Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a entamé, hier, une visite en Chine, la deuxième en moins d’un an, avec pour mission d’évoquer encore avec Pékin des dossiers sur lesquels les deux puissances sont en litige.
Après avoir atterri à Shanghai, il s’entretiendra, demain à Pékin, avec les dirigeants chinois au cours desquels il devrait plaider pour la retenue face à Taïwan où le président élu, Lai Ching-te, doit prendre ses fonctions le 20 mai. Il fera aussi part des préoccupations américaines sur les pratiques commerciales de la Chine que Washington juge anticoncurrentielles.
Le 17 avril, la Maison-Blanche a dénoncé dans un communiqué «les politiques et subventions de la Chine pour ses industries de l’acier et de l’aluminium». Ainsi, Joe Biden a appelé le représentant au commerce (USTR) à «envisager de tripler les droits de douane» actuels de 7,5% en moyenne, imposés sur une partie de l’acier et l’aluminium chinois importé aux Etats-Unis.
L’administration Biden a également annoncé le lancement d’une enquête sur les «pratiques déloyales de la Chine dans les secteurs de la construction navale, du transport maritime et de la logistique».
«L’acier est un composant essentiel pour notre industrie nationale de la construction navale», a observé la Maison-Blanche. Elle a évoqué des «inquiétudes croissantes selon lesquelles les pratiques commerciales déloyales de la Chine, notamment l’inondation du marché avec de l’acier vendu à un prix inférieur au coût du marché, faussent le marché mondial de la construction navale et érodent la concurrence».
Cela dit, il compte aussi apaiser les tensions entre les deux puissances qui se sont nettement atténuées depuis sa visite de juin. Elle a été suivie d’une rencontre entre le président américain Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping à San Francisco, en novembre, qui a débouché sur une reprise des contacts entre les deux armées et une coopération dans la lutte contre la fabrication du fentanyl, une drogue de synthèse faisant des ravages aux Etats-Unis.
Les relations sino-américaines se trouvent à un «stade différent de celui où nous étions il y a un an, lorsque les relations bilatérales étaient à un niveau historiquement bas», a observé un haut responsable américain, avant la visite d’Antony Blinken selon des propos recueillis par l’AFP. «Nous pensons également (...) qu’une gestion responsable de la concurrence ne signifie pas que nous devions renoncer à prendre des mesures pour protéger les intérêts nationaux des Etats-Unis», a-t-il déclaré.
En parallèle, les Etats-Unis redoublent d’efforts pour isoler la Russie, suite à son intervention en Ukraine en février 2022. Washington a accusé ces dernières semaines Pékin de livrer du matériel et des technologies à double usage à Moscou. «Si la Chine veut avoir, d’un côté, des relations amicales avec l’Europe et d’autres pays, elle ne peut pas alimenter, d’un autre côté, ce qui est la plus grande menace contre la sécurité européenne depuis la fin de la Guerre froide», a déclaré A. Blinken, vendredi dernier, à l’issue d’une réunion du G7 (Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, l’Italie et la France) en Italie.
Le gouvernement américain a qualifié de succès l’accord conclu avec Xi Jinping sur le fentanyl. Selon un haut responsable du département d’Etat, la Chine semble avoir pris des premières mesures que A. Blinken lui demandera d’approfondir. «Des mesures répressives plus régulières (...) enverraient un signal fort» de son engagement, a-t-il noté.
«Discorde»
Taïwan figure parmi les questions sensibles qui seraient soulevées. Le Congrès américain a donné son feu vert, mardi, à une enveloppe d’assistance militaire de 95 milliards de dollars à destination d’alliés de Washington dont 8 milliards consacrés à l’assistance militaire à Taipei. Hier, Pékin a averti que le soutien militaire des Etats-Unis envers l’île ne fait qu’accroître le «risque de conflit» de part et d’autre du détroit de Taïwan. «J’aimerais souligner que le renforcement des liens militaires entre les Etats-Unis et Taïwan n’apportera pas la sécurité à Taïwan», a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin.
«Cela ne fera qu’accroître les tensions et le risque de conflit de part et d’autre du détroit de Taïwan, et reviendra en fin de compte à un acte consistant à se tirer une balle dans le pied», a-t-il prévenu. Une aide militaire renforcée ne peut pas «sauver le destin funeste de l’indépendance de Taïwan», a-t-il poursuivi. Et d’ajouter : «Les Etats-Unis doivent (...) cesser d’armer Taïwan, cesser de créer de nouvelles tensions dans le détroit de Taïwan et cesser de compromettre la paix et la stabilité de part et d’autre du détroit.»
Washington renforce également ses alliances en Asie. Le Japon envisage de rejoindre l’alliance de défense AUKUS (Australie, Royaume-Uni et Etats-Unis) tandis que les Etats-Unis mènent des exercices avec les Philippines en mer de Chine méridionale, une zone sous haute tension. Les 11 et 12 avril, Joe Biden a tenu à Washington un sommet trilatéral avec le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, le président philippin, Ferdinand Marcos Jr., pour renforcer la coopération régionale face aux ambitions géopolitiques de la Chine.
En août 2023, les alliés américain, japonais et coréen se sont rencontrés lors d’un sommet aux Etats-Unis. En la circonstance, la Chine a exprimé son «vif mécontentement et sa ferme opposition» et a déposé des protestations «solennelles auprès des parties concernées», a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, lors d’un point presse. Pékin accuse les dirigeants des trois pays d’avoir «dénigré et attaqué la Chine sur les questions maritimes et liées à Taïwan», de s’être «immiscés dans les affaires intérieures de la Chine» et d’avoir «délibérément semé la discorde entre la Chine et ses voisins».
Pour le diplomate chinois, cette rencontre constitue une «tentative de raviver la mentalité de la guerre froide en incitant à la division et à la confrontation par le biais de divers petits cercles fermés et exclusifs».
Autre source de friction entre les deux premières puissances économiques mondiales : la loi votée par le Congrès américain, mardi, exigeant que l’application TikTok soit cédée par sa société mère chinoise ByteDance, sous peine d’être exclue du marché américain. Interrogé à ce propos, le porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin, a indiqué, hier, de renvoyer à «la position de principe de la Chine» dans ce dossier.
En mars, la Chine a invité Washington à «respecter les règles de l’économie de marché» et fait savoir qu’elle prendrait «toutes les mesures nécessaires pour préserver ses droits et intérêts légitimes».