Younes Grar. Consultant en TIC : «Il serait judicieux de détacher une task force pour mettre en place la stratégie de numérisation»

23/04/2023 mis à jour: 07:15
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-Le processus de la numérisation a été lancé il y a déjà quelques années à travers plusieurs plateformes. Où en sommes-nous réellement aujourd’hui ?
 

Dire que nous n’avons pas avancé serait un tort pour les ingénieurs qui ont digitalisé plusieurs services, tels que celui de l’état civil ou de la justice. Toutefois, nous sommes loin d’atteindre les véritables objectifs de la transformation numérique de l’administration publique. Nous avons des plateformes qui existent. C’est une bonne chose. Mais combien de citoyens les utilisent ? Combien de personnes les ont introduites dans leur routine de procédures administratives ? Nous avons une plateforme pour le retrait d’extrait de naissance en ligne. Peu de gens la connaissent et l’utilisent. La preuve est qu’on continue à voir des chaînes interminables devant les guichets de l’état civil. Pis encore, le manque de coordination fait que les documents retirés en ligne ne sont pas acceptés par certaines administrations qui exigent le fameux cachet rond rouge. C’est le même souci qu’on a avec le e-paiement. Selon les derniers chiffres dévoilés par GIE monétique, il n’y a que quelque 50 000 TPE opérationnels dans le pays. Nous avons plus de superettes et de pharmacies. 
 

-Lors du dernier Conseil des ministres, le président de la République a donné un ultimatum de 6 mois pour numériser les services de Douanes, des impôts et des biens de l’Etat. En matière de délais, est-ce faisable ? 

Imposer des deadlines c’est bien. Lorsqu’elles font partie d’une stratégie globale c’est encore mieux et plus efficace. Si l’on parle seulement du service des domaines, ce sont des tonnes de papier qui sont entassées dans des boîtes d’archives. Les citoyens souffrent depuis plusieurs années de cette paperasse et de l’inaccessibilité de certains anciens documents. Arriver à numériser tout cela dans un délai de 6 mois serait vraiment un exploit ! Il faut une infrastructure, des logiciels et des plateformes pour prendre les requêtes des citoyens, telles que les CC12, le négatif, le livret foncier et autres documents. Si ce n’est que pour cela, c’est plus ou moins faisable. Toutefois, il faut des délais de réalisation et surtout les respecter. 

La deuxième étape est de prendre des décisions rapides par rapport à la numérisation de l’archive et à la manière de prise en charge des dossiers actifs. Chaque jour perdu équivaut à des boîtes d’archives en plus. Pour les plateformes qui existent déjà dans d’autres administrations, telles que celles des impôts ou autres, c’est une bonne chose de les avoir. Toutefois, le véritable souci est le manque de communication. Les gens ne savent pas qu’elles n’existent ni comment les utiliser. Même l’interface laisse parfois à désirer. Elle n’est pas intuitive et ne facilite pas vraiment son utilisation. Comme je viens de le dire, beaucoup de plateformes existent, mais combien de personnes les exploitent réellement. Je le répète, c’est le même cas pour le e-paiement. 
 

-Que faut-il faire pour que le processus fonctionne correctement cette fois-ci ? 

Il faut absolument avoir une démarche globale répartie en étapes avec des deadlines à respecter. Le suivi doit être hebdomadaire. Il s’agit ici de technologie et non pas de procédures bureaucratiques. Autre chose très importante : la transparence. Il est primordial de tenir le citoyen au courant de toute fin de tâche. Ce suivi des différentes parties, y compris du citoyen, va responsabiliser encore plus les compétences chargées de l’exécution de cette transformation numérique. Il est primordial pour assurer la bonne exécution de cette démarche mais aussi pour démasquer les défaillances et les problèmes en temps réel et surtout les résoudre. Ne pas respecter les délais rompt la confiance entre le citoyen et l’administration publique. 


-Tous ces éléments réunis sont-ils suffisants ? 

Non. Il serait judicieux de détacher une task force qui aurait une autorité scientifique et juridique. En structure légère, elle sera composée de techniciens, d’ingénieurs et de personnes qui ont déjà fait leurs preuves dans la numérisation de leurs services, telles que ceux des secteurs de la justice et de l’intérieur et des collectivités locales. Son rôle essentiel est de mettre en place toute la stratégie globale de la numérisation des secteurs avec étapes et deadlines. Rattachée directement à la Présidence, elle aura pour autre mission d’assurer la bonne exécution de la démarche globale et de sanctionner, s’il y a lieu, les parties qui bloquent ou ne jouent pas leur rôle. Il s’agit ici d’une volonté de l’Etat. Il faut mettre les moyens et surtout la rigueur et le courage pour bien l’exécuter. 
 

-Combien coûterait l’acquisition de matériel nécessaire à la numérisation ?
 

La véritable question à poser est combien va-t-on gagner avec la numérisation. Un exemple : en 2017, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique avait déclaré avoir fait une économie d’un milliard de dinars en numérisant la procédure d’inscription des nouveaux bacheliers. Une somme qui était allouée à la gestion de toute la logistique liée à cette longue procédure et qui est finalement économisée chaque année depuis 2017.

 Donc, finalement, peu importe combien coûterait l’acquisition du matériel et la logistique de la numérisation, étant donné que c’est une dépense intelligente avec un rendement fructueux rapide, quantifiable et surtout à long terme. Aujourd’hui,la volonté suprême de l’Etat existe, les moyens humains et financiers existent, il ne reste qu’à se lancer d’une manière courageuse et intelligente. 

 

                                                                                                       Entretien réalisé par Asma Bersali
 

                                                                                                                    

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