Youcef Aouchiche. Premier secrétaire du FFS : «Nous attendons que la volonté politique du pouvoir s’exprime par des signaux forts»

16/06/2022 mis à jour: 03:49
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Photo : D. R.

Dans l’entretien accordé à El Watan, le premier secrétaire du FFS, Youcef Aouchiche, revient sur la dernière rencontre avec le président Tebboune. «Pour nous, le dialogue n’est pas une option de circonstance, mais une constante politique du parti qui, pour nous, est la seule démarche en mesure d’apporter des solutions concrètes et consensuelles à la crise structurelle et multidimensionnelle qui touche notre pays. Ce dialogue est devenu impératif pour faire face aux défis actuels et futurs, internes et externes et préserver la stabilité, l’unité et la souveraineté nationales», résume-t-il. Et d’insister : «Le FFS a toujours considéré que la libération des détenus d’opinion, et au-delà la fin de la judiciarisation de la vie publique, l’ouverture des champs politique et médiatique étaient indispensables pour créer un climat favorable à un dialogue inclusif.»

  • Une délégation du Front des forces socialistes (FFS) a été reçue, jeudi 2 juin, par le président Abdelmadjid Tebboune. En répondant favorablement à l’invitation du chef de l’Etat, le FFS estime avoir confirmé son attachement à ses «principes fondateurs de dialogue constructif et d’opposition responsable»…

Dans le long et riche parcours du FFS, nous nous sommes toujours appuyés sur la double éthique de conviction et de responsabilité. Cette double éthique fait du dialogue et de la culture du compromis les socles fondamentaux sur lesquels repose notre philosophie politique et qui structurent nos positions, nos actions et chacune de nos offres et initiatives politiques.

Le dialogue n’est donc pas, pour nous, une option de circonstance, mais une constante politique du parti qui, pour nous, est la seule démarche en mesure d’apporter des solutions concrètes et consensuelles à la crise structurelle et multidimensionnelle qui touche notre pays.

Ce dialogue est devenu impératif pour faire face aux défis actuels et futurs, internes et externes et préserver la stabilité, l’unité et la souveraineté nationale. C’est dans cette perspective et pour faire entendre notre vision que nous avons répondu favorablement à l’invitation de la présidence de la République.

  • La délégation du FFS dit avoir demandé au chef de l’Etat «davantage d’éclaircissements» sur sa volonté politique de créer un cadre de dialogue national pour renforcer le «front interne». Le parti les a-t-il obtenus ?

C’est l’un des sujets abordés lors de notre rencontre. Nous avons demandé plus d’informations sur les intentions et la démarche du pouvoir. Nous avons également alerté sur les risques contenus dans le maintien du statu quo et la poursuite dans la gestion unilatérale et sécuritaire de la vie politique et sociale du pays.

Nous avons pris acte de l’intention qu’a exprimée le chef de l’Etat de rassembler les acteurs politiques et sociaux, dans un contexte régional et international des plus menaçants. Jusqu’où ira-t-il sur le plan politique, économique et social pour consolider la cohésion, l’unité et la souveraineté du pays ? Nous ne le savons pas encore.

Nous avons demandé des actes, nous attendons que la volonté politique, si elle existe réellement, s’exprime par des signaux d’ouverture démocratique forts en mesure de restaurer la «confiance» et d’ouvrir de meilleurs horizons pour nos concitoyens et notre pays afin de reconstruire le «consensus» national. La balle est dans le camp du pouvoir !

  • Votre parti plaide pour un «dialogue national inclusif» et l’instauration d’un climat d’apaisement général par la satisfaction de certains préalables, tels que la libération des détenus d’opinion et l’ouverture des champs politique et médiatique. Pensez-vous que les conditions sont actuellement réunies pour aller vers «une feuille de route commune en mesure de susciter l’adhésion des citoyens» que vous appelez de vos vœux ?

Le FFS a toujours considéré que la libération des détenus d’opinion, et au-delà la fin de la judiciarisation de la vie publique, l’ouverture des champs politique et médiatique étaient indispensables pour créer un climat favorable à un dialogue inclusif. Nous l’avons rappelé avec force lors de notre entretien avec le chef de l’Etat.

Oui, nous sommes pour le dialogue, mais pas n’importe quel dialogue. Nous sommes pour un dialogue national inclusif, transparent et responsable qui posera les jalons d’un consensus national autour d’une feuille de route pour la consécration du changement et l’édification d’un Etat de droit démocratique et prospère. Au-delà des conditions qui doivent être réunies pour l’amorce d’un tel processus, c’est le contexte actuel particulièrement grave qui impose cette démarche.

Les dangers et les défis immenses auxquels notre Etat national est confronté nécessitent des réponses urgentes et collectives traduites sous forme d’une feuille de route commune qui doit être l’émanation de toutes les forces vives de la nation. Nous devons impérativement nous entendre sur l’essentiel, sur le socle sur lequel nous devons bâtir, ensemble, l’Algérie de demain et sur les réponses que nous devons apporter aux attentes légitimes de la population.

C’est la voix de la raison et de la sagesse qui dicte cette démarche. Au FFS, comme toutes les Algériennes et Algériens, nous sommes prêts à consentir des sacrifices, nous sommes ouverts à la recherche de solutions communes, pour peu que le pouvoir affiche de son côté une réelle volonté de dialogue et d’ouverture démocratique.

