argent.
Autrement dit, des facteurs cultuels, sociologiques et psychologiques infligeant une responsabilité financière aux hommes, selon les chercheurs. Convaincu que le diplôme universitaire n’offre pas spécialement de l’emploi, les jeunes, même bacheliers, s’orientent vers la formation militaire, témoigne l’un des chercheurs. Si la scolarité n’offre donc pas d’emploi, qu’offre-t-elle ? «Un statut», répond Fatima Oussedik. Un nouveau «statut» de la femme au sein de la famille, de la société même sans emploi. «On sait qu’on sait !» Le pire des scénarios, il s’agit d’une «diplômée chômeuse» et pas une femme au foyer. Puis, toujours selon Fatima Oussedik, vient «la ville et l’urbanisation».
Grâce aux études, les filles accèdent à une nouvelle donnée sociologique : la rue. Lorsque la fille est dans le village ou le quartier, le contrôle social est grand, mais si elle a accès à une «rue» (ville), elle sera dans l’anonymat et acquiert une plus grande marge de liberté. Autrement dit, si elle échoue à l’école, elle retombe dans le schéma traditionnel limitant ainsi son indépendance, soit se marier, avoir des enfants et rester femme au foyer. Tous les membres de sa famille s’ingèrent, à ce moment-là, dans sa vie ! Trois éléments soulevés par Samir Rebiaï, chercheur en anthropologie au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc).
Premièrement, les nouvelles mutations familiales observées font que les jeunes couples donnent de l’importance à la scolarisation de leurs enfants, particulièrement les mères.
Deuxièmement, les représentations sociales données à la réussite elle-même. C’est-à-dire «réussir les études est garantir un avenir, s’émanciper», toujours selon le même chercheur. Et enfin, le milieu rural Dz est caractérisé par une précarité. Pour surmonter cette précarité, les filles se lancent des défis contrairement aux garçons qui se trouvent dans la «débrouillardise». «Cette réussite est très révélatrice dans les wilayas classées très pauvres avec un niveau d’analphabétisme remarquable, explique encore l’anthropologue.

Espace acquis
Lorsque les filles accèdent aux universités, elles se déplacent, changent même de wilayas et quittent le domicile familial. Fatima Oussedik parle «d’espace acquis», plus large que la houma, grâce à ces études universitaires. Les filles, explique-t-elle, sont aujourd’hui très conscientes de «l’autonomie relative» que leur procurent les études.
Ce statut se valorise encore plus lorsque ces diplômées décrochent un emploi. Même si l’Algérienne a toujours eu de l’argent (des commerces et des terre, mais pas un salaire), avoir un salaire est synonyme de valorisation des compétences de la femme en tant qu’individu.
Les enquêtes menées au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) montrent que lorsqu’une femme devient salariée, elle investit plus que ses frères dans la vie de famille. Elle s’occupera plus des détails familiaux.
Peu à peu avec cet argent, elle atteint d’autres objectifs. C’est-à-dire, voyager à l’étranger, étudier et même travailler. Ces salariées demeurent toutefois peu nombreuses, car les statistiques montrent qu’elles représentent 19% des travailleurs.
Un paradoxe ? C’est là qu’on met le doigt sur la question de l’emploi en Algérie, insiste Fatma Oussedik. Les plus grands chômeurs sont les filles et les jeunes garçons diplômés. L’université offre les instruments pour se construire et construire une carrière.
Le savoir est dévalorisé aujourd’hui face au business. Mme Oussedik donne les exemples de ses étudiants qui préfèrent saisir les opportunités commerciales au détriment des examens universitaires ! D’autres, dans certaines disciplines, particulièrement en sciences humaines, leurs inscriptions universitaires est seulement une couverture. Ils veulent esquiver le Service national.
Et en attendant, ils sont à la recherche de la moindre opportunité commerciale pour «construire une carrière», surtout qu’ils sont convaincus que les sciences humaines, par exemple, sont des fabriques à chômeurs.
En sciences humaines justement, on trouve plus de filles que de garçons, même si leur bac leur permet d’autres spécialités technologiques ou matheuses. Une énigme que Fatma Oussedik ne trouve pas d’explication pédagogique. Un avis rejoint par Nabila Hamedi Siad qui témoigne d’une forte présence des garçons en informatique ou en génie mécanique ou d’autres spécialités technologiques.
Une disproportion qui mériterait une étude. Les chercheurs de l’INRE expliquent toutefois que des études ont montré que les filles sont plus capables de maîtriser plusieurs langues et surtout ont des capacités d’apprentissage et de parcœurisme. Les garçons, expliquent les chercheurs de l’INRE, sont plus faibles en langues comparativement à leur camarades filles, et aussi les problèmes disciplinaires sont plus mentionnés chez eux.
Ce différentiel observé entre les filles et les garçons a aussi des effets sur le mariage. Il y a de plus en plus de diplômées qui épousent des jeunes non bacheliers ou peu instruits, alors qu’une autre catégorie préfère le célibat. «Plus le niveau d’instruction augmente, plus le taux de célibat augmente chez les femmes», observe Fatima Oussedik.
Les diplômées se marient peu. Un fait nouveau : de plus en plus de célibat définitif chez les femmes. Un choix. Contrairement aux années 1980, où le mariage était le destin de toutes les filles, aujourd’hui, la fille qui devient le bras droit de ses parents est moins encouragée au mariage. Avec les nouvelles formules de logement, les femmes y accèdent facilement et vivent seules. Plus d’autonomie, plus d’indépendance, meilleur statut. Le choix est vite fait pour ne pas choisir le mariage. Si mariage il y a, ces femmes dépensent plus.
Dans les statistiques de budget familial, les femmes dépensent dans la scolarité des enfants, les soins, les achats, l’ameublement…, alors que les conjoints investissent dans le logement et le véhicule, et en cas de divorce, elles ont tout à perdre ! Dans son étude «Mutations familiales en milieu urbain en Algérie» où elle a géré une équipe multidisciplinaire, Fatima Oussedik affirme que les figures familiales ont en effet changé. On observe aussi qu’il y a «des femmes analphabètes qui militent dans des associations, d’autres qui sortent pour apprendre la couture ou la peinture sur soie, font les courses ou emmènent les enfants chez le médecin.
Et même dans les familles, relativement conservatrices, composées de plusieurs noyaux familiaux organisés autour d’un même feu, elles vont à la mosquée, reçoivent des amies et sont 25% à sortir avec ces amies… Toutes ont changé. Des mutations importantes ont été observées dans les rôles et statuts des femmes au foyer. L’économie domestique est fortement marquée par le rapport des femmes au marché. Ainsi, l’analyse de ce point a montré le poids des femmes dans la gestion des budgets familiaux».
Ce sont ces changements que la sociologue Oussedik considère comme des «signaux faibles» dans la mutation de société. Tout est en train de changer ! Une mutation importante, des éléments qui apparaissent comme par exemple des parents qui lèguent la maison aux filles.
Des diplômées qui ont réussi à changer une donne historique et sociologique : Une transmission qui se féminise. Le métier de l’enseignement se féminise aussi. Il y a plus d’enseignantes. A Tipasa, elles représentent 85% de l’encadrement, même état de figure à Boumerdès, El Tarf et El Meniaâ.
Enquête réalisée Par Nassima Oulebsir