Zoubida Assoul : «La politique du statu quo est intenable»

06/02/2022 mis à jour: 18:18
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Zoubida Assoul. Présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP) / Photo : B. Souhil

Dans cet entretien accordé à El Watan, Zoubida Assoul, avocate et présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), espère que «la politique jusqu’au-boutiste de répression cesse le plus rapidement possible afin que les partis politiques retrouvent la sérénité nécessaire pour proposer des solutions, ce qui est leur rôle premier dans la société». Pour elle, «seule une bonne gouvernance, un Etat de droit qui garantisse l’égalité des citoyens devant la loi et la transparence de gestion pourraient permettre au pays de se relever».

- Le ministère de l’Intérieur a introduit deux actions contre votre parti. L’une, en référé, demandant le gel provisoire de ses activités et la deuxième concerne la dissolution définitive de l’UCP. Le Conseil d’Etat vient de débouter le ministère de l’Intérieur dans son action en référé contre votre parti. Etes-vous rassurée ?

Tout d’abord, j’aimerais rappeler que l’affaire portant dissolution de l’UCP est toujours en cours. La décision du Conseil d’Etat du 20 janvier 2022 qui a débouté le ministère de l’Intérieur dans sa demande de suspendre temporairement les activités du parti est positive; cependant il ne faut pas que ça soit l’arbre qui cache la forêt.

La lenteur de la prise de décision du Conseil d’Etat nous renseigne sur le caractère politique de ces affaires, puisque la loi sur les partis politiques limite le délai de trancher ces affaires à deux mois. Au mois de mars 2021, nous avons reçu une mise en demeure par le ministère de l’Intérieur par huissier de justice nous enjoignant d’organiser sous quinzaine le congrès.

Rappelons qu’en mars 2021, nous étions en plein vague pandémique et de confinement. Les militants de l’UCP que nous sommes étions tous mobilisés à travers les réseaux associatifs pour la fabrication et distribution de masques, la distribution de concentrateurs, dons de médicaments aux hôpitaux, etc. La contribution à la gestion de la crise à notre humble niveau était notre priorité à cette période.

Le premier réflexe que nous avons eu au niveau du bureau exécutif était de répondre au ministère de l’Intérieur pour différer l’organisation du congrès vu les conditions sanitaires qui prévalaient. Nous avons convoqué le conseil national en session extraordinaire pour annoncer l’injonction du ministère de l’Intérieur de tenir le congrès sous quinzaine et examiner la décision de notre parti à ce sujet.

A la surprise du bureau exécutif de l’UCP, les membres du conseil ont voté à la majorité de relever le défi et de tenir le congrès dans les temps impartis par le ministère de l’Intérieur malgré les conditions sanitaires que nous connaissions. Tous étaient en effet engagés dans les actions associatives pour contrer la pandémie et avaient une parfaite maîtrise des nouvelles technologies de communication.

Donc, un congrès hybride entre présentiel et distanciel était possible. Je ne pouvais qu’être d’accord devant tant d’enthousiasme des militants. A cette période, les transports interwilayas étaient suspendus de même pour le transport aérien national et international. Aussi, les réunions dans les espaces publics et privés étaient strictement interdites.

- Vous avez fini par tenir votre congrès dans les normes…

Oui. Après les refus répétitifs de réservation de salle dans les hôtels, la seule solution était d’organiser le congrès au siège du parti, tout en veillant au respect des mesures sanitaires. Le congrès s’est tenu avec succès le 10 avril 2021 en présence d’un huissier de justice, avec renouvellement du bureau exécutif du parti, toutes ces données ont été rendues publiques lors d’une conférence de presse tenue le 11 avril au siège du parti.

Par ailleurs, nous avons déposé par huissier de justice tous les documents relatifs au congrès comme l’exige la loi. A l’accueil du ministère de l’Intérieur, nous n’avons jamais obtenu l’accusé de réception, comme le stipule la loi. Les mêmes documents ont été envoyés par courrier recommandé suite au refus de réception par huissier de justice ; à notre surprise le ministère de l’Intérieur introduisit les deux affaires que vous connaissez devant le conseil d’Etat.

- Mais comment expliquez-vous que pour les mêmes griefs, le Conseil d’Etat ait ordonné la suspension des activités d’un autre parti qui est le PST et la fermeture de ses locaux ?

L’UCP déplore cette suspension et espère qu’elle ne dure pas dans le temps dans l’attente des motifs de cette suspension dans l’arrêt du Conseil d’Etat. J’ai appelé le premier responsable du PST, Rachedi Mahmoud, le jour-même pour lui témoigner notre solidarité.

- En plus de l’UCP et du PST, le RCD subit à son tour des pressions et son président a été placé, il y a quelques jours, sous contrôle judiciaire, alors que le président du MDS a été condamné à une lourde peine. Comment analysez-vous cette situation ?

Est-ce qu’on peut analyser l’arbitraire ? L’Etat de droit se base sur le respect de la hiérarchie des lois, par conséquent, la Constitution se trouve en haut de la pyramide. Ma question est simple : est-ce que ce harcèlement administratif et judiciaire contre les partis politiques et leurs dirigeants est acceptable dans un Etat qui se prétend démocratique ?

Personnellement, je trouve affligeant de voir des responsables politiques, des activistes ou des journalistes en prison pour avoir exercé leurs libertés consacrées pourtant par la Loi fondamentale. Nous espérons sincèrement que cette politique jusqu’au-boutiste de répression cesse le plus rapidement possible afin que les partis politiques retrouvent la sérénité nécessaire pour proposer des solutions, ce qui est leur rôle premier dans la société.