  • Le président Tebboune a annoncé la constitution d’une commission nationale chargée de la révision des subventions publiques en vue de «passer de subventions généralisées vers des subventions orientées aux véritables bénéficiaires, et ce, avec l’association de l’ensemble des parties prenantes». Le FFS y prendra-t-il part ?

La question à se poser n’est pas celle de la participation, mais celle de savoir pourquoi revoir le système des subventions dans un contexte porteur de beaucoup de risques et dans une situation où la population dans son ensemble, y compris les classes moyennes qui se sont appauvries, est confrontée à la baisse drastique de son pouvoir d’achat, accentuée par la baisse du dinar, la hausse des prix, l’inflation importée, et le chômage.

Cibler les bas revenus par ce projet de révision du système des subventions, encore faut-il identifier la population concernée, ce n’est pas un progrès mais une régression sociale. Au lieu de toucher le système des subventions qui est un des piliers de l’Etat social, il faudrait évaluer la protection sociale dans son ensemble et y apporter une réforme globale pour la renforcer et non pour l’affaiblir.

Nous avons exprimé clairement nos appréhensions sur cette question au chef de l’Etat et nous avons exprimé la nécessité d’ouvrir un dialogue plus large sur le modèle économique et social d’une façon globale.

  • La crise sociale s’est fortement aggravée ces derniers mois avec la chute du pouvoir d’achat, la hausse du chômage et la recrudescence du phénomène de la harga. Que préconise votre parti pour faire face à cette situation ?

Le FFS a fait de la défense de l’Etat social le fondement de son combat politique. La préservation de l’emploi et du pouvoir d’achat des citoyens est une constante de ses exigences vis-à-vis des pouvoirs publics.

Nous avons toujours préconisé pour ceux qui travaillent le relèvement des salaires et des retraites et leur indexation sur l’inflation, l’allocation d’un revenu minimum garanti aux familles sans ressources, une protection sociale renforcée et décentralisée, l’accès de tous aux services sociaux de base.

Une attention particulière doit être accordée aux jeunes, à leur formation et à leur insertion dans l’activité économique, sociale, culturelle et environnementale.

Au plan économique, l’effondrement du modèle de «développement» pour ne pas dire économique imposé depuis plusieurs décennies traduit l’impasse dans laquelle se trouve le système de gouvernance, incapable de répondre aux besoins les plus légitimes et les plus élémentaires de l’immense majorité des femmes et des hommes de ce pays.

Cette situation nous fait obligation d’offrir à notre pays un nouveau modèle économique et social qui repose sur un diagnostic réel de la situation actuelle et les actions à entreprendre à court, moyen et long termes, en vue de restaurer la relance de la croissance, nécessité vitale pour la survie de notre économie en s’appuyant sur le potentiel existant et en développant les filières de la relance économique prioritaire, les filières d’appui et les filières d’avenir permettant d’asseoir l’irréversibilité de la croissance économique.

Dans notre conception économique, tout l’effort de l’Etat doit être orienté d’abord vers la résorption des déséquilibres en adoptant une politique de développement concertée et la plus équilibrée possible, ne négligeant aucun secteur, aucune région, aucune catégorie sociale et qui placera la couverture des services sociaux de base au premier plan.

Notre vision a pour objectif d’instaurer une démocratie économique et sociale et la sortie de l’économie de bazar et des pénuries par la restauration de la croissance, l’abandon du dirigisme et du centralisme bureaucratique, et la rupture sans complaisance avec l’incompétence, le parasitisme et la corruption érigée en valeurs au sein de notre système économique et doter l’Etat des moyens et des mécanismes nécessaires pour assurer et assumer clairement et entièrement le rôle de régulateur, un «Etat régulateur» qui aura pour mission de définir les règles du jeu pour tous les agents économiques, de veiller à la sauvegarde des grands équilibres internes et externes, d’organiser sur des bases justes une redistribution de la richesse et améliorer le niveau de vie des couches les plus défavorisées de la société.

C’est le sursaut que nous devons réaliser tous ensemble pour mettre notre pays à l’abri des crises et répondre aux besoins de nos concitoyens.

  • Le FFS tiendra son prochain congrès ordinaire les 29, 30 septembre et 1er octobre 2022. Comment s’annoncent les préparatifs de cette échéance ?

Les préparatifs de ces assises vont bon train. Nous avons nommé au secrétariat national une nouvelle équipe dynamique et cohérente qui s’attellera à réunir toutes les conditions politiques et organiques pour l’organisation et la réussite de ces assises.

Nous avons également mis en place la commission de préparation du congrès national. Toutes les structures du parti sont mobilisées pour la réussite du 6e CNO que nous voulons rassembleur et unitaire.

  • Des militants de base du parti ont contesté les «options» de la direction. Que leur répondez-vous ?

Au FFS, le débat démocratique, la confrontation des idées et même le droit à l’opposition interne sont garantis. Ma responsabilité première en tant que premier secrétaire du FFS est de garantir ces droits à tout militant, pour peu qu’il respecte en retour ses devoirs de militant et inscrive son action à l’intérieur de nos structures.

C’est cela être un militant au FFS. Ceux qui choisissent volontairement de se mettre en dehors de ce cadre, de ne pas respecter nos statuts et nos instances s’excluent d’eux-mêmes de notre organisation. Le rassemblement que nous souhaitons doit se faire autours de nos valeurs communes et de notre projet de société.

C’est dans le rassemblement des énergies, dans l’ouverture du parti vers la société et dans l’esprit de camaraderie, de solidarité mais aussi de discipline militante et de rigueur que nous comptons consolider et moderniser notre parti.

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