Une autre tache noire dans l’histoire du colonialisme français en Algérie. Le 6 novembre 1959, l’armée coloniale avait commis un crime «atroce et impardonnable» resté gravé à ce jour dans la mémoire de nombreux habitants des Issers, à 25 km de Boumerdès.
Encerclés dans une grotte, vingt-et-un combattants de l’ALN ont été «gazéifiés», avant d’être bombardés au napalm au lieudit Baghla, près du village Ighomrassen. Une fois le massacre accompli, les soldats français ont couvert la grotte de béton armé, rendant difficile toute tentative d’exhumation de leurs victimes. Mais ce triste événement ne sera pas oublié, a déclaré hier Rabah Drif, représentant local de l’ONM.
65 ans après les faits, des dizaines de personnes, entre citoyens et responsables civils et militaires, sont retournés hier sur les lieux afin de rendre hommage aux valeureux martyrs ayant «choisi de mourir dans la grotte que de trahir leurs frères de combat». Organisée par les autorités locales, cette cérémonie de recueillement a été rehaussée par la présence du secrétaire général de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Hamza Laoufi, du wali de Boumerdès, Fouzia Naâma, et de nombreux responsables de la wilaya.
Les témoignages recueillis sur-place évoquent «un massacre d’une violence inouïe». «Il y avait deux rescapés. Un certain Boukherchoufa Mohamed de la région de Lakhdaria et mon père Saïd Meftah. Ils étaient postés à l’entrée de la grotte et sont sortis sous l’effet du gaz toxique soufflé à l’intérieur par les soldats français. Mon père a failli mourir sur le coup. Il a été hospitalisé pendant quelques jours avant d’être emprisonné jusqu’à l’indépendance», relate son fils Mohamed. Saïd Djaâtit, fils de moudjahid, fournit d’autres détails. «La grotte est la plus importante de toute la région. Les moudjahidine ont été vendus par un harki de la région.
Ce dernier s’était introduit dans la grotte pour les inciter à se rendre, mais il a été tué sur le coup. L’armée française a fait venir par la suite un détenu du FLN du centre de Cortèze, un certain Ahmed Khoudi. En nationaliste convaincu, il est resté dans la grotte, préférant mourir parmi ses frères que de servir l’ennemi», a-t-il raconté, soulignant que leur village était un fief de l’ALN et une zone de transit entre les wilayas III et Vl. «Notre village a enfanté 97 martyrs. Même Krim Belkacem, Amar Ouamrane, Ali Mellah et Bougara ont séjourné chez nous», dit-il avec fierté.
Quand la France coloniale utilisait des gaz toxiques…
Mohamed (90 ans), frère du martyr Hocine Boursouti, se souvient comme si c’était hier. «J’avais 26 ans à l’époque. On savait que mon frère était à l’intérieur. La grotte est très grande et il est très difficile d’y accéder. Après le refus des moudjahidine de se rendre, les officiers de l’armée coloniale ont donné l’ordre de les gazéifier avant de fermer la grotte à l’aide de plaques en tôle pour ne pas laisser la fumée de gaz sortir et rendre l’air irrespirable dans la casemate. C’est ainsi qu’ils les ont tués sans aucun état d’âme», rapporte-t-il. En avril 2022, Claire Billet conclut après moult investigations que l’usage des gaz toxiques fait partie des secrets encore bien gardés de la guerre d’Algérie.
Dans une enquête publiée dans la revue trimestrielle XXI, la journaliste a rapporté des témoignages inédits d’anciens militaires français et leur rôle dans les «sections des grottes» mobilisées contre les abris souterrains de la glorieuse ALN. Parmi les «armes spéciales» utilisées par l’armée coloniale, figurent des grenades, chandelles et roquettes chargées de gaz de combat, notamment le CN2D, contenant de la DM (diphénylamine chlorarsine), a-t-elle indiqué.
«Produit chimique toxique, cette dernière provoque l’irritation des yeux, des poumons et des muqueuses, ainsi que des maux de tête, des nausées et des vomissements. Ces gaz sont des incapacitants non létaux dont la finalité était de déloger les combattants algériens de leurs caches, mais ils peuvent devenir mortels en milieu clos», explique-t-on.
Le journal Le Monde rapporte dans son édition du 13 avril 2022 que ces gaz toxiques ont été utilisés à grande échelle dans la guerre de Libération, soulignant que ces méthodes rappellent les enfumades de 1844-1845 qui ont fait des milliers de victimes. Le journal rappelle que les «sections des grottes» ont été créées par le général de Gaulle dès 1959, mais la détermination des combattants de l’ALN et la justesse de la cause d’indépendance ont fini par triompher.