Wiame Awres. Militante féministe et co-fondatrice de Féminicides Algérie : «Une reconnaissance politique du féminicide est nécessaire»

08/09/2022 mis à jour: 14:00
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Wiame Awres

Wiame Awres commence par définir le féminicide, qui est «le continuum et la finalité extrême des violences faites aux femmes». Faisant remarquer que les cas rendus publics sont uniquement ceux rapportés dans les médias et les réseaux sociaux, la co-fondatrice de Féminicides Algérie note que les victimes sont de tous âges. Que faudrait-il faire pour faire face à ces crimes ? «Il doit y avoir impérativement une reconnaissance politique du féminicide afin de prévenir ces meurtres. Cela passe par une connaissance de la spécificité des meurtres, des facteurs de risques, et par la suite de mettre en place les mesures préventives», suggère-t-elle.

 

 

 

-Qu’est-ce qu’un féminicide ? 
 

Le féminicide est le meurtre misogyne des femmes, c’est le continuum et la finalité extrême des violences faites aux femmes. Il comporte des caractéristiques spécifiques et est différent des autres types de meurtres car, d’une part, il y a un caractère répétitif, les féminicides sont commis à plus de 50% par des conjoints et ex-conjoints après des violences qui peuvent durer des décennies, d’autre part, les hommes et les femmes dans la majorité des meurtres ne sont pas assassinés pour les mêmes mobiles, et la réaction sociale est différente selon le sexe de la victime. Dans beaucoup de cas de féminicide, la société accuse la victime et a de l’empathie envers l’assassin, ce qui démontre l’ampleur de la misogynie dans notre société.
 

-Une trentaine de cas ont été recensés par votre site (Féminicides Algérie) depuis le début de l’année, le dernier en date est celui de Samah, âgée de 29 et originaire d’Aïn M’lila. Ces cas ont-ils connu une hausse par rapport à la même période de l’année dernière ?
 

Pour l’année 2021, nous étions au même nombre de féminicides au mois d’août. Les cas recensés par Féminicides Algérie ne sont que les cas mentionnés dans la presse, dans les réseaux sociaux après vérification de l’information, ou suite à la prise de contact de la famille/connaissances de la victime avec Féminicides Algérie. Les cas réels sont beaucoup plus élevés. Cependant, on ne peut dire que les cas augmentent, ils sont juste plus visibles aujourd’hui.
 

-Que sait-on vraiment du profil des victimes et de leurs agresseurs ?
 

Les victimes sont de tous âges, cependant celles qui sont les plus touchées sont celles qui ont entre 25 et 45 ans. Les plus jeunes, adolescentes, sont surtout assassinées par leurs pères. Elles sont mères au foyer, ou travaillent dans différents domaines : professeur de droit, femme de ménage, avocate, journaliste, infirmière, etc. C’est pour cela qu’il y a le hashtag «Khserna wahda mena» («Nous avons perdu une des nôtres»), car les victimes peuvent être un membre de notre famille, une collègue, une voisine. Les féminicides sont le plus souvent commis dans le domicile, on somme les femmes de rester à la maison car ce lieu est supposé être un lieu sûr, or c’est le lieu où les femmes sont le plus exposées aux violences et au féminicide. Le féminicide est commis dans plus de 70% des cas à l’aide d’armes : couteau, marteau, arme à feu, etc., ce qui ne laisse aucune chance à la femme en question de survivre.
 

Que fait l’Etat (justice, services de sécurité, etc.) pour juguler ce phénomène ? Le fait-il suffisamment en mettant en place des moyens spécifiques ou en faisant, par exemple, évoluer le droit pénal en intégrant ce crime spécifique ?
 

Il doit y avoir impérativement une reconnaissance politique du féminicide afin de prévenir ces meurtres. Cela passe par une connaissance de la spécificité des meurtres, des facteurs de risques, et par la suite de mettre en place les mesures préventives. Des lois et les normes sociales se mettent en travers du chemin des femmes victimes de violences qui veulent en sortir, et elles sont poussées dans les mains de leurs bourreaux. L’Etat se doit de prendre en charge les victimes, et également les auteurs de violences afin qu’ils ne continuent pas dans ce cycle et qu’ils fassent d’autres victimes, cela passe par une prise en charge psychologique, une insertion économique, etc. Il y a un manque de formation, de moyens et d’éthique terribles dans toute la chaîne censée s’occuper de ces cas.
 

-Des associations sont engagées dans l’aide aux victimes de violences. Le font-elles bien ? 
 

Certaines associations comme le «Réseau Wassyla» sont spécialisées dans l’accompagnement psychologique et juridique des femmes victimes de violences, ou encore «SOS Femmes en détresse» qui est un centre d’hébergement. Elles font un travail énorme afin d’aider les victimes, mais elles ne peuvent remplacer les institutions de l’Etat qui ont appliqué des mesures qui renforcent ces violences (code de la famille, loi relative aux violences conjugales avec la clause du pardon, etc.), et qui à côté ne mettent pas les moyens nécessaire afin de les prendre en charge (nombre rudimentaire de centres d’hébergement, manque de formation du personnel qui fait face à ces femmes-là, etc.) Les associations féministes dénoncent constamment ces lacunes, mais l’Etat fait la sourde oreille, pire, une majorité de députés sont foncièrement contre l’égalité et ne font que renforcer ces violences qui aboutissent aux féminicides.

 

Propos recueillis par Nadir Iddir

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