62e anniversaire du massacre du 17 Octobre 1961 : Un autre crime que la France reconnaît à demi-mot

17/10/2023 mis à jour: 05:22
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Photo : D. R.

Des policiers déchaînés n’ont pas hésité à matraquer, à tuer par balles et à noyer dans la Seine des manifestants dont le seul tort était d’avoir dénoncé la discrimination et d'appeler à l’indépendance de leur pays. Les réclamations de l’Algérie portant sur la reconnaissance de ces massacres restent aussi sans suite du côté français.

Les années passent mais les traces du crime restent indélébiles. Le massacre des Algériens à Paris, le 17 Octobre 1961, soit quelques mois avant l’indépendance de l’Algérie, est un parfait témoin du passé abominable de la France. Soixante-deux ans après les événements sanglants dont ont été victimes des milliers de manifestants algériens à Paris, la France ne reconnaît qu’à demi-mot la sauvagerie de ses policiers, sous les ordres de Maurice Papon.

Mais sans demander pardon. En effet, il a fallu attendre octobre 2022 pour voir un président français, en l’occurrence Emmanuel Macron, parler de «crimes inexcusables pour la République (française, ndlr)». «A Paris, il y a 61 ans, la répression d’une manifestation d’indépendantistes algériens faisait des centaines de blessés et des centaines de morts.

Des crimes inexcusables pour la République. La France n’oublie pas les victimes. La vérité est le seul chemin pour un avenir partagé», avait-il écrit dans un tweet, à l’occasion de la commémoration du 61e anniversaire des massacres. Selon lui, «la France regarde toute son histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies». «Les crimes commis dans la nuit du 17 Octobre 1961, sous l’autorité de Maurice Papon, sont inexcusables pour la République. Aux victimes, nous rendons aujourd’hui hommage.»

Que s’est-il passé ce jour-là ? A l’appel du Front de libération nationale (FLN), des milliers d’Algériens, parfois accompagnés de leurs enfants, sont sortis manifester pacifiquement dans la capitale française pour dénoncer le couvre-feu inique et discriminatoire décrété à leur encontre. Ils ont été accueillis par des policiers déchaînés qui n’ont pas hésité à matraquer, à tuer par balles et à noyer dans la Seine des manifestants, dont le seul tort était d’avoir dénoncé la discrimination et d’appeler à l’indépendance de leur pays.

Les archives commencent à parler

Malgré l’ampleur du massacre, la France officielle a continué, des années durant après l’indépendance de l’Algérie, à minimiser le nombre des victimes et nier les faits. Mais les archives commencent à parler. Les premiers documents déclassifiés révèlent une réalité. Celle-ci confirme que le général de Gaulle, président à l’époque des faits, et les hautes autorités françaises étaient au courant des massacres et de l’ampleur du crime.

Mais ils n’ont rien fait. Selon les révélations du journal français Mediapart, en juillet 2022, Charles de Gaulle et l’Elysée «ont tout su – et très vite – de ce crime d’Etat». Selon la même source, le président français avait même demandé par écrit que les «coupables» soient poursuivis. Cependant le massacre restera à jamais impuni, judiciairement et politiquement.

«De Gaulle savait et il savait tout. Depuis plus de 60 ans, un épais mystère entourait l’histoire du massacre du 17 Octobre 1961, un crime d’Etat qui ne cesse aujourd’hui encore de hanter la mémoire franco-algérienne. Les faits sont connus : une manifestation d’Algériens, qui protestaient pacifiquement dans Paris contre le couvre-feu raciste qui leur avait été imposé par les autorités, a été réprimée par la police dans une brutalité inouïe, faisant des dizaines de morts – certaines victimes de la répression ont été jetées dans la Seine», souligne le journal.

Les archives révèlent aussi l’existence d’une «annotation manuscrite de Charles de Gaulle sur un document de l’Elysée qui prouve qu’il avait demandé que les coupables soient châtiés, réclamant aussi que son propre ministre de l’Intérieur, Roger Frey, intervienne face à l’extrême danger des dérives des forces de l’ordre». Ses ordres sont restés sans suite, précise le journal.

«Aucun policier ne sera jamais condamné ; Maurice Papon, le préfet de police qui a supervisé et couvert le massacre, restera en place, tout comme le ministre Roger Frey ; et ce crime restera à jamais impuni, s’effaçant peu à peu de la mémoire collective, n’était l’acharnement de quelques historiens, archivistes, militants et journalistes à continuer à chercher la vérité», indique la même source.

Le même journal avait cité aussi deux documents en particulier qui permettent d’éclairer cette zone d’ombre de l’histoire. Dans sa note datée du 28 octobre 1961, rédigée par le conseiller du général de Gaulle pour les Affaires algériennes, Bernard Tricot, «il indique au président de la République qu’il y aurait 54 morts». «Les uns auraient été noyés, les autres étranglés, d’autres encore abattus par balles. Les instructions judiciaires ont été ouvertes. Il est malheureusement probable que ces enquêtes pourront aboutir à mettre en cause certains fonctionnaires de la police», explique le haut fonctionnaire.

On en saura peut-être beaucoup plus sur ces massacres avec l’accès à de nouveaux documents archivés. Soixante-deux ans après, le crime reste impuni. Les victimes n’ont droit qu’à des évocations lors de cérémonies organisées à Paris le 17 octobre de chaque année. Les réclamations de l’Algérie portant sur la reconnaissance de ces massacres restent aussi sans suite du côté français…


 


 

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