Visite du président américain en Arabie Saoudite : Biden rassure ses alliés du Golfe

17/07/2022 mis à jour: 06:04
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Le président Joe Bien et le prince héritier Mohammed ben Salmane au palais royal de Djeddah, en Arabie saoudite

Washington «ne se détournerait pas» du Moyen-Orient en laissant «un vide que pourraient remplir la Chine, la Russie ou l’Iran». C’est ce qu’a déclaré hier le président américain, Joe Biden, dans un discours prononcé à Jeddah (ouest) en Arabie Saoudite, lors d’un sommet réunissant les six membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), à savoir l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, Qatar, Oman, Koweït, Bahreïn. 

Rencontre à laquelle ont pris part l’Egypte, la Jordanie et l’Irak. Il a ajouté, selon des propos recueillis par l’AFP, que «les Etats-Unis investissaient pour construire un meilleur avenir dans la région en coopération avec vous tous». Il a affirmé que «le futur appartiendrait aux pays (...) dont les citoyens peuvent remettre en cause et critiquer leurs dirigeants sans peur de représailles». Le président américain, qui a entamé mercredi sa tournée au Moyen-Orient par une visite en Israël, a poursuivi : «Intégration, interconnexion. Ce sont les thèmes sous-jacents de notre réunion» a-t-il dit. L’administration Biden dit vouloir promouvoir une nouvelle «vision» pour le Moyen-Orient, basée sur le dialogue et la coopération économique et militaire. Dans cette option, est intégré le processus de normalisation entre Israël et les pays arabes. 

En allusion à Téhéran, il a indiqué : «Nous ne tolérerons pas qu’un pays essaie d’en dominer un autre dans la région au travers de renforcement militaires, d’incursion, et/ou de menaces.» Les Etats-Unis ont aussi promis un milliard de dollars en soutien à la sécurité alimentaire «à court et à long termes» au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Un peu plus tôt, le président américain a «solennellement» invité son homologue des Emirats arabes unis, Mohammed Ben Zayed, à se rendre aux Etats-Unis, après des relations glaciales ces derniers mois.
 

Parmi les principaux exportateurs de pétrole au monde, ce pays du Golfe est depuis longtemps proche des Etats-Unis, mais les relations se sont récemment dégradées. «Les défis auxquels nous faisons face aujourd’hui font qu’il est encore plus important que nous passions du temps ensemble», a dit Joe Biden. «Je veux vous inviter solennellement aux Etats-Unis», a déclaré le président américain, précisant qu’il souhaite recevoir son homologue à Washington «avant la fin de cette année». 
 

Divergences
 

Les relations entre les deux alliés ont connu un froid ces derniers temps. La première divergence entre Washington et Abou Dhabi s’est manifestée lors du vote du Conseil de sécurité des Nations unies le 25 février dernier, sur le projet américain et albanais de résolution relatif à l’Ukraine et condamnant la Russie.
 

Les Emirats, dans un premier temps, ont opté pour l’abstention lors du vote. Mais ils ont fini par se rallier à cette résolution, le 2 mars, tout en tenant à calibrer leurs déclarations de façon à éviter de condamner nommément la Russie. Le 17 mars dernier, le ministre émirati des Affaires étrangères, Abdullah Ben Zayed Al Nahyane, a déclaré lors de son passage à Moscou, que les Emirats souhaitaient coopérer avec la Russie pour améliorer la sécurité énergétique mondiale.

 L’administration de Biden a, dès son entrée en fonction, gelé un accord de 23 milliards de dollars portant sur l’achat par les Emirats de 50 avions de chasse F-35, de 18 drones Reaper et d’autres munitions de pointe. La tension a augmenté autour de la coopération économique entre les Emirats et la Chine. Les Etats-Unis conditionnent la livraison du matériel militaire au respect des exigences de sécurité américaines. 

Pour Washington, le contrat passé entre Abou Dhabi et le géant chinois Huawei pour la fourniture des services de réseau 5G «compromet les communications et le partage de renseignement». Les Emirats ont fini par signer un contrat avec la France pour l’acquisition de 80 Rafale. Autre différend entre les deux partenaires : la Syrie. Abou Dhabi plaide pour une normalisation des rapports avec Damas et sa réintégration au sein de la Ligue arabe. Ce qui est loin d’être apprécié par l’Oncle Sam.
 

Aussi, les relations entre Washington et Riyad sont marquées par des tensions. Outre l’affaire Khashoggi, les attaques répétées des rebelles houthis du Yémen sur le territoire saoudien et plus récemment contre les Emirats arabes unis et la faible réaction américaine ont convaincu le royaume wahhabite qu’il ne peut plus compter sur son allié pour garantir sa sécurité. Ainsi, Riyad a refusé de suivre les sanctions prises par les pays de l’OTAN et les Européens contre la Russie suite à son intervention en Ukraine. 

Moscou et Riyad ont approfondi leurs relations, notamment dans le cadre de l’alliance OPEP + (Les Etats qui composent l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) que domine Riyad + 13 Etats hors OPEP conduits par Moscou). L’Arabie Saoudite entend préserver sa relation avec Moscou et Pékin et aurait entamé des pourparlers avec la Chine pour abandonner le dollar américain au profit du yuan dans les transactions pétrolières, ce qui irait dans le sens de la dédollarisation souhaitée par le Kremlin. 
 