Les militants de l’UCP et moi-même en tant que présidente avons toujours été solidaires avec tous les partis politiques et société civile qui subissent l’arbitraire et sommes bien placés pour comprendre le sentiment d’injustice que vit le RCD et son président.

- Beaucoup de partis et acteurs politiques parlent d’une remise en cause du multipartisme. Le pouvoir craint-il l’opposition ?

La nouvelle Constitution contient des dispositions telles que l’article 52 qui garantit la liberté d’expression, de réunion et de manifestation pacifique et de création d’association sur simple déclaration. Est-ce que cela est appliqué ? L’article 35 de la Constitution qui fait obligation à l’Etat de garantir les libertés fondamentales, est-ce le cas avec le nombre de détenus d’opinion et politique qui ne cesse d’augmenter.

Je pense que le pouvoir ne peut s’accommoder de la démocratie et le débat contradictoire par peur de perdre pied ; alors que cette politique du statu quo est intenable et bloque le pays au lieu d’avancer en mobilisant toutes les énergies et ressources du pays. A l’UCP, nous sommes dans une opposition constructive avec des propositions de sortie de crise.

Nous avons de tout temps fait des propositions et suggéré des feuilles de route dans le cadre de la Constitution élaborée par le système lui-même. Je pense que ce sont plutôt nos propositions qui dérangent.

- Plusieurs activistes et militants politiques se trouvent en prison. Comment ces détenus et leurs familles vivent cette situation ?

En tant qu’avocate, j’ai défendu plusieurs détenus politiques et d’opinion avant même le hirak. Je continue à le faire et à ce titre je peux vous dire que des vies et des familles ont été brisées avec des procédures où l’instrumentalisation de la justice et des services de sécurité est flagrante.

Qui peut croire que des politiques ou journalistes ou activistes constituent une menace en exerçant leurs droits fondamentaux et libertés publiques ? En tant que défenseur de ces libertés, je continuerai à le faire pour soutenir la cause de ces militants arbitrairement détenus jusqu’à leur libération.

Ce jeudi, le détenu d’opinion, Ali Ghediri a été condamné à 4 ans de prison ferme par le tribunal criminel d’appel de la cour d’Alger alors que son dossier est vide et le corps de son crime est une interview accordée à votre journal en décembre 2018 à propos de la crise politique que vit le pays.

- Les avocats viennent de geler momentanément leur action de protestation entamée il y a quelques jours. Ces nouvelles dispositions fiscales sont considérées par certains de vos pairs comme une sanction. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons alerté à travers nos communiqués à l’occasion de la promulgation de la loi des finances 2022 sur le déséquilibre des nouvelles dispositions fiscales qui font porter le poids fiscal sur les professions libérales.

Comment voulez-vous que les jeunes avocats puissent s’en sortir et parvenir à vivre dignement en commençant leurs carrières avec cette charge fiscale ? Je pense que la corporation paie aussi son engagement aux côtés de millions de citoyens et citoyennes du hirak et leur lutte pour un Etat de droit et l’indépendance de la justice partagée d’ailleurs par un nombre important de magistrats.

- Sur le plan sanitaire, plusieurs partis ont critiqué la gestion de cette pandémie, notamment la pénurie de certains médicaments. Adhérez-vous à ce constat ?

Premièrement, y a-t-il eu gestion ? Et si oui, à partir de quel moment ? Les médecins et le corps hospitalier se sont retrouvés démunis devant l’absence de consommables comme les masques, les blouses, etc.

En plus, le manque d’organisation a obligé le personnel hospitalier à occuper les hôpitaux pour y dormir afin de ne pas contaminer leurs proches. Peut-on parler de gestion dans ces conditions ?

Nous pouvons cependant saluer nos médecins et soignants et les différents personnels pour leur dévouement et sacrifices durant cette pandémie. Le peuple a été le témoin direct de l’effondrement de notre système de santé cet été, quand nous n’étions plus capables d’assurer l’approvisionnement de nos hôpitaux en oxygène.

La chasse aux anticoagulants a obligé les patients à se faire injecter des dosages approximatifs. Cette crise a été particulièrement meurtrière et elle risque de laisser des traces indélébiles au sein de la population qui s’est retrouvée livrée à elle-même, fort heureusement, la solidarité citoyenne était au rendez-vous.

Aujourd’hui, pour faire face à une pandémie comme celle-ci, on doit absolument numériser notre système de santé et mutualiser les moyens de santé publique et privé et les connecter de manière à centraliser tous les chiffres. Depuis maintenant deux ans, la plateforme numérique de la Covid 19 n’est toujours pas opérationnelle. Le gouvernement ne s’est pas investi dans une stratégie de campagne de vaccination digne de ce nom et à la hauteur de la gravité de cette crise sanitaire.

- Les Algériens vivent également au rythme des pénuries de certains produits de large consommation. A qui incombe, d’après vous, la responsabilité ?

Je pense que les pénuries sont dues à l’absence de vision et projection économique, mais aussi à l’incapacité du gouvernement à trouver des solutions aux désordres du marché interne, à l’absence de transparence, la corruption...

La crise économique a été aggravée par les conséquences de la pandémie en l’absence de mesures de soutien concrètes aux entreprises pour les à sauver l’outil de production et le maintien des emplois.

En outre, le citoyen a besoin qu’on augmente son pouvoir d’achat. Et seule une bonne gouvernance, un Etat de droit qui garantit l’égalité des citoyens devant la loi et la transparence de gestion pourraient permettre au pays de se relever. 

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