1er anniversaire de la réouverture de la cinémathèque Ennasr à Constantine : Pour l’amour du 7e art

15/10/2023 mis à jour: 06:18
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Les passionnés du 7e art étaient bien chez eux à la cinémathèque Ennasr, par cette journée ensoleillée du mercredi. Ils n’en pouvaient pas l’être autrement. 

Dans ce coin paisible de la rue du 19 Juin 1965, loin du brouhaha de cette artère commerçante du centre-ville de Constantine, une belle ambiance régnait à l’intérieur. On reconnaît déjà des visages devenus familiers. Des artistes, des cinéastes, des universitaires, des journalistes, des écrivains, des enseignants, mais aussi des cinéphiles de tous bords. Ils sont venus nombreux, en famille même, pour fêter un événement tant attendu. Le premier anniversaire de la réouverture de ce haut lieu du 7e art ne devait pas passer sans être dignement célébré. 

Il y avait aussi un sentiment de fierté d’avoir «reconquis» cet espace tant convoité. C’était légitime, surtout que ce lieu emblématique avait une grande valeur historique. Il avait réuni des générations de cinéphiles durant la belle époque des panoramas du cinéma dans les années 1980, des fameux ciné clubs universitaires, des cycles du cinéma mondial, et même durant la décennie noire. 

C’était un vrai bastion de la résistance culturelle. Rencontré dans le hall de la cinémathèque, où il est venu assister à cet événement, le journaliste, écrivain et critique de cinéma, Abdelkrim Tazaroute, se souvient encore de la belle époque où la ville de Constantine était la destination de cinéastes de tous bords. Il est revenu plusieurs années en arrière. «C’était la belle époque des panoramas du cinéma organisés dans cette ville ; je me rappelle bien de cette salle qu’on rejoignait par voiture en empruntant la route qui traverse les tunnels (boulevard de la Yougoslavie), mais aussi de celle de l’hôtel Cirta», se remémore-t-il, regrettant la fermeture de la cinémathèque Cirta ravagée par un incendie en 1995. 

L’événement était quasiment impensable, il y a quelques années, quand la cinémathèque était fermée, au grand désespoir des cinéphiles constantinois. Après des années d’interminables travaux de réhabilitation, puis une remise en service différée à cause de réserves sur le non-respect des normes de sécurité, et enfin des problèmes techniques avant une tentative d’accaparer les lieux, dont la bataille menée par les braves amoureux du cinéma dans la ville finira par avorter. Il y a une année, la cinémathèque avait renoué avec les rendez-vous du cinéma. Elle est devenue un des rares espaces, s’il n’est pas l’unique dans toute la wilaya, dédié à l’expression culturelle libre et de grande diversité.
 

 

 

Réconciliation avec le public

Widad Lalmi, la responsable de la cinémathèque Ennasr, est la plus heureuse de tous. Durant toute une année, elle a su relever le défi en maintenant le rythme pour assurer une activité régulière et fidéliser les cinéphiles, en dépit de toutes les difficultés. Un véritable travail de fourmi accompli avec grande classe. «La mission principale de la cinémathèque Ennasr qui dépend du Centre algérien de la cinématographie (CAC) est la sauvegarde du patrimoine cinématographique et des films historiques. En une année, nous avons réussi à animer plusieurs activités, dont le Panorama du film révolutionnaire, des ateliers de formation dans le domaine du cinéma, la 3e édition de Cinécirta, mais aussi la projection de films produits par le CAC.

 Nous espérons avoir été à la hauteur des attentes du public constantinois pour l’avoir réconcilié avec le cinéma après 20 ans de fermeture de la cinémathèque», a-t-elle déclaré. «Nous avons également lancé le cinéclub de samedi, célébré le 60e anniversaire de l’indépendance, projeté des films sur la Révolution, comme nous avons découvert de nombreux jeunes talents qui ont trouvé un espace à la cinémathèque pour faire connaître leurs œuvres», a-t-elle ajouté. 

«Nous insistons toujours sur l’importance du film algérien qui exprime notre réalité, nos espoirs et notre quotidien ; notre objectif cette année sera de poursuivre les projections-débats et l’ouverture de master class sur le cinéma, comme nous comptons organiser des journées sur le cinéma italien au mois de décembre», a-t-elle conclu. 