Cela dit, en septembre 2020, l’Arabie n’a pas manifesté d’opposition lorsque les Emirats arabes unis étaient devenus le premier pays du Golfe (le troisième dans le monde arabe après l’Egypte et la Jordanie) à reconnaître Israël dans le cadre des «accords d’Abraham», suivis par Bahreïn, le Maroc et le Soudan.
 

En mars dernier, dans un entretien au journal américain The Atlantic, le prince héritier MBS a évoqué Israël comme un «allié potentiel», soulignant des intérêts communs entre les deux pays. L’Arabie Saoudite veut pouvoir davantage compter sur Israël pour s’opposer à la réactivation de l’accord nucléaire entre la République islamique et les Occidentaux, que «les deux pays considèrent comme une menace pour leur sécurité». En parallèle, l’Arabie Saoudite s’est montrée détachée de la cause palestinienne.
 

Les premiers contacts entre Saoudiens et Israéliens remonteraient aux années 1960 en pleine guerre du Yémen (1962-1970). Les deux pays optent pour le camp royaliste contre les nationalistes appuyés par Gamal Abdel Nasser. En 2002, en pleine seconde Intifada (2000-2005), l’Arabie Saoudite entérine la possibilité d’une normalisation des relations avec Israël, en échange de la création d’un Etat palestinien. 

Cette proposition est cependant rejetée par l’Etat hébreu. En novembre 2017, Mohamed Abdelkarim Al Issa, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale et proche de MBS, visite la Grande Synagogue de Paris. Un mois plus tôt, le prince saoudien Turki Al Fayçal, ancien chef des services de renseignement, a participé à un débat dans une synagogue de New York, avec Ephraïm Halévy, ex-directeur du Mossad.
 

Vendredi, Tel-Aviv a indiqué n’avoir «aucune objection» au transfert de deux îlots stratégiques (Tiran et Sanafir), jusque-là sous souveraineté égyptienne, à l’Arabie Saoudite. Ensuite, Riyad a affirmé l’ouverture de son espace aérien à «tous les transporteurs», y compris israélien.
 

Assassinat du journaliste Khashoggi : Une affaire classée
 

La visite du président américain en Arabie Saoudite, qu’il a quittée hier après une journée de travail, reste marqué par l’image d’un Président échangeant le «check» du poing avec le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS), accusé par les Renseignements américains d’être le commanditaire de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018. Joe Biden avait promis en conséquence de traiter l’Arabie Saoudite en «paria». Il a assuré vendredi, dans un point presse avoir évoqué cette affaire «au tout début» de sa réunion avec le prince héritier, relevant avoir été «on ne peut plus clair».

 Lors d’une interview accordée à la chaîne américaine CNN, le ministre d’Etat aux Affaires étrangères, Adel Al Jubeir, a déclaré que MBS «a expliqué vendredi (à M. Biden) qu’il s’agissait d’une tragédie pour l’Arabie Saoudite». Il lui a dit que «les responsables avaient fait l’objet d’une enquête, avaient été confrontés à la justice et payaient désormais pour le crime», a-t-il ajouté indiquant par là que pour le royaume, il s’agit d’une affaire classée. 
 

Interrogé sur le rapport du Renseignement américain désignant MBS comme le commanditaire de l’opération, il a observé : «Nous savons bien ce qu’avait conclu le Renseignement à propos des armes de destruction massive de Saddam Hussein», qui n’ont jamais existé. Il a rappelé en la circonstance les «erreurs» des Etats-Unis, citant l’affaire d’Abou Ghraib, cette prison irakienne où des militaires américains ont pratiqué tortures et traitements humiliants.
 

Critique du pouvoir saoudien, Jamal Khashoggi, résident aux Etats-Unis et chroniqueur du quotidien Washington Post, a été assassiné le 2 octobre 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando d’agents venus d’Arabie Saoudite. Son corps, démembré, n’a jamais été retrouvé. Après avoir nié l’assassinat, Riyad a fini par dire qu’il a été commis par des agents saoudiens ayant agi seuls. A l’issue d’un procès opaque en Arabie Saoudite, cinq Saoudiens ont été condamnés à mort et trois autres à des peines de prison, les peines capitales ont depuis été commuées. En parallèle, des responsables turcs ont désigné MBS comme le commanditaire du meurtre, malgré les dénégations saoudiennes.
 

Quand il était candidat à la présidentielle, Joe Biden avait promis de faire de la monarchie pétrolière du Golfe un «paria» à cause de l’assassinat du journaliste et critique saoudien Jamal Khashoggi. Et une fois élu, il a déclassifié en février 2021 un rapport accablant sur la responsabilité du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane (MBS). Selon ce rapport, ce dernier a «validé» l’assassinat du journaliste. Le document a affirmé que le prince héritier disposait d’un «contrôle absolu» des services de renseignement et de sécurité, «rendant très improbable» une telle opération sans son «feu vert». 

Par ailleurs, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis ont conclu 18 accords de coopération dans des domaines très variés (spatial, finance, énergie, santé), selon un communiqué de la monarchie du Golfe. La Maison-Blanche a fait d’autre part état d’un accord de l’Arabie Saoudite pour connecter les réseaux électriques des pays du Golfe à celui de l’Irak, qui dépend grandement de l’énergie importée d’Iran. 

Le président américain a abordé avec les dirigeants saoudiens la hausse du prix de pétrole à quelques mois des élections de mi-mandat aux Etats-Unis. «Je fais tout mon possible pour augmenter la production pour les Etats-Unis», a dit Joe Biden vendredi, assurant avoir eu des discussions fructueuses avec les Saoudiens, dont les résultats concrets se verront «dans quelques semaines».
 

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