Le récit est inspiré de faits réels se rapportant à l’histoire d’une femme au hasard d’une rencontre, découvre que les parents à qui elle doit tout ne sont pas en réalité ses parents biologique.
Le dernier roman de Youcef Dris L’ombre de mon ombre, sorti chez L’Odyssée Editions, a fait lundi l’objet d’une présentation publique lors d’une rencontre organisée à la bibliothèque Sophia, à Oran. Le récit est inspiré de faits réels se rapportant à l’histoire d’une femme, choyée dans son enfance et qui a réussi dans sa vie d’adulte, mais qui, au hasard d’une rencontre, découvre que les parents à qui elle doit tout ne sont pas en réalité ses parents biologiques. Tout un monde et une construction mentale qui s’écroulent d’un coup. S’ensuivent alors un changement de cap et des méandres d’un parcours légitime pour découvrir une vérité qu’on lui a sciemment cachée.
C’est cette quête qui représente le cœur du sujet abordé dans ce livre. Le thème est encore tabou, et si cette histoire singulière peut s’avérer passionnante, celle racontée par l’auteur durant la rencontre l’est sans doute encore bien plus. C’est le côté engagement dans une association liant enfance et familles d’accueil bénévoles qui a concentré toutes les attentions de l’assistance.
L’association en question, fondée dans les années 1980, a compté dans ses rangs d’illustres personnalités dont quelques-unes ont fait les frais du terrorisme qui a sévi durant la décennie noire. L’auteur lui-même, impliqué dans cette aventure tout autant que tous ses propres enfants pour contribuer à venir en aide à cette frange de la société (mères et enfants) doublement pénalisée avec la chape de plomb liée au tabou, a dû lui aussi fuir la ville d’Alger au milieu des années 1990 pour venir s’installer à Oran. «L’histoire que je raconte dans ce livre n’est pas en elle-même tirée de mon expérience au sein de l’association, mais on peut effectivement retrouver un survol de ce qui se faisait à l’époque», prévient Youcef Dris en réponse à des questions qui se rapportent dans leur majorité à cet engagement collectif, en dehors des structures étatiques, quelque peu méconnu du grand public.
Les gens qui ont fait les beaux jours de cette organisation, adhérents directs ou pas, ont été, chacun de son côté et en fonction de leur domaine de compétence, d’un grand apport en évoquant quelques noms comme Boucebci ou Aslaoui. «Il y avait également beaucoup d’artistes qui ont fait don de leurs travaux et dont l’argent des ventes aux enchères a servi à aider les femmes en détresse ou leurs enfants», explique-t-il à titre illustratif. Il arrive souvent que des membres de familles qui accueillent un enfant par le biais de cette association deviennent eux-mêmes membres. Le processus et les démarches se faisaient dans le respect des lois de la République, mais aussi des valeurs de l’Islam (kafala). «Pourtant, avec la montée de l’extrémisme, certains nous reprochaient par exemple, en aidant ces femmes, de favoriser ce phénomène des naissances hors mariage, ce à quoi on répondait que ce n’est pas en supprimant les hôpitaux qu’on allait venir à bout des maladies !»
«Une fatwa des instances religieuses »
Youcef Dris atteste qu’à un moment, cette association a eu tellement d’ampleur qu’elle a été classée par des instances de l’ONU dans le Top 50 des associations les plus dynamiques dans ce domaine. Il confirme également que ce sont les sollicitations émanant d’elle qui ont abouti, pour ce qui est du domaine de la kafala (adoption en conformité avec les préceptes de l’Islam), à la proclamation d’abord d’une «fatwa» des instances religieuses du pays et ensuite d’un décret datant du début des années 1990, à l’époque où Sid Ahmed Ghozali était chef du gouvernement, permettant la concordance des noms. «Le père qui accueille un enfant pouvait donc à partir de là donner son nom patronymique à celui-ci, même si sur les documents, on appose la qualité de 'kafil’ ou 'makfoul’, mais ce n’est pas un problème, car en termes d’héritage, il y a toujours la possibilité de faire des donations.
Par contre, cette façon de faire évite à l’enfant, notamment dans sa scolarité, d’être stigmatisé par ses camarades», explique-t-il encore. Dans le contexte de l’époque, c’était une avancée significative, et, estime-t-il encore, d’autres pays musulmans se sont référés à cette loi algérienne promulguée en concertation avec les instances religieuses.
La difficulté d’accès aux statistiques concernant ce phénomène a été soulevée par l’assistance, et c’était par souci d’avoir une idée sur son évolution dans le temps. La question était de savoir si les mentalités ont changé au point de réduire le taux d’abandon d’enfants nés hors mariage. La question reste posée, mais le roman apporte cet habillage humaniste qui manque au traitement de cette problématique.
Oran
De notre bureau Djamel Benachour
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Youcef Dris, L’ombre de mon ombre, L’Odyssée Éditions, 2024