Dans toute cette effervescence culturelle «très utile» et surtout «bénéfique» pour les esprits, il faut reconnaître surtout qu’un énorme travail a été accompli et continue de l’être en partenariat avec la direction de la cinémathèque, par l’inévitable, l’infatigable et «l’inusable» Lounis Yaou, président de l’association Numidi-Arts. 

Un militant du cinéma, présent au four et au moulin de la cinémathèque, auquel il a toujours apporté l’eau nécessaire. Une présence très remarquée, surtout quand il porte avec brio l’une de ses nombreuses casquettes, celle de l’animateur. «Votre présence ici rassure sur l’avenir de cette salle, surtout que beaucoup d’entre vous connaît son histoire», a-t-il lancé en direction de l’assistance. «Nous profitons de cette occasion pour exprimer toute notre gratitude à Adel Mekhalfia, directeur du Centre algérien de la cinématographie qui a beaucoup apporté pour l’ouverture de cette salle ; nous lui sommes très reconnaissants au nom des habitants de la ville», a-t-il affirmé.  

Des hommages et de la belle parole 

Dans un tel événement, marqué par la présence d’un représentant du directeur du CAC et de Mme Mounira Saada Khelkhel, au nom du directeur de la culture, les hommages sont toujours nécessaires. Une manière aussi d’exprimer la gratitude envers ceux qui ont porté le cinéma dans leurs cœurs et servi leur ville, Constantine, dans leurs œuvres. On citera Mohamed Hazourli, un metteur en scène, qui n’est plus à présenter, ayant beaucoup donné au 7e art en Algérie, à travers son chef d’œuvre Hizia, mais aussi d’autres travaux, dont la célèbre et populaire série Aassab oua aoutar. Mais il y a également d’autres cinéastes qui ont dignement représenté la ville du Vieux rocher, à l’instar de Ali Aïssaoui, Hocine Nacef, Aziz Choulah, Mehdi Abdelhak et Salim Benaliouche. Toutefois, il ne peut pas y avoir de célébration digne d’un tel événement, sans la belle parole qui accompagne la belle image. 

C’est la belle note de cette rencontre, quand les organisateurs ont décidé d’inviter Abdesslem Yakhlef, enseignant à la faculté des arts et de la culture de l’université Salah Boubnider, passionné par la photographie, plus connu par la qualité et la portée poétique de ses interventions, improvisées ou préparées, en langue arabe, dans un style élégant qu’il est le seul à détenir les clés et les secrets. 

A travers un diaporama d’images, prises par lui-même à une époque révolue, pour immortaliser la ville, ses ponts, ses jardins, la vieille médina, ses ruelles, ses places, ses sabats, ses maisons, ses portes et ses vieux objets, il a emmené le public dans un voyage à travers le temps, racontant la magie du cinéma, ses légendes et son monde fantastique, rappelant la belle histoire des salles de l’antique Cirta, devenant un lointain souvenir. 

La seule consolation dans tout ce beau conte est cette salle qui s’appelait Le Triomphe, puis Vox, puis Ennasr. Un espace d’expression libre qui a été témoin d’une belle histoire de résistance à toutes les épreuves pour devenir «Le Hide Park Corner», pour de nombreux Constantinois. 

Abdesslem Yakhlef ne s’est pas trompé en empruntant ce vers à Malek Haddad : «Poésie, tout est poésie dans le cinéma et tant pis pour les analphabètes.» Il terminera sur une note d’espoir : «Cette première bougie sera suivie par un bouquet de bougies qui deviendra un phare pour les amoureux du cinéma.» 

Une belle note d’optimisme marquera l’extinction de cette première bougie par la projection d’un court métrage du talentueux jeune réalisateur et enfant de Constantine, Amir Bensaïfi. Etteftafa ouel meqnine (La mobylette et le chardonneret), primé au Festival international cinématographique d’Imedghassen du court métrage, a été vivement salué aussi bien par les cinéastes et les critiques, que par le public présent. 

Une bonne manière d’espérer, surtout que les jeunes passionnés de cinéma ont montré toute la portée de leurs talents et leurs aptitudes à assurer la relève. Il ne restera qu’à les encadrer et leur montrer la voie.      
 

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